14 - Frustrations
Pour l'instant, le plan de Sarouh marchait à merveille. Se tenir le plus éloigné et en silence du groupe portait ses fruits. Terrifié à l’idée que Masiku ne le harcèle, il avait été surpris de se rendre compte qu’il n’en faisait rien. Alors que les marais laissaient place aux forêts plus clairsemées de l’Ouest, éclairées par la douce lumière du coucher de soleil doré, le shinobi se détendit un peu, la respiration apaisée malgré le rythme de course soutenu. Se pouvait-il que le réveil de l’infernal dojutsu de l’Arabara soit la cause unique de son trauma ? Cela lui semblait inconcevable. Mais force était de constater la passivité de l’adolescent à son sujet. C’était peut-être un connard bouffi d'orgueil à l’Académie, sans être le monstre que le Tsumyo imaginait. Un simple coup d'œil vers lui suffit à faire frémir l’illusionniste. Son corps serait plus long à convaincre.
- Sarouh, deux secondes, s’il te plait.
Le Mizu manqua de le faire sursauter. L’adolescent utilisait l’essentiel de sa concentration pour ne pas se faire remarquer par son tortionnaire, aussi ne faisait-il plus attention à son entourage. Heureusement, cela avait l’air d’échapper au trentenaire à l’air sévère.
- Tu ne dois pas parler de ce qu’il s’est passé à la Sabishii. C’est un ordre.
- Pardon ?
- Le but de cette mission est notamment de rapprocher les maisons les plus influentes de Gensou. De leur coopération dépend l’avenir du Village.
- Vous ne pouviez pas y penser avant ?
- Il s’agit pour l’Arabara de montrer qu’il fait patte blanche.
- Bien sûr, siffla d’une voix emplie de sarcasme l’illusionniste, pourquoi devrait-il porter l’opprobre et supporter les conséquences de ses propres actes ?
- Attention, Tsumyo. La patience n’est pas une vertu commune chez les shinobis.
Et le Mizu commença à s’éloigner de lui. Le Genin commençait seulement à se calmer et l’autre venait remettre de l’huile sur le feu. Son regard s’embrasa et sa bouche s’agita trop vite pour qu’il puisse se retenir.
- Bien sûr, vous aussi vous êtes intouchable, je suppose que martyriser un adolescent victime d’abus ne viendra en rien entacher votre image.
- C’est une menace ?
- Qui a commencé ?
Le trentenaire l’incendia en silence. Si ses iris pouvaient tuer, le Tsumyo serait déjà réduit à l’état de macchabé. Sarouh avait la bouche desséchée. Voulait-il mourir en se comportant de la sorte ?
- Je ne dirai rien, reprit-il. Je ne suis pas assez stupide pour me mettre les trois clans les plus influents de Gensou à dos en même temps.
Cela suffit à calmer le Juunin qui s’éloigna à nouveau de lui. C’était tous les mêmes. Mais le monde était ainsi fait. La justice n’en avait jamais été la valeur centrale et tous ces dignitaires qui imposaient leur statut ne méritaient pas d’être considérés. Sarouh ne se battait pas pour eux. Mais il n’était pas encore en position de défendre son honneur et le Tsumyo le vivait mal.
Il cracha de dépit, jugulant péniblement le mépris qu’il ressentait pour le duo qui courait devant lui. Cela faisait plusieurs heures qu’ils avançaient au rythme effréné des shinobis. La nuit ne les arrêtait pas et l’illusionniste comprenait bien pourquoi. Il valait mieux mettre une certaine distance entre eux et les marais avant de poser un campement.
- On s’arrête là. ordonna le Mizu peu après d’une voix claire en arrivant dans une clairière dégagée.
- Je vais chercher à manger, se proposa immédiatement Sarouh pour échapper aux réunions inutiles.
- Deux minutes. Je voudrais d’abord m’assurer de vos compétences.
Le Genin aux cheveux bleus eut immédiatement un air de déjà-vu de mauvais goût. Tous les Juunins s’étaient passés le mot ? Il soupira en roulant des yeux par anticipation, ne comptant absolument pas épargner son exaspération au vétéran.
