07 - Pour le plus grand bien
- Alors, c’est tout ce que tu as dans le ventre ?
La demande narquoise fusa derrière un Sarouh haletant et de mauvaise humeur. Était-il possible d’apprendre la moindre aptitude avec aisance ? L’illusionniste se retrouva à envier le génie de certains de ses camarades alors que l’impression tenace d’être bon à rien lui collait à la peau. C’était toujours la même histoire. Et si Irumi lui sortait par les yeux à l’époque, au moins le personnage le fascinait. Kurimi de son côté n’avait que le sale caractère des instructeurs militaires.
- Apparemment.
La réponse cinglante arriva bien trop tard, mais eut le mérite de lui passer sa frustration. Le Genin se redressa, transpirant et profondément agacé, pour mieux croiser le sourire mesquin de sa sensei temporaire. Une furieuse envie de lui faire ravaler s’agita en son for intérieur.
- On va reprendre la base, l’apaisa immédiatement la Jounin avec un geste de la main. C’est la première aptitude Fuuton que tu travailles, tu as dû contracter de mauvaises habitudes avec ton autre affinité.
- Comment ça ?
- Refais-moi ton attaque d’eau.
Sarouh s’exécuta, devinant où elle voulait en venir. Les sensations habituelles du Chakra Suiton le parcouraient. La profondeur insondable, le calme trompeur et une forme de tiédeur caractéristiques de l’exercice s’emparèrent du Tsumyo.
- Maintenant, demanda Kurimi comme si elle savait ce qu’il ressentait en temps réel, repasse en méditation de base. Le tout premier exercice que l’on t’a appris, le ten.
D’abord, il n’y eut rien. Puis l’énergie chaude recouvrit son corps, alors qu’il se relaxait. Les ondes douces irradiaient depuis son ventre vers l’extérieur et un puissant sentiment de sérénité s’empara du Genin.
- Maintenant, dis moi, quelle énergie tu essaies de manifester quand tu utilises ton Fuuton ?
Sarouh lui répondit avec un sourire. Il avait bel et bien compris le propos de son professeur. Invoquer le vent en se concentrant sur sa maîtrise de l’eau ne pouvait qu’échouer.
- Je suis un idiot dit-il. Je dois d’abord me familiariser avec ma seconde affinité. J’ai cependant une question.
- Dis moi, fit sa sensei en remettant une mèche brune d’un mouvement de tête.
- Pourquoi je n’ai pas eu besoin de chercher l’affinité en moi pour le Suiton ? Je veux dire que les sensations me sont venues spontanément en cherchant à reproduire la lance de ma mère.
- Parce que tu es un petit surdoué.
Le Genin lui jeta un regard noir qui fit rire sa professeure. Alors qu’elle ouvrait la bouche pour lui expliquer, Kana et Dozo revinrent de leur mission à Higaisha. La vue de leurs mines consternées suffisait à indiquer que ça ne s’était pas très bien passé.
- Il ne nous a rien dit de pertinent, commença l’imposant Genin.
- C’est à dire ? interrogea Sarouh en regardant Kana.
- Il ne voulait pas parler à des subalternes. De plus, il n’est pas persuadé que nous agissons pour leur bien.
La réponse de l’adolescente agita l’illusionniste qui se mit à mordre son pouce avec agacement. Ils auraient dû tirer beaucoup plus d’informations de ce vieil homme. Aussi, l’absence de coopération le surprenait, alors qu’ils étaient mandés par ce même bourgmestre. Ce n’est pas comme si les shinobis s’étaient imposés. Une lueur de compréhension naquit dans le regard émeraude de Sarouh.
- Nous avons un précédent avec ce village ?
- Pas à ma connaissance répondit Kurimi en faisant non de la tête. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Je crois qu’il nous accuse de nous créer des missions pour leur extorquer de l’argent. Gensou l’a sûrement déjà fait, je peux comprendre sa méfiance.
Kana et Dozo portèrent sur lui un regard choqué, alors que Kurimi garda le silence avec un air sérieux. Qu’elle n’ait pas immédiatement démenti en disait long sur sa pensée.
- Maintenant la question serait pourquoi est-ce qu’il pense ça. On l’a probablement aidé un peu à se faire son idée.
