16 - Choix

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  • Vraiment, tu ne veux pas me dire comment tu vas procéder ?

  Le mélange de surprise et de frustration perçait dans la voix de Sarouh. S’il comprenait l’objectif, le simple fait de devoir tourner le dos à sa partenaire du soir pour qu’elle lance sa capacité l’énervait. Surtout après son laïus sur la confiance.

  • Tu n’as pas besoin de savoir comment ça marche, et si tout se passe bien nous aurons toutes les informations dont nous avons besoin sans nous mettre en danger. Qu’est-ce que tu as à redire à ça ? On a tous nos petits secrets, Sarouh.

  Mey-Linn lui adressa un sourire solaire avant de retourner à sa concentration. Le Genin n'eut rien à redire et se retourna, sans comprendre la raison de son émoi. Irumi lui avait appris à garder le secret sur ses compétences et il était évident que venant des Sabishii, elle garderait si possible ses méthodes sous silence. Frustré, le Tsumyo ne put s'empêcher de réfléchir à sa méthode. Invocation ? Probablement, vu son attirail. Elle n’avait pas nié l’attrait pour le fuinjutsu, même si les pactes étaient une science à part. Et si l’espionne n’avait pas réfuté, elle n’avait pas confirmé non plus.

  • Je te fais confiance pour ne pas tricher, dit-elle comme si elle lisait dans ses pensées, à deux doigts d’utiliser le en.
  • Je pensais surtout qu’après la discussion de ce matin, tu serais plus encline à travailler avec moi.

 Il prenait personnellement son manque de foi. L’adolescent se frustrait de sa propre émotivité. De la part de l’illusionniste, c’était un comble. Pourtant, il ne se corrigea pas.

  • Sérieusement ? s’agaça Mey-Lynn dans son dos. On n’a pas le temps pour ces enfantillages. Tu sais que ça n’a rien de personnel. Je ne connais même pas la moitié de tes compétences.

  C’était toujours plus que lui, mais il se retînt de relever. Sarouh, quatorze ans, agissait en parfait gamin et cela ne lui échappait pas une seconde. Il mourrait juste d’envie de savoir. Qu’elle lui prouve qu’elle avait confiance. C’était stupide. Il balaya ces pensées immatures d’un mouvement de tête et se mura dans le silence. La brume s’était dissipée, mais la nuit noire ne donnait pas une meilleure visibilité. Le duo s’était rendu aux coordonnées fournies par l’adjoint transpirant de peur. Des femmes et des enfants, pris en otage dans un campement de bandit, la survie incertaine, inquiétaient moins le shinobi que sa relation avec la kunoichi. Ridicule.

  L’espionne avait dirigé la phase de reconnaissance. Localiser grossièrement le campement, puis trouver un endroit à couvert à proximité allait lui permettre de récupérer les informations manquantes, avait-elle déclaré. Sarouh n’aurait logiquement rien à faire ce soir, si les étoiles s’alignaient. Mais le Genin savait maintenant d’expérience une chose : ce n’était jamais le cas.

  • Merde, pesta Mey-Lynn comme pour lui donner raison. On va devoir revenir aux bonnes vieilles méthodes je crois. Mais j’ai une bonne idée de la physionomie de leur camp maintenant. Viens par là.

  Tiré de sa morosité, l’adolescent se dirigea vers la base de l’arbre où se cachait la jeune femme. Elle traça grossièrement dans l’écorce du tronc épais à l’aide de sa lame, et lui expliqua la géographie des environs. La Sumikawa passait au Nord de leur position. Le campement était exposé de toute part, mais la forêt s’éclaircissait avant d’arriver à leur position, compliquant considérablement l’infiltration. Derrière un affleurement rocheux se cachait un accès à un réseau de galeries, beaucoup plus profondes que l’apparente platitude de l’endroit ne le laissait supposer.

  • Je suppose que ce réseau a été conçu par des chercheurs d’or et des contrebandiers à la base. C’est ici que mon repérage a été interrompu et c’est également là que je placerais les otages à leur place.

  Sarouh se renfrogna en assimilant les informations. Cela compliquait tout. Entre l’absence de voies d’accès directes et l’incertitude quant à la position des individus à sauver, cela ressemblait à un échec certain. Un sentiment de malaise l’envahit. Plus il y pensait, et plus il avait la sensation que les éléments n’allaient pas ensemble, sans que le Genin n’arrive à mettre le doigt sur le problème.

  • Quelles sont tes capacités d’infiltration ? Je peux couvrir notre aura et j’ai évidemment les bases en termes de déplacements furtifs. Si tu as des aptitudes qui peuvent aider, c’est le moment.

