13 - L'épreuve
- Sarouh Tsumyo ?
L’intéressé évita la lame d’acier qui visait son œil d’un mouvement de buste, avant de se faire projeter comme un insecte à travers le terrain d’entraînement glissant sur le sol boueux des marais.
- Tu te concentres trop sur mon sabre. Tout mon corps est une arme, énonça Ahika en lui tendant sa main droite pour relever le Genin endolori.
- Oui, maître, grinça Sarouh, retenant de justesse une pique cinglante en se massant le bas du dos, avant d'enfin se tourner vers l’inconnu, irrité. Cela dépend, qui le demande ?
Un homme d’une trentaine d'années, rasé de près et cheveux noirs coiffés en queue de cheval, le visage fermé et le regard aussi avenant qu’une porte de prison se tenait droit comme la lame présente à sa ceinture. Le coupable tout trouvé de sa douloureuse chute et sûrement l’annonciateur de nouveaux problèmes.
- Je suis Setsuya Mizu. Tu es convoqué pour une mission de rang D, possiblement C en extérieur. Je te prie de me rejoindre dans deux heures au plus tard au niveau de la sortie Ouest.
Il fit immédiatement volte-face. A coup sûr, l’expédition serait un grand moment de plaisanterie et de bonne ambiance. Au moins Sarouh n’aurait peut-être pas besoin de parler durant celle-ci. Le Genin aux cheveux bleus accumulait discrètement les petites réussites, passant d’équipe en équipe, évitant soigneusement les noms à problèmes pour se hisser vers son objectif. Il s’assurait de laisser une bien meilleure image que lors de son partenariat avec Kana et Dozo. A côté de ça, il s’investissait corps et âme dans la maîtrise du sabre et avait développé son souffle Fuuton, ainsi que ses clones d’eau. En suivant les recommandations d’Irumi, il avait continué à se sculpter et à progresser pour devenir un aspirant prometteur. Son objectif se rapprochait. Mais l’idée de travailler de concert avec un Mizu le tendait, malgré sa confiance en lui renouvelée.
Il aurait été naïf d’espérer ne plus jamais faire équipe avec un membre de ce clan. Cependant, le Tsumyo n’arrivait pas à pardonner à Chiraku ni à Asori. Cela faisait déjà six mois et pourtant la chaleur estivale n’effaçait pas la sensation glacée qui l’étreignait lorsque leurs visages se rappelaient à lui. Alors que le Genin arrivait à la porte Ouest, il se morigena en se disant qu’il n’avait rien contre le chef d’équipe de cette mission.
- Sans déconner ? fit une voix grinçante sur sa droite, le faisant presque sursauter.
Le sang se mit immédiatement à battre dans ses tempes, alors que Sarouh reconnaissait son interlocuteur. Masiku Arabara. A l’éruption de colère se disputait l’incompréhension. Comment était-ce possible qu’ils soient mis ensemble ?
- Je suis désolé pour l’incident de l’autre fois fit-il, un sourire aux lèvres. J’espère qu’on pourra bosser en équipe.
Et il lui tendit la main. Le Tsumyo n’en revenait pas. Il fut à deux doigts de lui sauter au visage pour le massacrer. Il avait envie de hurler. Un accident ? Comment pouvait-il qualifier ce qui lui était arrivé ainsi ?
Alors qu’il allait céder à ses pulsions de meurtre, une voix derrière lui le ramena au Yuukan.
- Mey-Lynn Sabishii, enchantée. Vous êtes mes partenaires pour cette fois, si j’ai bien compris ?
L’illusionniste se retourna sans serrer la main de l’Arabara. Il souffla doucement avant de répondre :
- Tsumyo Sarouh, enchanté. En effet.
La nouvelle venue les regarda avec une peine évidente malgré la vaine tentative de la dissimuler derrière un sourire aussi pâle que le jaune de ses yeux. Elle aussi était désolée d’être en équipe avec lui ? L’adolescent réalisa vite qu’il était entouré de clans prestigieux. Il n’avait rien à faire ici, si ce n’est satisfaire la cruauté du destin. De trop mauvaise humeur pour cacher son mépris, le Genin s’éloigna d’eux en attendant que le Mizu revienne. Heureusement, l’Arabara se mit en tête de discuter avec la nouvelle venue. Banalités que le Tsumyo fit tout son possible pour ne pas entendre. Lorsqu’il aperçut enfin Setsuya dans l’allée, il l’alpaga immédiatement, furieux.
- Il doit y avoir une erreur, grinça le Genin, aussi courtois qu’il pouvait l’être dans cette situation.
- J’aurais aimé, répondit le Mizu d’une voix ferme. Mais sa mise à pied est terminée, et l’on m’a sommé de mettre Mey-Lynn dans de bonnes dispositions. Tu es un Genin expérimenté maintenant, à l’avenir prometteur. Tu m’as été recommandé. En ce qui concerne Masiku, son nom parle pour lui.
Le Juunin avait manifestement préparé sa petite intervention. S’il pensait que deux compliments aussi creux pouvaient le calmer, l’expert shinobi allait vite déchanter. Le regard émeraude fusilla toute son équipe. Sarouh se doutait que le QG voulait s’assurer qu’il n’y aurait pas de problème de cohésion entre eux et avait forcé cette rencontre. Une manière de montrer que l’Arabara était repenti d’un côté, et de l’autre qu’aucune punition réelle n’était concevable contre les Maboroshi, dont sa famille faisaient partie.