- Ce n’est pas le sujet, balaya la Jounin. Tu aimes les puzzles, tant mieux pour toi, mais ça ne nous avance pas sur les raisons de notre venue ici.
Le Tsumyo tiqua mais ne dit rien. L’illusionniste en herbe avait pourtant l’impression que c'était le plus important. Kana répéta les maigres informations que le bourgmestre avait bien voulu communiquer, mais cela n'avait aucune valeur ajoutée sur leur ordre de mission. Autant dire qu’ils étaient toujours au point mort.
- Vous avez demandé le lien entre les victimes ? demanda Sarouh
- Aucun, d’après lui. Pas les mêmes familles, pas les mêmes cercles d’amis.
- Et les activités ?
Le regard de merlan frit de la montagne agaça prodigieusement le Genin aux cheveux bleus. Kurimi dut le sentir puisqu'elle prit le relai.
- Il faut être plus méticuleux sur la prise d’information vous deux. Autre chose ?
- Il nous a parlé d’une légende parlant de fantômes dans les environs, quelque chose en rapport avec une présence dans les marais et des disparitions qui auraient déjà eu lieu il y a quelques générations, mais lui-même n’y croit pas. Sa théorie conspirationniste sur Gensou lui semble bien plus probable.
Sarouh continuait à mâchonner les contours de son pouce en regardant le sol tout à sa réflexion. Le phénomène s’était sûrement déjà produit. Les légendes dépeignent souvent des réalités que l’on ne parvient pas à expliquer. Malheureusement, ça ne démentait pas la théorie de l'incident monté de toute pièce. Mais Gensou les aurait prévenu s’ils étaient supposés manipuler les locaux. Ou alors était-ce un test ? Il jeta un œil à la Jounin, qui réfléchissait de son côté. Il doutait franchement qu’elle soit dans le coup, mais il fallait s’attendre à tout.
- Et les lieux des disparitions ? demanda la vétéran après quelques minutes.
- Nous avons un pêcheur qui allait vers la rivière en amont, un chasseur disparu en forêt. Une histoire de cueillette pour la troisième personne.
- La quatrième était une religieuse, elle aussi partie en cueillette, mais de plantes médicinales cette fois, compléta Kana devant l’expression tendue de son camarade.
- Je vois.
Le Tsumyo étudia la moue pensive de la Jounin. Apparemment Kurimi avait une piste. Elle lui donna raison en affichant un sourire carnassier.
- J’ai ma petite idée. Suivez-moi.
Sans un mot, ils s’équipèrent et partirent en forêt. L’incident “Nuée” leur avait appris l’obéissance aveugle constata l’adolescent. Il se rendit compte de la modification qui s’était opérée en lui depuis Chikara. Lui qui se donnait corps et âme pour se conformer aux besoins de son Village n’était plus que méfiance affichée et rejet de l’ordre établi. En son for intérieur il rit jaune. Que l’on ne s’étonne pas de créer des sceptiques dans un environnement qui apprend aux enfants que la réalité est peut-être l'arme de leurs adversaires. Pourtant, ses confrères acceptaient sans problème la situation. Il ne put s’empêcher de sentir l’exaspération monter, teintée d’une pointe d'envie.
Toute la journée, la Jounin les balada dans les environs sans leur expliquer. Ils écumèrent forêts et rivières, grottes et collines. Le petit groupe épuisé revint ensuite à son point de chute, toujours dans le silence total. L’ambiance s’était tendue. Le duo qui avait interrogé le maire devait se sentir coupable, là où Sarouh était trop fatigué pour faire un effort de conversation.
A la nuit tombée, l’escouade se rejoint autour du feu, prête à enfin entendre le résultat de leur crapahutage. Suivre la vétéran toute la journée était épuisant et les Genins espéraient avoir au moins un élément de réponse.
- Je pense avoir compris qu'elle affliction touche cet endroit, commença-t-elle l'air grave.
Les adolescents se jetèrent un regard, étonné. Comment avait-elle saisi ce qui s'était passé alors que personne n’avait été retrouvé. Des traces leur auraient-elles échappées ?
