08 - Le meurtre de l'Innocence
Sarouh tremblait dans le noir, le vent chargé d’humidité des marais transperçait sa tenue fine de shinobi, le contact avec la vase détrempée n’arrangeait rien. Pour autant, le froid n’était pas la raison de ces mouvements incontrôlés. Le Genin avait peur. Seul dans les ténèbres, il allait bientôt devoir frapper. Kana et Dozo formaient une unité à part, éloignée de lui. Punition à la Kurimi. La Jounin avait considéré que s’il ne voulait pas de cohésion dans l’équipe à ce point, il pourrait bien se débrouiller tout seul. Bien sûr, la Jounin accourerait en cas de problème réel, mais c’était surtout une leçon d’humilité que la trentenaire lui donnait là.
La thèse du parasitage avait été avérée suite à la dispute par des incursions nocturnes dans les marais. La maîtresse des éclairs avait rapidement déterminé les endroits où les champignons auraient pû réunir leurs victimes. Les animaux ensorcelés par les spores se regroupaient selon des schémas déjà documentés dans les Villages. Après deux jours de mobilisation dans la forêt d’Higaisha, il était temps d’en finir.
L’escouade était donc divisée entre deux points d'intérêt, séparés d’un petit kilomètre. L’essentiel des petits animaux étaient regroupés au Nord, là où trois humains contrôlés avaient été découverts au Sud-Ouest, où se trouvait Sarouh. Le message était clair.
Le Genin aux cheveux bleus avança en rampant pour se dégager un peu la vue. Il allait bientôt être temps d’intervenir, certitude vite confirmé par un grésillement dans son oreille droite. De là où il se trouvait, la Jounin était la seule à être à portée.
- Tu es en position, Tsumyo ?
- Oui, visuel confirmé dès maintenant.
Effectivement, l’adolescent avait désormais en vue la personne qu’était devenue Haguri Imichi. La jeune femme de vingt six années, ayant donné sa vie à la religion, était devenue une enveloppe vide, le corps se déplaçant laborieusement. Son visage était agité de tics asymétriques et de contractions inattendues. Il n’y avait aucune trace de vie dans son regard, alors que sa tenue religieuse souillée et déchirée finissait de dépeindre ce morbide tableau. Apparemment, sa fonction était de monter la garde. Un violent écoeurement prit le Genin qui crut vomir. Puis une colère sourde s’empara de lui. Il détestait ce foutu parasite, le Village qui l’obligeait à faire ça, la Jounin de l’avoir abandonné.
- Tu sais ce que tu as à faire.
La bruine se remit à tomber, tel un rideau final sur leur conversation. Le mauvais temps les poursuivait inlassablement, ouvrant sur le terrible acte suivant. Sarouh se sentit soudainement très vide, alors qu’il se relevait. Une espèce de torpeur surnaturelle l’envahissait. Il n’y avait que la mission, son ressenti ne comptait pas. Il envoya immédiatement des shurikens qui se plantèrent dans la chair de la religieuse. Un cri déchirant s’échappa du corps qui s’élança sur lui, à sa grande surprise. Dans les fourrées devant elle, de petits animaux se ruaient aussi sur le Genin.
Le sang coulait à flot des plaies d’Haguri mais cela ne semblait pas la stopper. Sa vitesse était tout à fait anormale aussi. Plusieurs rats et un chien de chasse tentèrent de l’encercler. Le Tsumyo comprenait peu ou proue ce qui se passait. Cela allait être plus pénible que prévu. Il dégaina Aura et ne fit qu’un avec son en. La bulle de Chakra était désormais assez large pour l’entourer confortablement.
La danse macabre commença. Les animaux tentèrent de le prendre en tenaille dans différentes combinaisons, mais tout leur instinct de meute ne suffit pas. Il tranchait un membre à chaque tentative, frappait comme l’éclair et esquivait sans mal. Il fut vite recouvert de sang, alors que sa lame ne cessait de tailler dans la chair des victimes possédées. Il ne s’était pas déplacé d’un centimètre.
Le corps de Higuri vit une faille et se jeta sur lui. Elle n’était déjà plus qu’un moyen de véhiculer le spore, ces grognements n’avaient rien d’humain, le corps agonisant de la jeune femme propulsé contre sa volonté vers le shinobi. Il planta son arme dans son cœur, alors qu’elle avançait ses bras pour l’étrangler. Une seconde, leurs yeux se rencontrèrent et dans la douleur, il vit une lueur étrange briller dans le noisette de son iris. Puis plus rien.
- Elle était déjà morte.
Il ne murmura que pour lui-même, la voix aussi blanche que sa peau. Il continua d’avancer. Les champignons utilisaient leurs hôtes pour se déplacer, mais il devait également brûler totalement les souches primaires pour éviter d’avoir à revenir immédiatement. Sentant la menace, toutes les créatures parasitées étaient venues protéger l’endroit.