  Mey semblait ignorer son trouble, concentrée à l’élaboration du plan. Sarouh ouvrit la bouche et la referma aussi vite. Sa position était compliquée. Le moindre mot de travers aurait des conséquences funestes. Le regard d’or de la kunoichi finit par se poser sur lui, bloqué dans son mutisme.

  • Qu’est-ce qu’il y a ? Je vois bien que tu es tracassé, mais nous n’avons pas le temps.
  • Je pense que nous devrions reculer.
  • Pardon ?

  Il allait à nouveau devoir prendre cette position ? Une sensation glacée l’étreignit et c’est le visage fermé qu’il exposa à la kunoichi ses raisons. Pour une fois, le Genin aurait voulu ne pas être le pragmatique du groupe.

  • Nous n’avons pas de certitudes quant à la présence d’otages ici et nous n’avons aucun moyen d’être sûrs de notre capacité à passer la surveillance, cela mettrait la mission en péril. Et même si c’était le cas, le risque n’en vaut pas la chandelle.
  • Parce que je suis une Sabishii, comprit-elle d’une voix blanche.
  • Exact. Si ça échoue, ou que tu es simplement blessée, tout me retombe dessus. Dans le cas où je ne suis pas tout bonnement sacrifié dans le processus.

  L’adolecent baissa la tête, incapable d’affronter son expression. Il savait ce qu’il y verrait. La jeune femme tira sa manche, l’obligeant à faire face. Elle s’était rapprochée, le contraignant à la regarder dans les yeux. Il ne vit aucune colère dans son regard.

  • Sarouh. Je ne vais pas t’abandonner, ni t’accuser de quoi que ce soit.
  • Même si je décidais de te croire, je doute qu’on te laisserait le choix.

  Elle le lâcha, prise de court. L’amertume se répandait dans le corps du shinobi. Un arrière goût de bile le saisit. Une chose était certaine, mourir en pion ne l’intéressait pas.

  • Écoute, reprit la jeune femme avec détermination. Si l’on recule, ces otages n’auront aucune chance de survie. Souviens-toi de notre ordre de mission.
  • Tant que le problème des bandits est réglé, nous serons payés.
  • Exactement, continua-t-elle, impitoyable. Je me fiche de ton statut. Je te protégerai des retombées s’il y en a. Je veux faire une différence. Cette fois, j’y arriverai. On peut le faire !
  • Et je dois fonder toute cette confiance sur …? laissa le Genin en suspends, affichant un scepticisme appuyé
  • Je te le promets. Tu as été blessé et je le comprends. Mais je suis plus forte que tu ne le crois. Et je perçois plus de force en toi que tu ne t’en donnes crédit.

  Le silence retomba sur le duo, alors que le shinobi regardait obstinément le sol humide, paralysé par l’indécision.

  • Je peux faire du genjutsu non mental, finit-il par dire, presque dans un murmure. Si tu dissimules notre présence et que nous sommes discrets, ça devrait être possible.

  Il vit Mey-Lynn retenir son excitation de toutes ses forces. Manifestement, la kunoichi était sur le point de lâcher l’affaire. Elle souffla pour reprendre sa contenance avant de lui répondre :

  • Est-ce que tu saurais tromper les autres sens d’un animal ? Un texta, par exemple ?
  • C’est spécifique comme exemple. C’est ce qui a mis en déroute ta tentative précédente ?
  • Oui. Mes animaux d’encre n’ont pas su les passer.

  Elle lui sourit innocemment, alors que le shinobi s'abîmait dans ses réflexions. C’était problématique à plusieurs niveaux. Cette grotesque parodie de chien était difficile à tromper. Quadrupède imposant de plus d’un mètre au garrot, sa gueule était un amalgame dérangeant de canidé et de reptile. Il en cumulait les qualités. Capable de respirer sous l’eau comme sur la terre, ses griffes lui permettaient aussi de fouir dans la terre humide des rivières dans lesquelles il évoluait. Plus solitaire que les amis de l’homme, ils ne formaient que de petite familles, mais leur capacité de détection était incroyable. Sensible au Chakra, à l’odeur, au bruit et à la température, il était excessivement difficile de s’en dissimuler. Même la combinaison de leurs aptitudes ne leur garantissait pas le succès. Mais surtout, qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ici ? Le Genin aux cheveux bleus releva la tête et se frappa les joues pour se donner de la force, déterminé.

  • Ça peut le faire.