- Il s’avère qu’il existe une forme rare de spore capable de prendre le contrôle de corps d’animaux et encore plus rarement, d’humain, si les conditions sont réunies.
La stupeur ne fit qu’augmenter chez les jeunes shinobis. Ils n’avaient jamais entendu parler d’une telle menace, ce qui était étonnant vu le degré de dangerosité d’une telle espèce. Kurimi poursuivit :
- Ces champignons ont besoin de temps et souvent de la collaboration d’autres espèces pour réussir à infecter des animaux, qui servent alors de vaisseau pour s’installer alors. En général, ce sont les petits insectes et rongeurs qui sont affectés.
- Une espèce dotée de Chakra naturel aurait été infectée, menant à une évolution du mécanisme ?
Kurimi hocha de la tête, surpris par la perspicacité du Genin. Le silence dû lui donner envie de s’expliquer, car il reprit :
- Ce n’est pas la première fois que cela arrive. C'est le même phénomène qui a donné naissance à la Nuée, qu’on a eu la chance de rencontrer plus tôt et certaines espèces sont devenues géantes de cette manière aussi. Les spécialistes disent qu’on doit ça aux dragons.
Le regard de Kana scintilla, tandis que Dozo semblait perplexe.
- Donc ces gens sont contrôlés par ces spores quelque part ?
- Est-ce qu’ils sont encore vivants au moins ?
La voix de la kunoichi tremblait en posant la question. Si la Jounin les avait réuni, ce n’était pas uniquement pour les briefer, comprirent soudain les adolescents à l'unisson. Ils n’allaient définitivement pas aimer la suite.
- Nous n’en savons rien, expliqua la Jounin. Dans ce cas de figure, Gensou a systématiquement choisi l’éradication de la menace.
- Mais c’est inadmissible ! Il faut sauver ces gens, s'écria Kana.
Sarouh fit non de la tête et souffla un bon coup avant de répondre, coupant l’herbe sous le pied à la Jounin qui cherchait sûrement encore une réponse diplomatique.
- Tu prends le problème comme ça t’arrange.
- Excuse-moi ?
- Nous ne savons rien de leur état de conscience, continua le Tsumyo qui affronta le regard chargé de rage de sa camarade, nous ne savons pas s’ils souffrent, nous ne savons pas s'ils sont vraiment sauvables.
- On pourrait les ramener à Gensou et…
- Et ramener un élément infectieux au Village ? La coupa immédiatement Sarouh. Imagine le désastre si un shinobi venait à être contrôlé par cette chose.
- Mais, on ne sait même pas si c’est possible !
Kana hurlait désormais, les poings serrés. Le coeur de l’illusionniste se serra. Il ne voulait qu’une chose, la rassurer et l’empêcher de le détester. Pourtant, il finit la conversation, impitoyable.
- Précisément. On ne sait pas. Tu mettrais nos familles en danger ? Il y a une raison si Gensou choisit systématiquement l’éradication.
- Après tous tes discours sur le libre arbitre, tu te ranges à l’avis du Village dès que c’est difficile ? cracha Kana, écoeurée.
- Je dis que Gensou ment des fois. Pas qu’ils sont systématiquement dans l’erreur. Réfléchis.
Ce fut la remarque de trop pour la kunoichi qui fut sur l’illusionniste d’une détente, prête à frapper. Le Tsumyo ne réagit pas à temps et encaissa. Peut-être qu’il le méritait. Projeté au sol, il se prépara à un deuxième coup qui ne vînt pas.
- ça suffit, grogna Kurimi, tenant fermement le bras de Kana. Vous vous êtes fait assez de mal comme ça. La position de Gensou est l’élimination. C’est donc ce que vous ferez, dès demain. À ce niveau, le sujet est clos.
Sarouh la fusilla du regard. Préciser ça dès le départ lui aurait sûrement évité une droite. Puis il vit Kana prostrée sur elle-même et le regard de Dozo perdu dans le vide. Et il réalisa soudainement : demain, ils tueraient pour la première fois. Il voulut rassurer la jeune femme, devant son air défait.
- Tsumyo, deux mots s’il te plaît.
