09 - Tenir bon

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  • Je t’attends.

  Alors que Sarouh entendait ces mots portés par le vent, il composa des Mudras à toute vitesse. Il mobilisa sa rage en une puissante énergie destructrice, avant d’inspirer et souffler une puissante bourrasque, qui projeta un mannequin à taille humaine sur le sujet de sa colère.

  • Pas trop mal.

  Kurimi avait repoussé l’objet d’un revers de la main, l'encastrant avec violence dans le sol meuble, éclaboussant les alentours. Cela faisait des semaines que ce monstre l'entraînait, sans rien demander en échange, ni vraiment discuter avec le Genin. Avec l’autorité d’un chef d'escadron, elle avait passé son temps à l’invectiver et à le pousser à apprendre sa nouvelle compétence. Le Tsumyo avait enfin sa deuxième affinité à disposition. Ces sessions infernales étaient donc finies, déduisit l’adolescent.

  La Jounin vint à ses côtés, alors qu’il s’asseyait, haletant. Son manque de maîtrise le poussait vite à ses limites, ne disposant pas de beaucoup de Chakra. Grand mais peu musculeux, doué mais maladroit, fort mais vulnérable, la recrue était un paradoxe. Kurimi ne savait jamais sur quelle face de la pièce elle tombait.

  • Comment est-ce que tu te sens depuis la mission ?

  Sarouh leva la tête et dans son regard se trouvaient toutes les réponses qu’elle cherchait. Défi, colère, tristesse se mêlaient dans l’émeraude de ses yeux, une expression pincée et fatiguée plaquée au visage. Tous les progrès qu’il avait effectués n'avaient pour seul but de ne plus voir Kurimi.

  • Tu as revu tes parents depuis ?

  Le Tsumyo fit non de la tête. Ils étaient effectivement passés, mais aucun réel échange n’avait eu lieu. Ils étaient épuisés, Sarouh était fermé à la conversation et le silence avait triomphé dans la demeure familiale. Depuis l’incident Cacaunoy, un mur s’était installé entre eux. Facile de comprendre la dynamique. Plus le temps passait et pire la situation se trouvait. Immédiatement renvoyés en mission, aucun des soutiens du Genin n’avait l’énergie de s’occuper de lui et il ne leur simplifiait pas la tâche, convaincu qu’il ne serait pas compris quoi qu’il advienne.

  • Te souviens-tu de nos échanges lors de la mission à Ahagashi ?

  Il hocha la tête, prêt à une dispute. La Jounin et lui avaient passé leur temps à se disputer. Il était difficile d'imaginer une conversation agréable. Pour Sarouh, la décapitation de l’enfant avait été le point final de leur discorde. Le Genin ne s’imaginait pas avoir à revenir là-dessus.

  • Tu vas devoir décider pour quoi et pour qui tu te bats, Tsumyo.

  La remarque le surprit. Il avait du mal à croire que Kurirmi Asahi s’inquiète de son bien-être. Même si c’était la seule à s’être réellement occupée de lui depuis des semaines. Le Gensouard se rappelait les regards acides, les remarques tranchantes et la haine manifeste de la Jounin à son propos durant la mission.

  • Tu as décidé pour toi-même ce qui était juste. C’est très bien en soi. Mais tu ne trouves pas ton comportement contradictoire ?
  • A quoi vous faites référence ? grinça des dents l’illusionniste
  • Toujours le vouvoiement, n’est-ce pas ? ironisa la Jounin pour dédramatiser, remettant en place une mèche de cheveux désormais un peu trop longue de la main. Ravie de constater que tu peux toujours ouvrir la bouche, je commençais à en douter.

  Sarouh garda le silence, attendant que la Jounin veuille bien aller à l’essentiel. Satisfaite d’avoir piqué sa curiosité, elle continua calmement :

  • J’ai eu un peu de mal à saisir où tu voulais en venir pendant toute l’expédition. D’un côté, tu fais tout pour que ton équipe te déteste, de l’autre, tu te sacrifies autant que possible pour la protéger.
  • Seulement Kana. Je me fichais de l’autre débile.

  Un éclair de douleur traversa sa tête à la suite de sa réflexion. Kurimi, toujours toute sourire, venait de lui mettre un coup derrière la tête qui l'avait envoyé contre le sol.

