15 - Frissons
Sarouh se réveilla, haletant, les joues humides, encore agité par le souvenir des lames oniriques tailladant sa chair. Noyé de sueur, le Genin se redressa brutalement dans la nuit pourtant calme. La raison du retour de ce cauchemar était plutôt claire. Il grinça des dents et maudit son corps. Il ne savait que trop bien que, qu’importe ses efforts, l’illusionniste ne dormirait plus. S’habillant prestement, il voulut libérer Mey-Lynn de son quart. Aucune raison qu’elle ne perde aussi sa nuit.
L’adolescent trouva la jeune femme assise contre un arbre, en tailleur. Les flammes illuminaient son visage concentré. Pour la première fois depuis sa rencontre, le Tsumyo prit le temps de la regarder attentivement. La taille encadrée de longue couettes brunes, ses yeux jaunes délavés qui contribuaient d’habitude à lui donner son air absent brillaient ici d’une lueur avivée par le feu. Sa tenue sobre et noire affinait encore la kunoichi. Sarouh se surprit à la trouver mignonne, affairée sur un parchemin. Mey-Lynn serait une maîtresse des sceaux ? La curiosité l’emporta définitivement sur sa prudence. Il la rejoint, jouant avec un kunaï dans sa main.
- Fuinjutsu ? commença-t-il sans plus d’introduction.
- Presque, répondit-elle sans lever les yeux, manifestement peu formalisée par son approche directe, le pinceau s’agitant sur la fine feuille de papier. Qu’est-ce que tu fais là, il te restait une bonne heure ? Insomnie ?
- Touché. Passionnée de calligraphie ?
- On peut dire ça.
Mey-Lynn termina son mouvement d’un geste précis, puis posa le pinceau avec méthode à côté de son attirail, avant de commencer à ranger avec une grande précision son matériel. Pensant qu’elle profitait de l’opportunité qu’il lui offrait de dormir, Sarouh fut surpris de la voir lui faire signe de s'asseoir à ses côtés d’un geste de main.
- Je voulais te parler, justement.
- Dois-je m’inquiéter ? demanda le Genin en s’exécutant laborieusement.
- A toi de me dire, répondit la kunoichi d’une voix neutre, continuant son rangement. Que s’est-il passé avec Masiku ?
- Tu demandes la cause de ma défaite ?
Il sentit l’agacement dans les prunelles dorées de la jeune femme. Le tranchant de ses réponses dénotait de ses intonations douces et de ses gestes lents. Sarouh ne sentait pourtant aucune animosité à son égard.
- Tu seras prié de ne pas me prendre pour une conne, finit-elle par répondre en croisant les mains devant elle. Je vois bien qu’il s’est passé quelque chose avant cela. Il est attendu des shinobis de mieux cacher leur jeu, tu sais ?
L’adolescent à la chevelure cobalte se raidit, la lame d’acier marquant un temps d’arrêt dans sa main. Il ne pensait pas que Mey-Lynn l’interrogerait frontalement à ce sujet. Il pensait même qu’elle considérerait à peine son existence. Il lui rendit simplement un sourire triste.
- Rien qui vaille la peine d’être mentionné. Et je saurai m’en rappeler.
- Tu parles. Tu ne peux pas me le dire ? Je suis moins idiote que ce qu’a l’air de croire le Mizu.
- Il est pénible, n’est-ce pas ? sourit Sarouh.
- Quel euphémisme, grimaça la jeune femme.
- C’est parce qu’il t’a botté les fesses que tu dis ça ?
- Hé ! s’écria Mey-Lynn en ponctuant l’onomatopée d’un petit coup dans l’épaule. Tu n’étais même pas là, monsieur l’associal !
Le Genin garda une expression amusée, le silence retombant doucement, brisé uniquement par le crépitement du feu qui faiblissait. Il redressa la tête et vit le ciel qui s’éclairait au loin. L’adolescent ne pouvait qu’admettre le charme de l’aurore parée de rose.
- C’est cela que je voulais peindre, glissa la jeune femme à ses côtés.
- Ne te prive pas, je m’en voudrais de gêner. C’est rare les peintres dans notre profession.
- Est-ce si curieux d’avoir d’autres hobby que le meurtre ?
Le Tsumyo ne lui répondit pas, mais il ne pu masquer son amusement. La jusque-là très passive adolescente se révélait bien plus agréable qu’il ne le pensait. Comme souvent, Sarouh se trouvait victime de ses a priori. La Sabishii était beaucoup plus accessible que prévu. Il avait eu tort de considérer qu’elle participait de plein gré à la mascarade des deux autres. Sa curiosité se raviva.
