10 - Héritage

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  Sarouh progressait prudemment dans les rues obscures et sinueuses, insalubres et menaçantes, typiques des bas-quartiers. Il avait pris l’habitude d'y errer les dernières semaines après un innocent conseil d’Irumi. Développe ton propre style lui avait-elle dit. Si l'adolescent aux cheveux bleus avait d'abord pensé que c’était plus facile à dire qu'à faire, l’illumination lui était venue. Et si personne ne voulait s’entraîner avec lui, il n’avait qu’à faire ses tests sur les pauvres hères des quartiers défavorisés.

  Le Gensouard sélectionnait tout de même ses victimes. Sa propre apparence dissimulée par une illusion, il engageait la conversation avec les hommes et femmes dont le comportement était le moins respectueux de l’ordre. Justicier à la manque, il lui avait bien fallu un critère.

  Le but de son nouveau jeu était de s’entraîner à la suggestion. S’il avait compris comment envoyer quelqu’un dans une illusion calibrée par ses soins, l’apprenti genjutsuka voulait essayer quelque chose de plus subtil. Amplifier des états déjà présents permettrait de ne pas voir ses modifications dissipées par le kai et donc de conserver des illusions même sur des possesseurs de Dojutsu qui devraient pourtant y être insensibles. Sarouh avait également mené des recherches sur les pattern de régulation du Chakra, les rythmes élémentaires et de vieilles théories poussiéreuses et obscures sur lesquelles des académiciens s'étaient cassés les dents avec plus ou moins de succès. Le rire de Masiku le hantait la nuit, source inépuisable de motivation.

  Il passait le début de ses soirées à influencer des civils. Désir, envie, colère, confiance, tristesse, le Gensouard s'était essayé à tout le spectre émotionnel. Et force était de constater qu’il s’était bien amélioré. Est-ce que ça lui permettrait un jour d’arriver à la cheville d’Irumi ? C’était une autre histoire. La Chuunin était ridiculement puissante. Le trio mené par Hitaro l’avait laissé spectateur d’un de leurs entraînements. Saya et lui s’étaient mis à deux contre un contre la métamorphe. Extatique, celle-ci avait triomphé. Couvertes d'éclairs bleus, elle avait jubilé en envoyant la rouquine valser hors de son nuage de brume illusoire et avait pris beaucoup de plaisir à détruire de manière méthodique les défenses Doton du blondinet. Sarouh ne s’était pas encore tout à fait remis de sa stupeur. Et elle n’était que Chuunin ? Pour lui ça n’avait aucun sens et face à tant de puissance, la doute s’était à nouveau invité en lui.

  Tout le monde avait l’air d’avoir de grands projets pour lui, de ses parents à Irumi en passant par Kurumi. Pourtant, seul l'échec de l’équipe Mizu comptait pour le Tsumyo qui ne voyait qu'un mur infranchissable en face de lui. Comment est-ce qu’il était supposé se convaincre qu'il allait devenir fort alors qu'il était entouré de monstres absolus ? Même avec tous ses progrès, il ne s’imaginait pas une seconde bousculer Asori. Mains dans les poches et sans avoir à bouger de sa position, elle le remettrait à sa place sans souci.

  Ainsi le Genin aux cheveux bleus alternait les phases de désespoir face à des attentes aussi irréalistes qu’imaginaires et la satisfaction de continuer à progresser dans l’art des illusions et de la maîtrise du Chakra. Assidu, il continuait à travailler les différentes formes, arrivant à des niveaux convaincants pour son grade.

  Depuis son retour d’Higaisha, les choses s’étaient lentement remises en place. L’entraînement quotidien, l’escouade d’Irumi et la monotonie avaient permis au jeune homme de réfléchir. Au fond, rien n’avait changé, se persuadait-il. Le soldat désirait toujours se battre pour ceux qu’il aimait et pouvoir protéger les siens. Il suffisait de mieux les choisir. Kurimi avait relevé sa tendance à prendre la position de martyr et Sarouh avait plus ou moins accepté qu’elle avait raison. S’il devenait assez fort, il n’aurait plus besoin de faire ça. Fort de ce raisonnement lacunaire, le Tsumyo s’était contenté du minimum syndical en missions de rang D et avait même pu esquiver une rang C. Il aurait dû y être avec un Maboroshi et ses objections avaient été entendues. Pour une première mission de cette difficulté, il fallait que la nouvelle recrue se sente en confiance. L’adolescent avait savouré l’ironie. C’était pour que le noble du clan se sente à l’aise qu’ils avaient accepté. Manquant de hurler de frustration, le Gensouard à la tignasse cobalte s’était calmé en comprenant qu’au moins il échappait à la corvée.