*****

  La paire arriva enfin à l’entrée du tunnel. Tout s’était jusque là déroulé sans accroc, les deux shinobi évoluant de concert entre les patrouilles, ombres parmi les ombres. Il n’y avait même pas eu besoin de recourir au in de Mey-Lynn, cette aptitude à moduler le Chakra pour diminuer sa présence, afin de passer outre la vigilance des gardes du campement. La discrétion de la jeune femme était exemplaire, bien au-delà des standards pourtant élevés de la formation gensouarde. Les mouvements étaient fluides, sa prise d’information et ses réactions, parfaites. L’illusionniste seul n’aurait pas été capable d’un tel degré de perfectionnisme et il ne l’admettait qu’à grand peine.

  Le tunnel était large, froid et humide. Des gouttes tombaient des stalactites et de puissants courants d’air secouaient les shinobi. La progression devient plus lente et laborieuse. Au détour d’un couloir naturelle, Sarouh fut surpris par des bruits de pas. Une patrouille. En un instant, Mey-Lynn le plaqua contre le mur, une main posée sur son épaule, torse contre torse. Réagissant immédiatement, l’illusionniste dissimula leur présence, modelant son Chakra pour peindre le mirage d’un prolongement rocheux, identique aux parois de la grotte. Dans une lenteur insoutenable, deux hommes passèrent devant eux sans les remarquer. Coincé contre la Sabishii, il sentait sa chaleur et l’odeur de ses cheveux mettre à rude épreuve sa concentration, contraste brutal avec la grotte inhospitalière.

  • Pas mal, chuchota la kunoichi dans son oreille, déclenchant une vague de frissons dans son échine avant de se décoller de lui, mais il s’agirait de faire plus attention.

  Elle lui prit la main et continua son avancée. Concentrée sur le maintient du in pour deux, elle ignorait bien le torrent d’émotions confuses qui déferlaient en son partenaire. La proximité et le danger fusionnée à son étrange admiration pour la kunoichi perturbaient le Genin, d’habitude si concentré. La maîtrise qui permettait à l’espionne de masquer leurs deux présences n’en était que plus impressionnante. Même si les bandits n’étaient pas formés aux arcanes du shinobi, tous les êtres vivants réagissent naturellement à l’énergie. En agissant ainsi, elle avait muselé leur instinct, tandis que le Tsumyo altérait leurs sens. Sarouh secoua la tête pour en sortir la kunoichi qui y avait pris toute la place.

  Après quelques croisements, la grotte céda sa place à une galerie artificielle. Les couloirs rétrécirent et les poutres de bois maintenaient l’ensemble. Un sentiment de claustrophobie s’empara du Genin aux cheveux bleus. Le seul moyen de passer une patrouille ici serait de l’éliminer. Le ninja continuait à se répéter qu’il n’y avait aucun intérêt stratégique à défendre cet endroit aussi profondément, sans réussir à se défaire de son mauvais pressentiment.

  Ils finirent par arriver aux abords d’une salle plus large et éclairée. Avant qu’il ait pu y mettre un pied, Mey-Lynn l’arrêta, tapa deux fois sur son épaule avant de faire un signe de tête vers le chemin qui suivait. Ca allait être à lui de jouer. L’illusionniste malaxa son Chakra encore indécis sur la procédure qu'il allait suivre. Deux options s’offraient à lui, chacune avec leur lot de risques. La première, masquer leurs odeurs, températures et sons avec de fausses informations. Une chose à la fois lui semblait accessible, mais le mélange était risqué. Deuxième solution, il pouvait directement s’attaquer aux perceptions du texta, et laisser sa camarade les rendre suffisamment discrets pour passer les autres gardes.

  Après plusieurs minutes de préparation, Sarouh souffla doucement. Utiliser le genjutsu mental sans contact était aussi bien plus dur. Finalement, la stupidité de la créature permettait peut-être une troisième option. Un sourire victorieux étira ses lèvres.

  En rentrant dans l'alcôve obscure, ils se glissèrent entre les ombres projetées par les torches, les bandits assis autour d’une table de fortune en train de jouer aux cartes, complètement ignorants de l’infiltration. Le texta releva la tête, suspicieux. Il était persuadé d’avoir senti quelque chose.

“ Pas un danger, pas important.”

  Alors que la conclusion se gravait dans l’esprit simpliste de l’imposante créature allongée près des deux gardes, de lourdes chaînes entravant ses mouvements, ses 4 yeux au repos, il reposa sa gueule massive sans un bruit sur ses griffes d’acier. Deux ombres passèrent, et il se rendormit.

*****

  • Comment as-tu fait ? C’était trop cool !

  L’effusion soudaine de Mey-Lynn doublée de son sourire radieux fut aussi difficile pour le shinobi à encaisser que le contrecoup.