- Je suppose qu’on t’a demandé de coopérer pour le bien de ton clan ?
- Quelque chose dans ce goût.
- Evasif.
- Pas tes oignons.
La jeune femme ne s’énervait pas mais marquait clairement ses limites. Le Tsumyo ne pouvait pas comprendre ce qu’elle vivait de toute manière. Le poids clanique était quelque chose qu’il ne connaîtrait jamais : on lui avait pris le sien.
- Je voulais comprendre si tu avais un problème avec nos familles ou si c’était juste Masiku.
- Pourquoi ?
- Je suis pas juste une Sabishii, fit-elle dans un soupir, croisant enfin son regard. On va devoir bosser ensemble, se mettre en danger. Je voulais savoir si je pouvais compter sur toi.
- Très mature de ta part, le railla Sarouh.
- On fait c'qu'on peut. Alors ?
Une seconde passa, alors que le jeune homme contemplait la renaissance de l’astre solaire. Son arme virevolta à nouveau dans sa main. Il n’avait rien contre elle, mais trouvait sa question curieuse.
- Déjà été déçue ?
- Possible. Tu réponds aux questions des fois ?
- Ça m'arrive. Pas toi ?
Sarouh ficha son regard dans l’or de ses yeux et fut surpris d’y trouver une lueur amusée mais déterminée. Pour la première fois de l’échange, il tenta de faire preuve d’empathie.
- Tu peux compter sur moi. On peut toujours, toute mon identité repose là dessus.
- Pas sûr qu’il puisse en dire autant, ironisa Mey-Lynn en montrant vaguement d’un mouvement de tête la tente de Masiku.
- Tu pourrais être surprise. Mais je n’ai rien contre toi.
- Ni contre mon clan ?
Elle semblait dubitative face à la négation de son interlocuteur. Alors que la peintre en herbes réfléchissait, Sarouh aperçut un scarabée, apparemment d’émeraude, disposé soigneusement au milieu de ses affaires. Une broche sans doute.
- C’est Chikarate ? demanda-t-il en le pointant du menton.
- Effectivement, confirma–t-elle en saisissant délicatement le précieux objet. Tu as l'œil, tu y es déjà allé ?
- Pour le tournoi inter-Villages. Pas mon meilleur souvenir. Par hasard, faisais-tu partie des heureux élus ?
La jeune femme marqua un temps de pause, qui suffit à Sarouh pour se faire une idée de la réponse. Mâchoire crispée, ses doigts s’étaient resserrés autour de l’accessoire émeraude.
- Je te propose un marché. Je n’en parle pas et tu ne m’interroges pas non plus. Je sais que je t’ai vue là-bas et cela me suffit.
- Vendu, souffla la kunoichi, manifestement soulagée. Je trouve étonnant que tu n’aies rien contre moi alors que tu es fermé au Mizu et à l’Arabara.
- Moi qui espérait naïvement que tu laisserais tomber.
- Et moi qui espérait que tu cesserais de me prendre pour une idiote. J’ai pourtant demandé gentiment. Ce monde n’est que déception.
La jeune femme parlait désormais avec une indifférence affichée, jouant négligemment avec l’une de ses couettes, la broche remise délicatement à sa place. Son chaud-froid amusait beaucoup le shinobi et il se surprit à se perdre plus que nécessaire dans ses yeux, avant de se reprendre.
- Je n’ai pas le droit de te dire grand chose, soupira Sarouh. Crois-moi sur parole et sens-toi privilégiée un peu.
- Quel honneur. Je vais choisir de t’écouter. Pour l’instant.
Le silence retomba alors qu’ils s’absorbaient dans la contemplation des cieux. Ils n’auraient pas la paix très longtemps, avec l’astre solaire se lèverait leur commandant et ils le savaient tous deux.
- L’amusement est terminé, souffla Mey-Lynn à ses côtés en se levant.
- Il semblerait.
Elle lui adressa un sourire radieux et se dirigea vers sa tente. C’est le moment que choisit la lumière pour percer l’horizon, illuminant la clairière et son visage d’une chaleur dorée et douce. Sarouh secoua la tête, surpris de l’intensité de l’émotion qui grandissait en lui et balaya la gratitude en même temps que l’image de ces yeux qui le troublaient tant.
- On se bouge ! ordonna le Mizu de l’autre côté du campement d’une voix aussi ferme que désagréable. Le bateau ne nous attendra pas toute la journée.