Sous la pluie et le sang, le shinobi progressa calmement en marchant vers le centre du nid, éliminant toutes les créatures. Il avait une mission. Il ne sourcilla pas lorsque les deux autres disparus se jetèrent sur lui. Il agissait mécaniquement, brutalement et sans sentiment. Aucun plaisir, aucune tristesse alors que les cadavres sectionnés chutaient devant son regard éteint.
Quelques minutes plus tard, toute la zone brûlait dans un feu particulièrement vorace, enclenché à l’aide d’un parchemin. Devant la zone dévorée par l’incendie, couvert de sang et de tripes, Sarouh eut envie de se laisser tomber dans la boue. Après un long moment, il revint tel un automate vers le campement, sans même avoir l’idée d’utiliser la radio. Sa mission était accomplie. Pourquoi le soulagement ne venait pas ?
*****
Le Tsumyo ne se souvenait pas être rentré au camp. Ni avoir discuté avec Kurimi qui l’examina pour s’assurer de son état de santé. Ses sinus étant parfaits sous le masque de cuir noir, la Jounin l’avait relâché sans un mot, attendant que Kana et Dozo terminent leur sinistre besogne.
Ils revinrent dévastés. Leurs visages creusés par la fatigue, des larmes avaient sillonné la peau bien trop pâle de la kunoichi, là où les yeux rouges de son compagnon trahissaient sa faiblesse. Vide, Sarouh ne leur dit rien. Kana sembla vouloir lui parler, mais se tut.
- Qui est-ce ? fit la Jounin derrière lui.
En effet, dissimulé derrière Kana se trouvait un enfant. Il arrivait péniblement à la taille de la jeune femme, sa peau était encore plus blanche là où elle n’était pas recouvert de boue, ses cheveux hirsutes cachaient ses yeux et ses haillons étaient déchirés. Nul besoin d’un examen approfondi pour comprendre qui il était. Il était entravé par une corde de chanvre soigneusement emmêlée dont les nœuds ne laissaient qu'une liberté de manœuvre marginale.
- Il n’est pas sur la liste des disparus, commença Dozo d’une voix faible.
- Et alors ? Les contraintes sont les mêmes.
- On ne peut pas au moins leur présenter ? Quelqu’un doit faire son deuil à Higaisha.
Sarouh croisa le regard de Kana. Elle suppliait presque. Mais l’adolescente était forte. Le poids de sa mission s’abattait sur ses épaules mais elle tenait bon.
- Nous ne pouvons pas le sauver.
- Je sais, répondit simplement la Genin, défaite.
- Éliminons le près du village. Ils procéderont ainsi à l’identification sans risque.
La troupe hocha la tête et avança vers Higaisha la mort dans l’âme. Les grognements étouffés de l’enfant transperçaient le petit groupe plus certainement que la plus aiguisée des lames. La marche dans la boue fut laborieuse. Le groupe traînant le parasité comme un boulet, ils devaient aussi prêter attention aux autres menaces de la forêt.
Après un moment qui leur sembla une éternité, l’escouade fut aux portes du bourg. La trentenaire, glaciale, leur demanda d’une voix qui ne souffrait aucune contestation :
- Qui se dévoue ?
Un ange passa. Kurimi soupira, mais Kana s’avança, déterminée à la surprise générale. Pourtant, elle fut dépassée. En un éclair, Aura décapita net l’enfant. Dans le même geste, Sarouh se débarrassa du sang sur sa lame qu’il rengaina devant le regard estomaqué de ses compagnons. Il ne voulait pas qu’elle souffre davantage.
- Toi ! Je te déteste, t’es impossible !
Une incompréhension passa dans les yeux du Tsumyo. Il pensait alléger son fardeau. S’était-il arrogé un droit qu’il n’avait pas ? Il la poussait à prendre ses responsabilités, la Genin hurlait, il la protégeait, même résultat. L’adolescent aux cheveux cobalts ne comprenait pas.
- Tu aurais souffert plus que moi. Je me suis arrangé pour qu’il n’ait pas mal. Ce n'est pas pour le mieux ?
La voix de Sarouh se brisa dans le vent. Il dût se retenir de pleurer. La colère de la Genin ne cessa pas, elle se contenta de tourner les talons avant de hurler en partant.
Dozo la suivit en crachant par terre en jetant un regard au Tsumyo. Il sentit son cœur se serrer si fort qu’il se ratatinait. Une main compatissante se posa sur son épaule alors que la Jounin le rassurait :
- C’était une bonne décision. Je te remercie.
Il croisa le regard de Kurimi. C’était la seule qui comprenait. L’ironie de la situation le mordit avec virulence.
- Reste ici, je vais m’entretenir avec le bourgmestre. Notre mission est finie, mais ne te relâche pas trop. L’expédition ne s’achève qu’au seuil de ta maison.
Il détourna le regard, qui tomba sur le corps parfaitement sectionné en deux de l’enfant, désarticulé dans la boue. Il voulut à nouveau pleurer, mais rien ne vint. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? La Jounin s’en alla, le laissant seul avec ses sombres pensées, incapable de bouger sous la pluie.