  • Non seulement tu te mens à toi-même, mais en plus tu es irrespectueux, répondit la trentenaire alors qu’il se redressait péniblement. Tu n’as pas arrêté de lui donner des leçons malgré ton inimitié pour lui. Et tu as protégé Kana autant que tu le pouvais. Si elle te détestait, tout était plus facile pour elle.
  • Je ne vois toujours pas où est la contradiction, grogna Sarouh en massant sa tête endolorie.
  • A chaque fois que tu te sacrifies pour quelqu’un, tu perds une part de toi. Celle qui a disparu avec le petit garçon ne reviendra jamais.

  Le Tsumyo n'eut pas besoin de répliquer cette fois. L’orphelin et son adorable visage poupin, déformé par les contractions dûes au parasite, couvert de boue et drainé par le fongus lui revenait parfaitement en tête. Toutes les nuits, la tête roulait dans la boue avant que les deux yeux grands ouverts de l’enfant ne le juge sous la pluie battante. Un cauchemar de plus s’était ajouté aux habitués de ses enfers nocturnes.

  • Où voulez-vous en venir ?
  • Combien de temps tu penses tenir, à cette cadence ?

Parce qu’il avait besoin de le faire ? L’adolescent aux cheveux bleus n’en était pas sûr.

  • Bientôt, tu n’auras plus personne pour lesquelles te sacrifier. C’est ce que tu recherches ? Quand bien même par miracle quelqu’un voudrait de toi malgré tes rejets répétés, est-ce que tu acceptes de t’affaiblir encore et toujours au point de ne plus être capable de faire quoi que ce soit pour elle ?

  Les mots étaient brutaux. Effectivement, Sarouh était seul. Le cœur en miettes, il détestait son Village et ses parents. Il haïssait son équipe précédente. Un feu s’embrasait dés qu’il pensait aux Maboroshi, clan dominant de la Cascade qui avait sans mal couvert Masiku. Il ne voulait plus se battre pour eux.

  • Peut être que si je continue comme ça, je n’aurais plus à me continuer très longtemps.
  • Ou alors, ça durera longtemps et ta souffrance n’aura aucune limite.

  L’illusionniste leva les yeux sur Kurimi. Il la haïssait du plus profond de son âme elle aussi. Pourtant, il sentait qu’elle avait raison.

  • Choisis ce que tu veux, continua-t-elle, imperturbable. Soit tu protèges et dans ce cas tu acceptes de former des liens, soit tu continues tout seul et tu ne serviras bientôt plus personne.
  • Pourquoi vous me dites ça ?
  • Parce que je déteste que les petits cons donneurs de leçons dans ton genre s’en sortent si facilement. Ou peut-être bien que je te vois un potentiel. Qui sait ?

  Elle avait ponctué sa tirade d’un petit sourire. La Jounin lui servait le même plat qu’il avait offert à Kana. L’Akimishi ne pouvait qu’en détester la saveur, réalisa Sarouh. Effectivement, il n’était pas cohérent, mais doutait que cela soit suffisant pour justifier l’intérêt de la Jounin.

  • Il n’y a pas que ça.

  Kurimi ne répondit pas et bondit sur ses jambes. Elle redressa le mannequin précédemment enfoncé dans le sol d’une simple tape avant de lui tirer la langue comme une enfant.

  • C’est un secret. Tes leçons sont finies en ce qui concerne ta première capacité. Je doute que tu veuilles me revoir.
  • Pas tellement non, ne put s’empêcher de répondre immédiatement Sarouh.
  • Réfléchis tout de même à ce que je t’ai dit.

  Et elle disparut dans un nuage de poussière. Cet inutile mouvement dramatique énerva le Genin. Il la soupçonna un instant d’avoir fait exprès. Il y avait forcément une autre raison à la protection qu’elle lui accordait, mais ne pouvait pas vraiment deviner. Peut-être le Village le testait-il ? Ou était-ce une amie de ses parents ? Ou pire, d’Asori ?

  Il nia vigoureusement de la tête à cette pensée improbable. La Jounin avait été claire en le sortant de l’équipe Mizu. Inutile de fantasmer sur une éventuelle marque d’affection transitive. Pourtant, à travers toute la haine qu’il lui vouait, l’insolente sensei lui manquait. Le Tsumyo se souvint de son test, de son étreinte à l’hôpital et de leurs entraînements. Chiraku et Cacaunoy aussi avaient laissé un gouffre douloureux.