Les Genins obéirent au pas de course, le campement fourmillant d’un coup d’activités. Le retour brutal à la réalité heurta l’insomniaque de plein fouet et il eut bien du mal à regagner sa composition. Lorsqu’il croisa Masiku, celui-ci baissa rapidement les yeux. Apparemment la victoire ne l’avait pas satisfait. L’imposant gaillard plia le camp sans chercher plus le Tsumyo. Celui-ci s’était préparé à une remarque et fut surpris de ne pas avoir à dégainer la réplique cinglante qu’il préparait. Dissimulant sa fatigue, Sarouh rejoignit son équipe qui se dirigea vers la rivière Sumikawa. Ils étaient en amont. Pour la franchir et finir le trajet, une barque les emmènerait jusqu’au hameau destination.
La marche commença dans un silence de plomb. Le Genin en avait déjà marre. La formation avait naturellement pris la même forme que la veille. Le Mizu les couvait d’un air sévère qui ne manquait pas de nourrir l’agacement de l’adolescent aux cheveux bleus qui ne fit aucun effort pour le masquer. Mey-Lynn devant lui répondait poliment à Masiku et Setsuya. Son regard s’était vidé de sa substance. Avait-il rêvé ce matin ? Il dû à nouveau chasser son sourire de ses pensées.
Après une marche interminable, alors que l’escouade arrivait enfin à l'embarcadère, l’illusionniste fut surpris par une bousculade.
- Ne t’avises plus de me laisser toute seule, monsieur l’associal.
- J’y peux rien si t’attires toute l’attention, princesse.
La jeune femme fut trop outrée pour lui trouver une répartie digne de ce nom et c’est sur cette petite victoire que le groupe rentra dans la barque sur un fleuve couvert par une brume épaisse qui étouffait les rayons du soleil.
Masiku commenta :
- Charmante l’ambiance.
- On pourrait nous envoyer dans un endroit sympa pour changer, approuva Mey-Lynn.
- Le désert ne t’a pas plu ? persifla Sarouh.
- Nos seules options sont de mourir de froid ou brûlés ? Sérieusement, le concept de juste milieu ne vous dit rien ?
- Hé ! s’insurgea Masiku, j’étais d’accord avec toi !
La moue grossièrement exagérée de la kunoichi fit rire les adolescents. Qui s’arrêtèrent vite devant le regard glacé de Setsuya.
- Restez professionnels. Le danger vous guette à chaque instant.
Ils s’exécutèrent, penauds. Si la kunoichi avait essayé de détendre l’atmosphère, la remarque du Mizu tua ses efforts dans l'œuf. Mais force était de constater que le Juunin avait raison. La visibilité était mauvaise et le terrain inconnu. Il ne fallait pas se fier au rang de la mission. Le Yuukan était doué pour les mauvaises surprises. L’image de l’enfant parasité s’imposa à l’épuisé shinobi.
- C’est étrange, murmura Mey-Lynn à côté de lui, le sortant de la torpeur hypnotique dans laquelle il sombrait.
- Tu as remarqué aussi ? demanda le Juunin, satisfait. Nous sommes seuls sur ce fleuve.
Le Genin aux cheveux bleus se morigéna à nouveau. La situation lui faisait trop perdre ses moyens à son goût. Comme pour se donner du courage, il posa sa main gauche sur Aura. La descente du fleuve se fit dans un silence pesant, la fine équipe sur la défensive.
- Nous y voilà, fit Masiku en désignant le ponton qui déchirait la brume au loin. Toujours seuls.
- Tenez vous prêts, grinça Setsuya. Il serait surprenant que ça soit une embuscade, mais c’est une option que vous ne devez jamais exclure.
Les adolescents hochèrent la tête, en position défensive. Un seul homme les attendait sur la structure de bois pourri. Pourtant situé à un carrefour commercial intéressant, manifestement conçu pour recevoir des dizaines d’embarcations en simultané, le port était vide. Exposé à son aspect spectral et les bruits inquiétants dégagés par le plancher moisi, l’illusionniste ne pu s’empêcher d’utiliser une vague de Chakra, sondant discrètement les profondeurs. Rien ne se dissimulait directement sous eux ou le ponton. Cela ne ressemblait pas à une embuscade malgré le caractère suspect de la situation.
Setsuya sauta le premier de la barque et s’avança vers leur hôte, une confiance de façade soigneusement affichée, dissimulant une grande prudence. La personne chargée de les récupérer ici était un cinquantenaire chétif, tremblant autant de froid que de peur. Mais les Gensouards ne se détendirent pas pour autant.