  Enjambant une chaussée traîtresse et informe, le Gensouard ne pouvait que constater avec effroi à quel point les bas quartiers étaient traités avec mépris par les institutions. Leur existence même était étrange, dans un Village aussi puissant. Il se souvenait vaguement de cours sur la lutte anti-criminalité donnée pendant sa formation. Apparemment la sur-médiatisation des affaires du Village, la volonté de se montrer plus pacifiste à l’aube de la trêve entre les Trois ainsi que les forces exsangues de la Cascade étaient les justifications principales à l’inaction. Il était important de ne pas faire de vague, alors aucune solution d’envergure n’était mise en place, laissant la gangrène se développer.

  Toujours est-il que même si cela lui permettait de s’entraîner de manière éthiquement contestable, Sarouh n’aimait pas que cet endroit fasse partie de son Village. S’il prenait du grade un jour, cela serait une de ses batailles, se promit-il. Le dernier avantage qu’il voyait aux quartiers abandonnés, c’était leur proximité avec sa propre habitation. À la lisière des deux mondes, cela montrait bien son statut à Gensou. Luttant contre le dépit, il se remémora les paroles de sa mère avant qu’il ne devienne Genin. S’il voulait quelque chose, il fallait le prendre.

  Déterminé par tout ce monologue interne, l’adolescent aux cheveux bleus arriva à la jonction entre les quartiers, permettant de revenir chez lui. Un dernier coup d’oeil à la Lune quasi pleine et l’adolescent arriva devant sa porte. Des bris de voix lui parvinrent alors qu'il s'apprêtait à ouvrir. Surpris, il se figea. Ses parents n’étaient pas censés être là. Manifestement, le ton était agité. Incapable de discerner clairement les mots prononcés par son père, il inspira profondément et rentra.

Il fut accueilli par une remarque froide de son grand-père puis l’interrogation glacée de sa mère.

  • Quand on parle du loup.
  • On peut savoir où tu te trouvais ?

  Il avait peu vu Takaneiki en colère, pourtant les yeux d’habitude si doux de la Jounin étaient chargés d’éclairs. Sarouh ne se souvenait pourtant pas avoir outrepassé ses droits.

  • Du quartier sud-ouest, embellit-il par réflexe. J’ai fait une bêtise ?
  • Depuis quand écoutes-tu la conversation ? interrogea son père.

  Le Tsumyo aux cheveux bleus ne comprenait pas trop mais sentait déjà qu’il n’allait pas l’apprécier. Après des semaines de froid avec le reste de sa famille, il n’avait pas l’énergie d'être diplomate.

  • Je viens de rentrer, mais je peux repartir s’il le faut.

  Alors que Naniki allait élever la voix face à son insolence, c’est le doyen de la famille qui mit fin au débat en agitant sa main comme pour chasser un insecte :

  • Il est peut-être juste temps de lui dire.
  • Il est trop tôt.
  • Takaneiki, sérieusement ? Il revient d’une mission de rang C, il peut encaisser pire. N’est-ce pas mon garçon ?

  Qu’Akira soit apparemment de son côté était surprenant. Le vieil homme pouvait se montrer aigri, mais il avait bon fond. Ses parents échangèrent un regard et sa mère soupira, comme pour abandonner.

  • Sarouh, assieds toi s’il te plaît, reprit Naniki. Tu es un homme désormais, Akira a raison. Tu as Aura et tu as déjà dû t’en servir.

  L’héritier des Tsumyo restait muet, désormais sur la défensive, quelle mauvaise nouvelle pouvait-il encore rester ?

  • Tu n’es pas notre fils biologique, continua le Jounin d’une voix déterminée, comme s’il menait un combat. Tu es bien l’un des nôtres par contre.
  • C’est tout ? demanda Sarouh après une hésitation

  Un silence suivit sa déclaration. Ses parents adoptifs échangèrent un regard confus, qui le fit presque rire.