- Notre dossier ne suffit pas ? s’enquit poliment Mey-Lynn
- Ils ne me permettent pas d’utiliser au mieux vos compétences sans les avoir expérimentés moi-même. Masiku contre Sarouh, exécution.
Le Tsumyo le fusilla du regard. Était-ce une vengeance ? Ou une manière de s’assurer qu’ils arriveraient à travailler ensemble ? Les Genins se délestèrent de leur paquetage et se positionnèrent au centre de la clairière, balayée par une brise douce et chaude. L’illusionniste leva les yeux au ciel. Les étoiles et la nuit claire, couplées au temps estival auraient dû être une expérience agréable.
- Alors Tsumyo, on a peur de finir à nouveau à l’hôpital ?
Le Genin à la tignasse cobalte darda un regard chargé de haine sur Masiku, goguenard. Et ce fumier avait raison, il avait peur. La stature athlétique de l’Arabara semblait l'écraser. Il était pourtant plus grand que lui. La simple idée de croiser son regard le terrorisait. Hors de question de l’affronter.
- Je peux sûrement montrer mes compétences contre Mey-Lynn, esquiva l’adolescent, implorant silencieusement le Mizu de l’aider.
- Souvenez-vous de ce que j’ai dit au Village. Mes ordres ne souffrent aucune remise en question, Tsumyo. En position.
En tremblant, le Genin sortit Aura. Il avait la sensation d’être en plein cauchemar. Mey-Lynn demeurait silencieuse aux côtés du Juunin et l’espace ouvert ne lui laissait aucun échappatoire. Les ténèbres lui semblèrent bien plus étouffantes.
- J’espère que tu ne te plaindras pas si j’y vais trop fort, lui sourit Masiku.
- Et j’espère que tu ne m’en veux pas si je te tue par accident. Les Genins de notre niveau ont du mal à se contrôler, tu sais.
L’Arabara perdit de sa superbe. Interloqué, il se retourna vers le Mizu, qui ne dit mot. Il se mit ensuite en position, les mains en positions basses, jambes repliées. Un style ultra agressif, déduisit immédiatement Sarouh. Aura dans sa paume le rassurait un peu. Voir la peur changer de camp, même une fraction de seconde était un soulagement. Il n’était pas le seul à pouvoir jouer à ce jeu.
Le Juunin donna le signal et comme prévu, Masiku fonça comme une balle au contact. Paralysé par l’effroi, l’illusionniste para le kunaï de son adversaire de justesse. Tout son bras trembla sous l’impact. Le visage défiguré par la peur, le Tsumyo esquiva maladroitement les tentatives de l’Arabara qui jubilait en frappant frénétiquement devant lui. Glissant sur le terrain traître, il se releva d’une poussée des deux mains, laissant Aura au sol pour éviter un coup dévastateur du talon.
Contraint à la défensive, il continuait à s’en sortir in extremis, l’amusement disparaissant des traits de son bourreau.
- Arrête de fuir !
Masiku revint à la charge, exaspéré de ne pas réussir à toucher l’insecte qui semblait n’éviter que par chance d’un cheveu chaque attaque. Il crut enfin toucher la pommette du Genin aux cheveux bleus, l’air victorieux. Mais une clé de bras l’envoya sur le côté. Un mélange hideux de colère et de surprise déforma le visage carré du mastodonte avant de repartir à l’assaut en beuglant.
Sarouh expira profondément et reposa ses deux mains devant lui en une attitude défensive, beaucoup plus maîtrisée cette fois. Le Tsumyo enchaîna les parades, n’accusant que des coups superficiels. Le Genin aux cheveux bleus était de plus en plus précis alors qu’il s’ajustait aux mouvements de l’Arabara. Malgré l’effroi, son corps répondait de mieux en mieux aux tentatives de son tortionnaire. Une pensée commença à poindre dans son esprit : était-ce là tout ce dont son adversaire était capable ? Comparé à Irumi, ce n’était même pas un échauffement convenable. Il esquiva le kunaï d’un mouvement de buste et mit un atémi puissant dans le torse de Masiku, le projetant en arrière, souffle coupé par l’impact.