- Je suis désolé de vous recevoir dans de si sinistres circonstances messieurs.
Le regard fuyant et les jambes flageolantes, il leur fit signe de le suivre. Les présentations se poursuivirent en marchant, alors que le paysage d’une ville fantôme se révélait dans la brume étouffante aux shinobis. Leur pitoyable interlocuteur était le maire-adjoint, chargé de s’occuper d’eux en l’absence de leur principal représentant.
- Comme vous le voyez, la situation s’est considérablement dégradée depuis notre appel à l’aide.
- Gensou a été trop long à répondre, grogna Masiku, immédiatement remis à sa place par le regard glacé de Setsuya.
- Les bandits contrôlent toute la ville ?
- C’est un cauchemar ! la voix de l’adjoint se brisa, cédant à la panique. Ils ont pris des otages. Ma femme ! Mes enfants…
L’émotion l’empêcha de terminer sa déclaration et un lourd silence s’abattit, à peine entrecoupé des sanglots du vieil homme, sur la pièce trop étroite. Le regard du représentant ne cessait d’aller et venir entre le groupe et la porte, terrorisé à l’idée de la voir soudain enfoncée.
- Combien d’otages ? demanda la kunoichi, les yeux brillants et la voix peu assurée.
- Plusieurs centaines d’individus.
Sarouh ne comprenait pas. Aucune attaque de cette envergure n’avait été déclarée depuis l’Armistice et il était impensable de voir un tel événement se produire dans la juridiction directe d’un Village. Les ninjas ne faisaient pas de quartier avec ceux qui menaçaient leur commerce et s’étaient assurés que cela soit de renommée régionale. Le Genin peinait à croire que la leçon était déjà oubliée.
- Je suis Oburo Nagato, déclara le vieil homme, alors qu’il les asseyait à la table d’une maisonnée modeste en grattant son crâne dégarni par une sévère calvitie. Normalement j’aurais dû vous accueillir dans le bâtiment central mais les choses étant ce qu’elles sont…
Le maire ne termina pas sa phrase, le sous-entendu bien assez clair pour tout le monde. Il leur expliqua que les bandits avaient fait une razzia dans le village, peu après l’envoi du messager, tuant ceux qui leur résistaient. L’idée étant de faire plier les shinobis et le maire pour qu’ils renoncent à reprendre le village.
- Naif, répondit Sarouh. Dans le pire des cas, les shinobis préféreront rayer cet endroit de la carte que de le laisser aux bandits.
- Ils doivent être désespérés, confirma Setsuya.
- Fuir aurait été une meilleure solution dans ce cas, reprit Mey-Lynn. Quelque chose cloche dans cette histoire.
- Il ne faut pas sous-estimer ses adversaires, mais sombrer dans la paranoïa n’est pas mieux. Les bandes organisées, même si elles sont parfois surprenantes, ne sont pas réputées pour leur génie. Ils serviront d’exemple, définitif je l’espère.
La conclusion glacée du Juunin terrorisa le maire-adjoint, qui leur donna toutes les informations nécessaires pour trouver le repaire d’une voix aussi blanche que son teint. Ils se regroupèrent ensuite entre shinobis dans un bosquet que le vétéran assura dénué de présence civile.
- Est-ce que ça change quelque chose ? demanda Masiku avec une hésitation marquée sur le visage. Nous étions venus pour libérer les villageois, c’est toujours le cas.
Sa peur était fondée. En cas d’échecs, les retombées seraient bien pires que ce que l’ordre de mission laissait originellement penser.
- C’est vrai, approuva le Mizu, mais libérer des otages ne demande pas tout à fait les mêmes compétences. Nous avons besoin d’espionner nos ennemis, prendre mesure de la situation, puis agir en fonction.
- J’en déduis que c’est pour moi, répondit la jeune femme avec détermination.
- Sarouh, tu l’accompagnes.
Le Tsumyo n'eut même pas besoin de le regarder pour comprendre le sous-entendu : en cas d’imprévu, c’était un pion dispensable. Le Mizu ne prendrait aucun risque avec la précieuse héritière. Celle-ci ne semblait pas le prendre comme tel et lui adressa un pâle sourire. Au moins pourrait-il veiller sur elle. Il ne reproduirait pas les erreurs de la mission de nettoyage.
- Préparez vous, la nuit risque d’être longue.
L’ordre claqua dans l’air comme une promesse de souffrance. L’équipe n’allait pas être déçue.
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