  • Je m’en doutais un peu, reprit-il en pointant ses cheveux de l’index. Plus exactement, je ne me suis jamais posé la question, mais c’est assez évident maintenant que vous m’en parlez.
  • Comment le prends-tu ? interrogea Takaneiki avec une inquiétude perceptible dans la voix.
  • Cela ne change rien. Vous êtes mes parents. C’est toi qui me réconforte tous les soirs depuis des années. Naniki est mon père. Il m’a appris le genjutsu, à me battre, à lire…

  Il ne put continuer sur sa lancée et fut enlacé simultanément par eux deux, encore debouts. Au fond de lui, il sentait qu’il disait la vérité. Une part de lui le savait mais s’en moquait et ce depuis toujours. Il était presque plus touché par leurs efforts maintenant que la vérité avait éclaté.

  • Par contre, j’ai des questions pour vous maintenant, déclara l’adolescent lorsque l’étreinte cessa. Pourquoi moi ?

  Un rire sec vint d’Akira, mais il se tut face au regard de Naniki, qui répondit ensuite.

  • Tu étais dans les rues. Tu cherchais ta mère et nous sommes intervenus juste à temps. D’abord Taka’, puis moi-même.
  • Nous n’étions pas ensemble à l’époque, c’est un coup du sort. Face à l’attaque, la plupart d’entre nous ont péri sur le coup. Le réflexe des survivants a été de se regrouper.

  Sarouh hocha la tête. Son cauchemar n’en était pas vraiment un comprit-il. Il se souvenait. Sa mère reprit, comme si elle lisait dans ses pensées.

  • Nous avons effacé ce moment de ta mémoire une fois à Gensou. Tu ne voulais plus manger et tu étais en train de t’éteindre.

  Le Genin leva les yeux vers sa mère, l’air perdu. Il sentait son âme s’agiter. Sans qu’il comprenne vraiment pourquoi, des larmes vinrent se bousculer à ses yeux. En silence, elles cascadèrent sur son visage. La Jounin se colla à nouveau à son protégé, passant sa main dans la tignasse cobalte comme elle savait si bien le faire.

  • Tu n’es pas de la branche principale, reprit son père.
  • Les techniques héréditaires du clan se sont éteintes avec ta tante, déclara Akira d’une voix triste.

  Sarouh comprit enfin la sempiternelle remarque sur l’honneur. Le patriarche lui semblait bien plus humain maintenant. Le Genin lui rappelait chaque jour tout ce qu’ils n’avaient pu sauver.

  • Donc, qui était ma mère par rapport à vous ? murmura presque l’adolescent.
  • Notre cousine. Mais il nous faut reprendre toute la généalogie du clan, maintenant que tu sais.

  Son père entreprit de lui exposer comment les Tsumyo fonctionnait, après s’être assis à ses côtés. Tout le long de l’explication, sa main ne quitta pas le genou de son fils adoptif. Il lui rappela qu’il s’agissait d’un clan nomade, constitué d’une branche principale, porteuse du Dojutsu et de deux branches secondaires, autorisés à se mêler à des externes afin d’assurer le brassage génétique nécessaire tout en conservant les pouvoirs héréditaires. S’il avait des cheveux bleus, c’est parce qu’il appartenait à l’autre branche secondaire, destiné à épouser une fille qui posséderait le fameux Dojutsu familial.

  • Donc vous êtes restés ensemble pour moi ?
  • Au début, oui, confia Naniki. Puis cela s’est mué en amour véritable.

  Sarouh intégra lentement. Il comprit à quel point ses douleurs adolescentes devaient leur sembler peu de choses. Le soutien quasi indéfectible de ses parents adoptifs forçait le respect.

  • J’ai perdu ma fille ce même soir, acheva Takaneiki d’une voix blanche, sans se décoller de son protégé. Elle avait à peu près ton âge.
  • Je suis tellement désolé…

  Sa voix se brisa. Il se sentit soudain responsable de la mort de toute cette famille qu’il n’avait pas connue. Le poids de leur perte devait être insurmontable pour ces deux fiers Jounins.

  • Il n’y a pas un jour où l’on regrette que ça soit toi qui ait survécu.

A la surprise générale, cela venait du doyen. Akira, mâchoire serrée, endurait la peine avec un stoïcisme impressionnant. Le Genin ne put répondre que par d’autres larmes.

  • Nous sommes fiers de toi, n’en doute jamais.
  • Oui, maman.

  Ils restèrent ainsi figés les uns contre les autres de longues heures, discutant doucement de ce qui les avait amenés là. La famille de fortune s’épaulerait encore et toujours, liés par le sang, l’amour et l’honneur. Les Tsumyo n’avaient pas dit leur dernier mot.

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