Un sourire effleura les lèvres du Genin aux cheveux bleus. Il vit une flamme s’allumer dans le regard de l’Arabara et pour la première fois depuis le début de l’affrontement, s’en amusa. Son adversaire se clonna en trois exemplaires. Impossible de récupérer Aura, toujours au sol. La garde du jeune illusionniste fut ébranlée par l’assaut implacable du trinôme, qui encaissa quelques frappes de plus.
Mais le Genin ne se démonta pas. Alors qu’un sourire victorieux se peignait sur ses lèvres, Masiku fut projeté brutalement en arrière alors que son adversaire crachait une violente bourrasque, le propulsant contre ses clones qui se brisèrent sous l’impact.
Haletant, Sarouh récupéra son arme, l'œil gauche endolori par le coup qu’il venait de concéder. Si son timing avait été meilleur, il serait dans une bien meilleure position. Il commençait également à manquer d’endurance, là où la fureur du brun vexé ne faisait que nourrir sa rage du combat. Mais l’hésitation avait changé de camp. Alors qu’il commençait à échaffauder un plan, sa confiance renouvelée, l’illusionniste entr’aperçut les yeux de Masiku. Le motif doré infernal y était inscrit. Les couleurs mouvantes à la périphérie de son iris étaient autant de signes de sa colère. La peur submergea à nouveau le Tsumyo et toutes ses stratégies avec.
- Tu l’as cherché, viens pas chialer après.
L’Arabara fondit à nouveau vers lui. Sarouh fut vite débordé par les attaques incessantes, plus rapides et vicieuses. Masiku lisait en lui. Après un échange particulièrement brutal, le Tsumyo fut projeté contre le sol d’une frappe à la tempe.
Le monde tournait encore alors que son adversaire se penchait sur lui pour mettre fin au combat, s’asseyant sur son buste pour lui asséner un coup décisif. Sarouh saisit l’opportunité et son poignet et lui retira la vue. Un gémissement lui indiqua la surprise de Masiku qui fut repoussé dans les airs par une nouvelle rafale de vent. Le Genin aux cheveux bleus voulut en profiter pour reprendre l’ascendant et surgit vif comme l’éclair cobalt malgré sa fatigue. Malheureusement, sa cible se redressa comme un cobra et lui tordit le poignet, puis le bras en une vicieuse clé de bras, sa vue déjà de retour. Sarouh mordit la poussière en gémissant de douleurs.
- C’est fini, Masiku vainqueur, déclara Setsuya en le faisant relâcher sa prise.
- Sans déconner, fit l’intéressé en se relevant, aigri.
La douleur reflua en même temps que la peur. Le vaincu reste au sol, perclus par les brutaux échanges avec son puissant adversaire. Il payait la différence de constitution et l'addition était salée. A l’épuisement s’ajoutait un mélange d’émotions contradictoires.
- Tu t’es précipité et manqué de perdre, là où Tsumyo a montré un niveau global et un réalisme décevants pour le tableau qu’on m’avait dressé de lui. J’attends bien mieux de vous pendant la mission.
Le Genin aux cheveux bleus accusa la remarque, cracha par terre de frustration et de dépit en se relevant et s’éloigna du campement qui n’allait pas se monter tout seul. Il n’entendit pas le test entre Mey-Lynn et l’instructeur commencer. Sûrement qu’il allait l’encenser et il s’en foutait pas mal. Il était beaucoup plus nécessaire de se calmer que de voir l’autre enfoiré jouer aux diplomates. Sarouh avait envie de hurler. Il était passé à deux doigts de la victoire. La condescendance du Mizu lui donnait envie de le tailler en pièces. La position dans laquelle le vétéran le mettait était insoutenable. L’adolescent avait appris à s’asseoir sur sa fierté, sa formation de militaire s’en était assurée. Mais croire qu’il pouvait passer l’éponge et se contenter de tenir la chandelle aux membres influents des différentes familles de Gensou juste pour que l’Arabara puisse cocher une case sur un document administratif le rendait fou. Il se détendrait sur le gibier. Alors que la chasse commençait, le stratège se passa comme un film les scènes du combat et progressivement, sa colère s’estompa alors qu’un sourire de prédateur lui étirait les lèvres dans la nuit. La prochaine fois, Masiku Arabara mordrait la poussière avec la manière.
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