  Il allait devoir faire un choix. Se fermer au monde ou protéger ceux qui comptaient, il ne pourrait pas faire les deux au risque de n’en réussir aucun. Sarouh cracha au sol en se redressant. Il détesta Kurimi de l’avoir forcé à voir ça. Ce n’était pas comme s’il avait eu une révélation à cause d’elle. C’est juste qu’il avait réussi à enfouir son visage dans le sable plutôt correctement jusque là.

  • Intéressante ta sensei.

  Le Tsumyo fit un bond. Saya. Sa sale manie de lui donner un arrêt cardiaque à chaque apparition n’avait apparemment pas disparu.

  • Qu’est-ce que tu fous là ? Et qu’est-ce qui la rend si intéressante ?
  • Retour de mission. Je décompresse souvent par ici d’habitude.

  La petite rousse montra du menton un arbre du terrain, dont les branches épaisses permettaient sûrement un bon repos à la féline Chuunin.

  • Je dormais souvent ici à la place des cours.

  Sarouh retint un sourire. La glaciale espionne de l’escadron d’Irumi ne cessait de le surprendre. Il avait eu de la chance de ne pas la croiser plus tôt, il pouvait être certain qu’elle aurait ruiné son entraînement.

  • Et Kurimi est une petite sommité à Gensou tu sais. Elle était dans une équipe redoutée il y a peu encore. Et elle maîtrise à la fois l’art des sceaux et celui du ninjutsu à des niveaux impressionnants. Surtout pour une femme sans clan.

  La jeune femme laissait même son ton indiquer qu’elle était impressionnée. Le Tsumyo avait de la réussite côté encadrants apparemment. C’était la première fois que l’éclaireuse rousse était aussi bavarde, constata aussi le Gensouard.

  • Une bonne nouvelle ? demanda-t-il sans trop y croire.
  • Peut-être bien, lui sourit Saya, à son grand étonnement.
  • Comment va, champion ?

  Sarouh se retourna et aperçu Hitaro, tout sourire. Il avait l’impression de ne pas avoir vu le blond depuis une éternité. Entre sa blessure et les missions qui avaient repris immédiatement ensuite, le puissant guerrier qui avait encaissé l’attaque de la Wyverne avait disparu de la circulation. Le Tsumyo avait presque envie de lui sauter dans les bras. Une part de lui culpabilisait encore des événements qui avaient failli mener le Chuunin à sa perte.

  • Moins bien que toi apparemment, tu as l’air en forme.
  • C’était pas ce sale reptile qui allait m’avoir, fit-il en remuant l’épaule comme pour prouver ses dires. Qu’est-ce que tu fais là, d’habitude c’est nous qui nous entraînons ici ?
  • Saya m’épie depuis tout à l’heure, je la laisse vous dire.
  • Laisse moi deviner, fit une autre voix féminine, juste derrière le Genin. Ninjutsu ? Monsieur s’est enfin lancé avec sa deuxième affinité ?

  Irumi. Les poils de Sarouh s’hérissèrent et il bondit instinctivement, comme s’il était en combat, déclenchant l’hilarité de la jeune femme. Pour l’occasion, sa partenaire de jeu s’était faite blonde, les yeux au bleu du ciel ressortant sur son pâle et fin visage. Attirance et menace submergèrent le Genin.

  • Je vois que tu as bien appris ta leçon. Mais je te crois trop fatigué pour être intéressant maintenant.

  Sarouh ne pouvait lui donner tort. Kurimi l’avait vidé. Savait-elle que l’équipe de Chuunins s’entraînait souvent là ? Connaissait-elle ses liens avec les autres ? La coïncidence semblait trop belle. Il se remémora ses paroles. Inspirant profondément, le Tsumyo décida.

  • Je peux rester ?

  Irumi lui fit non du doigt, remuant nonchalamment son index en un refus aussi provocateur que douloureux. Alors qu’il s’apprêtait à s’en aller, déçu, la jeune femme l’arrêta et lui confia comme un secret à l’oreille :

  • Reviens demain, j’ai hâte de voir tes progrès.
  • J’espère que tu ne seras pas déçue.
  • Je te le souhaite.

Avec un sourire de défi, le Genin s’en alla et rentra joyeusement chez lui. Il avait choisi.

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