  • Moins fort, Mey.
  • Tu te permets de m’appeler comme ça maintenant ? s’amusa la kunoichi, alors qu’il s’asseyait en haletant, visiblement épuisé. C’est bon maintenant, il n’y a rien aux alentours, je m’en suis assurée. Tu as trop puisé dans tes ressources ?

  L’anxiété de la Genin était touchante et son air décontracté aida l’adolescent en peine à retrouver une contenance.

  • J’ai besoin de deux minutes. Sans contact, le haruka est épuisant.
  • Mais comment tu as pu occulter tous ses sens sans qu’il ne réagisse ? A moins que…

  Sa phrase mourut alors que ses yeux s’écarquillaient de surprise avant de se muer en une moue rieuse alors qu’elle comprenait l’astuce. Sarouh lui répondit avec un sourire aussi franc que fatigué. Il se mit à méditer dans un recoin sombre de la grotte, sans rien dire de plus, comptant sur la Sabishii pour monter la garde. Leur confiance mutuelle réchauffait le cœur du Tsumyo plus fort qu’il ne voulait l’admettre. La jeune femme se posta devant lui, sérieuse et silencieuse, et un curieux sentiment de sécurité l’envahit, dans l’obscurité gelée de la base ennemie.

  Après de longues minutes, le duo reprit sa progression et ils arrivèrent enfin à l’objectif. Les épais barreaux d’acier s'enfonçaient profondément dans la roche, et seule une porte coulissante verrouillée de l’extérieur permettait d’entrapercevoir les otages. Sales, mais en bonne condition, les femmes s’étaient regroupées devant leurs enfants, boucliers humains à l’instinct aiguisé. Des pleurs étouffés résonnaient sur les parois rocheuses.

  • Il en manque, murmura Sarouh.

  Un bref coup d'œil suffisait à réaliser que seulement un tiers au mieux des prisonniers se trouvaient ici.

  • On leur demande où sont les autres ? demanda la kunoichi avant de s’exécuter, suite au hochement de tête de son coéquipier. Je suis Mey-Lynn, envoyée par Gensou pour vous libérer de la menace. Est-ce que vous savez où sont les autres otages ?

  Des murmures s’élevèrent entre les différents prisonniers, manifestement méfiants. Une blonde trentenaire, les traits tirés, se mirent devant les autres.

  • Je peux vous y mener ! Les autres restent ici en sécurité.

  Les désaccords s'amplifièrent entre les détenues. Entre celles qui voulaient être libérées immédiatement et celles qui refusaient de faire confiance aux shinobis ni à la parvenue s’étant proposée, aucun consensus n’était prêt de naître. Face à ça, le Genin tira Mey-Lynn plus loin pour s’entretenir avec elle en silence.

  • Nous avons les informations qu’il nous faut, déclara-t-il avec froideur. Cela devient trop dangereux, nous devrions aller chercher des renforts.
  • Sarouh, tu sais qu’ils élimineront les otages en premier s’il y a conflit devant le campement.
  • Setsuya pourra empêcher ça.

  La voix du Tsumyo indiqua qu’il n’y croyait qu’à moitié. Mais il n’était pas prêt à prendre le risque. L’installation était bien trop profondément enfouie dans le campement, et sans moyens de communications, il craignait que la situation ne se retourne contre eux. Mey-Lynn s’entêta sans élever la voix, froide et directe.

  • Il vaut mieux neutraliser les gardes au fond et réunir les prisonniers au plus loin des combats. Cela nous évitera d’avoir à gérer une situation épineuse si elles sont utilisées comme boucliers.
  • C’est trop long, s’exaspéra le Genin. Nous avons déjà utilisé beaucoup de ressources, l’objectif est accompli. Tu es trop gourmande. Nous ne sauverons personne si on nous repère.
  • Si nous ne finissons pas ce pourquoi nous sommes là, cela n’aura servi à rien.
  • En mission nous n’avons pas toujours ce qu’on veut.

  L’image de l’enfant parasité lui revînt. Est-ce qu’ils auraient pu le sauver en agissant différemment ? L’adolescent n’en était pas convaincu. Pourtant, quand la jeune femme planta son regard doré dans le sien, il sentit qu’il avait perdu cette bataille.

  • Nous éliminons les gardes sans les tuer, mais pas le temps de réunir les otages. Nous nous contentons des infos de la blonde. C’est bon pour toi ?

  Mey-Lynn lui adressa un sourire radieux et se dirigea vers les prisonniers. La vision des enfants réunis contre leur mères fit saigner le coeur du Tsumyo, qui chuchota pour lui-même :

  • Pourvu qu’on ne le regrette pas.

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