Le temps sembla s'arrêter pour l’adolescent figé. Il ne sentait plus le froid, le soleil de midi échouant à percer les épais nuages. Sa vue s'était troublé alors qu’il se retrouvait enfermé dans sa tête. Il ne vit même pas ses compagnons revenir, ne réagissant qu’à la délicate poussée sur le côté de la Jounin pour permettre au bourgmestre d’examiner le corps. Il fit non de la tête et Kurimi y mit le feu sans plus de ménagement. L'éclair bleu frit immédiatement la chair de l’enfant et un petit feu se déclara autour de lui, vite éteint par la fine pluie et l’herbe détrempée. Le bourgmestre eut un haut le cœur alors que l’impitoyable Jounin continuait la conversation. Elle se vengeait de ses propos sur l’inutilité des shinobis, comprit à moitié le Tsumyo hébété. Qu’importe. Il leva la tête vers le ciel. Mais qu’est-ce qu’il fichait ici déjà ?
- Il est plus difficile d’avoir la force de ses convictions que tu ne le pensais, n’est-ce pas ?
Un regard vitreux fut la seule réponse qu’obtint la Jounin. Combien de temps s’était écoulé depuis le départ de leur client déjà ? ll faisait déjà nuit. Depuis quand essayait-elle d’obtenir son attention ? Sarouh avait oublié le retour au campement à nouveau. Kana et Dozo semblaient aller mieux, mangeant péniblement autour du feu.
- Tu en verras d’autres, continua Kurimi à voix basse. En ce qui me concerne, tu as bien fait pour l’orphelin. Ils n’étaient pas prêts.
- Moi non plus, répondit automatiquement le Genin.
- Je sais. J’espère que tu as retenu la leçon.
Il hocha la tête. Le Genin aux cheveux bleus sentit qu’il était supposé se mettre en colère, mais n’y parvint pas. Pourtant, il prononça la dernière phrase de son voyage :
- Je le referais s’il le fallait.
Kurimi ne répondit pas à ça, lui jetant simplement un regard énigmatique. Manifestement, ils ne se comprendraient jamais. Sarouh crut y lire un semblant de respect mêlé à de la pitié. Jamais il ne s’entendrait avec elle. La Jounin dût penser quelque chose de similaire car elle partit rassurer Kana.
Le lendemain d’une nuit sans sommeil, la troupe revint à Gensou. Sans interruption, ils avancèrent en marche commando. Il était primordial de rentrer vite selon leur chef. Sarouh ne voyait pas pourquoi mais était trop vide pour l’énoncer. Finalement, l’escouade arriva aux Villages. Le Tsumyo sentit ses coéquipiers se détendre imperceptiblement. Pour eux, le cauchemar était fini.
- Kana. J’ai deux mots à te dire. Non, restez, ajouta la Jounin en voyant Sarouh et Dozo commencer à s’éloigner. C’est bien d’avoir des idéaux, mais tu as oublié d’essayer de trouver une mesure concrète en leur application.
- Comment ça ?
- Suite à l’identification de l’orphelin, j’ai parlé au bourgmestre. Je leur ai dis que s’ils voulaient vraiment qu’on puisse les aider, il fallait nous autoriser à récupérer les parasités et à faire des expériences dessus. Je vais tenter de convaincre Gensou désormais.
Il était difficile de comprendre les émotions qui se bousculaient sur le visage de Kana. Honte, gratitude, douleur ? Tout se mêlait en une moue crispée. L’espace d’un instant Sarout crut même qu’elle allait pleurer.
- Tsumyo, à l’inverse, tu ne protèges personne avec ton comportement actuel. Réfléchis à ce que tu veux vraiment, pour toi comme pour les autres.
Il hocha la tête. Au fond incapable de comprendre ce qu’elle disait, il sentait qu’une vérité se cachait dérrière ses propos. Kurimi, malgré la froideur qu’elle avait pour lui, continuait de veiller sur le Genin.
- Enfin, Dozo. Tu as subi du début à la fin cette mission. Tu ne sais ni suivre ni diriger. Apprends à faire confiance aux autres et à mettre ton égo de côté quand il le faut. A l’inverse, ne doute pas quand tu es certain. L’hésitation ne te mènera nulle part.
La montagne de muscles s’écrasa sur elle même, preuve que la kunoichi avait raison. Sarouh, empêtré dans ses griefs personnels avec lui, n’avait pas réussi à percevoir la faiblesse du Genin. La Jounin fit un geste pour envoyer l’équipe chez eux et officiellement terminer cette épreuve. Alors que le Tsumyo se retournait, elle glissa à son oreille avant de disparaître dans le vent :
- Reviens ici, demain matin, à l’aube.
Il ne pu lui dire qu’il n’en avait aucune envie. Il détestait Kurimi de tout son être. Pourtant, il su qu’il irait. L’adolescent rentra chez lui et déclara d’une voix feme qu’il était de retour. Dans la petite maison peu éclairée par le soleil, un silence de tombe lui répondit. Il s’effondra sur la porte et enfin, pleura à chaudes larmes.
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