Tout ça pour un foutu Dojutsu. L’illusionniste contempla une seconde le solide gaillard, aux prunelles marron désespérément banales, un goût amer et métallique lui revenant en bouche. S’il avait une certitude, c’était l’absence de sincérité dans la voix de son bourreau. Il avait été stupide de croire que l’intervention de la mentor qui l’avait abandonné le protégerait plus longtemps. Une seconde, l’oeil aux couleurs mouvantes de Masiku revint le hanter. Son sourire le faisait frissonner jusqu’au plus profond de son âme malgré la chaleur estivale. Instinctivement, le Genin commença à chercher un échappatoire. La main du Juunin se posa sur son épaule, le faisant sursauter.
- Tout ira bien.
Et Setsuya regroupa autour de lui son équipe d’une mission. Sarouh resta en retrait, Mey-Lynn lui servant de bouclier inconscient contre Masiku. Et s’ils voulaient tant resserrer les liens entre leurs influentes familles, autant les laisser faire. Loin de lui.
- Bien, vous êtes tous des Genins expérimentés maintenant. Masiku Arabara, Mey-Lynn Sabishii, vous faites partie de familles puissantes dont les qualités ne sont plus à prouver et je vois dans votre dossier que vous avez eu l’occasion de montrer vos compétences. Sarouh Tsumyo, le nombre de retours positifs à ton sujet ne fait qu’augmenter.
Les ados gardèrent le silence, ne voyant pas où le shinobi expert voulait en venir. Justement, une équipe de ce calibre aurait dû être affectée à une mission de rang C, minimum. Les propos de Setsuya revinrent au Genin, alors qu’il se mordillait l’ongle, cachant sa tête derrière sa chevelure cobalte.
- Et donc ? le pressa finalement Masiku.
- Je ne souffrirai aucune inexactitude. J’attends de vous un comportement irréprochable dans le suivi des ordres ainsi que dans la qualité de leur exécution.
Le regard sévère du Juunin parcourut l’assemblée, déjà exaspérée. La main posée sur son arme et exemple parfait de droiture, le trentenaire allait être aussi pénible que son attitude le laissait présupposer.
- La mission est assez routinière. Des contrebandiers s’agitent dans un village proche du fleuve Sumikawa. La monopolisation du cours est problématique et les autorités locales ont déduit qu’il était plus facile de nous payer pour régler définitivement le problème plutôt que de laisser la gangrène s’installer.
- On parle de civils là ?
- Exact, Arabara. Les moyens létaux ne sont donc pas autorisés. Nous devons neutraliser et permettre le jugement des individus appréhendés.
- C’est pour ça que la mission est plus dangereuse pour nous, déduit Mey-Lynn. D’où l’expérience.
Le regard perdu, la jeune femme semblait à peine avec eux. Cela perturbait Sarouh, mais force était de constater qu’elle réfléchissait. Le Tsumyo était d’accord avec elle, éliminer simplement les criminels seraient à la fois plus simple et plus formateur pour des aspirants Chuunin. Il en était déjà à penser que c’était le but d’ailleurs.
- Il est un peu tôt pour les missions de nettoyage pour vous, infirma sans le savoir Setsuya. Vous êtes juste assez performants pour réussir la mission sans vous mettre en danger, l’escadron est parfait pour cela.
Le Genin se demanda s’il avait sélectionné lui-même son équipe. Le trentenaire, aussi pénible soit-il, avait à cœur d’avoir un effectif efficace. Ce qui est bien avec les obsédés du devoir, c’est leur prévisibilité. Imperceptiblement, il se relâcha. Ce n’était pas Asori. Il pouvait difficilement en être plus éloigné. Sarouh croisa le regard du chef d’équipe. Le noisette profond de son regard se ficha dans l’émeraude et le Tsumyo ne pu que détourner les yeux. Il se sentait jaugé et n’aimait pas ça. Peut-être le Mizu regrettait-il son choix.
- Est-ce que vous avez des questions ?
- Combien de temps avons-nous ? Y’a-t-il d’autres restrictions que l’obligation de ne tuer personne ?
- Pour remplir la mission, dix jours, Sabishii. Cinq devraient suffire. Pour vous préparer, je vous laisse jusqu’à la fin de cette après midi. Nous partirons immédiatement ensuite. Il ne nous a pas été demandé par le QG de masquer nos capacités.
Mais il était toujours judicieux de le faire, persifla Sarouh en son for intérieur. Un semblant de curiosité commençait à naître chez le Tsumyo pour Mey-Lynn. La pertinence de ses réflexions le surprenait un peu. Il se rabroua. La méfiance l’aurait rendu aveugle ? La jeune femme lui disait quelque chose sans qu’il sache pour quoi. Le clan reconnu pour ses capacités d’espionnage et qui chaperonnait la police à l’intérieur du Village était évidemment connu de tous, mais cela n’expliquait pas la sensation de déjà-vu. L’adolescente ne montrât rien qui lui vienne en aide.
Le groupe se sépara sur un signe de tête du Juunin. Sarouh pu enfin se doucher et nettoyer Aura, avant de s’équiper. Sa maison était déserte, à l’image de ces derniers mois. Depuis sa promotion, le dernier des Tsumyo avait l’impression de ne plus avoir vu ses parents ou presque. Même Akira était aux abonnés absents. Il souffla longuement en tenant sa tignasse cobalte dans les mains. L’adolescent se répéta des phrases rassurantes avant de filer vers son destin, serrant la garde de sa main gauche comme si sa vie en dépendait. Il ne donnerait pas à Masiku la satisfaction de le voir se dégonfler. Sarouh était plus fort que ça.
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