La voix glaciale de la Jounin promettait un autre entretien agréable. Qu'importe, le Genin était certain d’agir pour le meilleur, ils pouvaient le détester. Il n’avait pas besoin d’eux. Alors pourquoi son coeur battait la chamade ? Pourquoi avait-il autant envie de pleurer, alors que la trentenaire le tirait à l'écart du camp, laissant les deux autres Genins se rassurer dans les bras l'un de l’autre ?
Le vent secoua les arbres au loin alors que le tonnerre grondait. L’orage s’approchait. Les yeux du Genin s'arrêtèrent sur les nuages noirs et menaçants au loin, alors que Kurimi l'arrêtait brusquement hors de portée des oreilles de ses camarades.
- Bordel, qu’est ce que tu es en train d’essayer de faire ? explosa la kunoichi d’une voix glacée par la colère.
- Rien de spécial, j’essaie simplement de la faire réfléchir par elle-même.
- Au prix de la réussite potentielle de la mission ?
- Au contraire.
L’illusionniste se retenait de hurler à son tour. Il savait très bien qu’il allait affronter quatre civils infectés et au pire quelques animaux, leur chance d'échec avec Kurimi auprès d’eux étaient nulles.
- Nous allons tuer pour la première fois, c’est le seul but de notre présence. Suffisamment peu humain pour que ça ne soit pas une première expérience trop traumatisante, suffisamment violente pour faire le tri dans les shinobis. Je suis sûr que Gensou a bien réfléchi à son process, cracha le Tsumyo, revulsé.
- Quand bien même !
Sarouh se tut. Elle avait le même regard que lorsqu'elle l'avait frappé à la Cascade. Il la vit respirer un grand coup et se relâcher.
- Sérieusement, Sarouh, je ne te comprends pas. Tu t’entends bien avec elle pourtant.
- Justement. C’est pour ça que c’était important.
L’adolescent détourna le regard. Effectivement, il s'était rapproché de la candide Kana. Sa motivation à surmonter les défis, son ouverture et sa bonne volonté lui rappelait quelqu'un. Et il connaissait la suite de l’histoire.
- Un shinobi doit être capable de faire le pire sans savoir si son Village a raison.
- En quoi remettre en cause l’autorité de Gensou te permet d’arriver à cette fin ? interrogea la trentenaire d’une voix calme, presque douce.
- Parce que je pense que notre politique est mauvaise. Elle nous condamne à perdre nos ressources les plus intelligentes. Ici, le choix est facile, Kana s’en remettra et se rangera à l’avis de nos dirigeants. Mais ça ne sera pas toujours le cas.
- Mais ça ne plante précisément pas les graines de la révolte, ce genre de discours ?
- Vaut mieux qu’elle serve avec conviction, sinon elle mourra. Si elle doute, Gensou l'exécutera sans sourciller. Elle doit apprendre à se remettre en conscience à son Village.
Pour la première fois de la discussion, Kurimi vacilla. Il n’y avait plus aucune trace de colère. Ce que Sarouh vit en relevant la tête était bien pire : de la pitié.
- Tu es un petit con bouffi d’orgueil qui croit tout savoir. Tu ne comprends rien à la puissance d’une chaîne de commandement efficace, ni à l’importance de la soumission des troupes.
- Mais je n’hésite pas. Les gens qui hésitent meurent.
- Tu dis ce que tu veux pour servir ta vision du monde. Tu n’es qu’un crétin.
- Mais je suis en vie, répondit obstinément le Genin. Et je le resterai.
- Pas pour longtemps si tu restes seul.
“Je préfère mourir et la savoir en sécurité” pensa l’adolescent. Mais il se tut avec un regard de défiance. Il avait raison. Peu importait la colère et la souffrance des autres pour le moment. L’émeraude tremblait face à l'afflux de sentiments contradictoires.
- Réfléchis Sarouh. Pourquoi les choses les plus simples sont-elles les seules à tenir dans le temps ?
Le Tsumyo fut sur le point de répondre que Kurimi lui mit une petite claque derrière la tête et retourna vers le campement. Apparemment, elle était certaine d’avoir eu le dernier mot.
Demain, il tuerait pour la première fois et il serait seul pour affronter ça. Le Genin leva les yeux au ciel, qui se mit à pleurer pour lui.
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