18 - Les lendemains qui chantent
- C’est hors de question !
L’éclat de voix lointain fut la première chose que perçut Sarouh. Il ouvrit laborieusement les yeux, la lumière du matin s’offrait à lui en une délicieuse souffrance. Le mal de tête, son corps endolori et raide, ainsi que sa jambe abîmée étaient autant de preuves de sa survie. L’air frais et l’aube éclatante lui donnèrent l’élan de se lever. Il prit appui sur l’arbre qui lui servait de dossier et s’appuya délicatement sur ses jambes, agréablement surpris de les sentir fortes sous lui.
Son équipe se disputait en contrebas. L’adolescent soupira, devinant facilement ce qui en était la cause. Avant de les rejoindre, il jeta un oeil aux alentours. Incapable de se repérer précisément, Sarouh devinait ne pas être très loin du campement des bandits. Pourquoi ne pas les avoir ramené de là où ils étaient partis ? Il interrompit Setsuya sans l’écouter,descendant en boitant le versant pour obliger ses partenaires à se calmer et à prendre conscience de sa présence. Il se tourna fièrement vers Mey-Lynn, un sourire mesquin aux lèvres :
- Je suis fier d’être ton coéquipier.
Il vit la confusion dans le regard de la kunoichi, visiblement encore agacée. Puis elle éclata de rire et lui mit une tape dans l’épaule.
- Ravie que tu le penses encore.
- Nous sommes heureux que tu ailles mieux, Tsumyo. Comment se porte ta jambe ?
La sollicitude de Setsuya sonna étrangement sincère à ses oreilles. S’attendant à la froideur militaire habituelle, il bafouilla une réponse évasive.
- Tu nous as inquiété, fit doucement Masiku. La situation avait l’air rude quand nous sommes intervenus.
Sarouh s’autorisa un petit sourire. Il allait de surprises en surprises. L’Arabara et ses yeux arc-en-ciel qui l'avaient envoyé tout droit à l’hôpital était-il le même ? Il doutait de plus en plus devant la normalité affichée de l’adolescent.
- C’est le moins qu’on puisse dire. Comment vont les otages ?
Ses camarades détournèrent le regard. Le silence de Mey-Lynn lui donna toutes les informations dont il avait besoin.
- La plupart sont morts sous les éboulements. Nous avons apporté les premiers secours à ceux qui étaient encore en état, avant de les amener à notre campement.
La voix grave de Setsuya plongea Sarouh dans un abysse de réflexion. C’était exactement ce qu’il craignait en arrivant dans les galeries.
- Je suis ravi que tu sois capable de te lever, mais comme tu le vois, nous avons plus urgent à trancher, reprit le Juunin. Tu as deviné de quoi il s’agit ?
- Savoir si l’on me met sur le dos l’échec relatif de la mission, et décider en fonction de ce que l’on fait des villageois ?
Un éclair de surprise traversa les yeux du responsable, à la grande satisfaction de Sarouh qui s'était avancé avec une décontraction parfaitement feinte. Devant leur mine étonnée, l’illusionniste continua, la voix pleine de cynisme :
- Vous ne pouvez décemment pas dire qu’une illustre Sabishii s’est plantée dans son estimation du danger, ni que le chef d’équipe du tout-aussi-célèbre clan Mizu ait manqué de la laisser mourir. Alors que dire qu’un étranger lui a forcé la main, ça apaise tout le monde.
L’adolescent était fier de lui. Cette petite bravade était tout ce qu’il pouvait faire, la responsabilité lui tomberait dessus de toute manière, autant l’assumer avec la manière. Il planta son regard dans les yeux délavés de Mey, avec un goût de “Je te l’avais bien dit” :
- Faites donc ça. C’est la meilleure décision.
Il masqua son amertume derrière sa fierté. Au moins décidait-il lui-même de son destin. Être en vie est tout ce qui comptait. Beaucoup avaient perdu ce privilège cette nuit. Alors que ses yeux se perdaient dans les paresseux nuages, la voix de sa coéquipière le ramena sur terre.
- Non mais écoute toi parler, quel crétin ! Je refuse catégoriquement.
Mey-Lynn s’était insurgée, le brasier de la colère réveillé dans ses yeux d’or.
- J’ai pris cette décision, je nous ai forcé à continuer. Tu penses qu’une héritière de clan peut esquiver ses responsabilités toute sa vie ? Que c’est crédible qu’on se soit tous entendu pour suivre les ordres du membre le moins influent de l’équipe ?
Elle fulminait. Dans sa voix perçait la culpabilité et la colère. Le manque de foi de Sarouh la blessait aussi profondément que reconnaître ses propres manquements. La jeune femme se reprit, en expirant profondément, avant de s’adresser à tous d’une voix sifflante :
- Je suis surprise que vous omettiez le point le plus important. Nous étions attendus, c’est la vraie cause de l’échec de cette mission et un bien meilleur sujet pour étancher votre soif de politique.
- Vous pensez que c’était un traquenard ? demanda Setsuya.
- J’ai du mal à imaginer que cela ne soit pas votre cas, intervint d’une voix volontairement provocatrice le Genin aux cheveux bleus.
Il était absolument certain que leur chef d’équipe était arrivé à la même conclusion. Aussi énervant que soit Setsuya, il était intelligent. Son grade et sa discipline étaient des preuves suffisantes. Sarouh continua :
- Le texta domestiqué, le piège autour des otages, sans oublier qu’ils connaissaient la formation d’une escouade shinobi sont autant d’indices. Je suppose également que parmi les prisonniers se trouvait une taupe.
Un silence tomba sur le groupe, songeurs quant aux implications. Les brigands n’auraient jamais pu dominer une telle créature eux-même. L’hybride de reptile-canin était une force de la nature, increvable et de très mauvais caractère. Impossible que leur escouade mal préparée ait réussi à se le procurer. Quelque chose clochait.
- Je crois qu’ils ont été utilisés, finit de conclure Sarouh d’une petite voix.
- C’est également ma conclusion, le surprit Mey-Lynn. Ils n’ont pas les ressources, ni l’intelligence tactique pour nous piéger. Je pense qu’on les a manipulés et payés pour qu’ils se croient aptes à éliminer notre escouade.
- Mais dans quel but ? releva Masiku. Une telle débauche de moyens, c’est absurde !
- Tuer l’un de nous.
Setsuya avait conclu avec la froideur efficace qui le caractérisait. Les Genins se regardèrent, abasourdis et apeurés alors que le vétéran rassemblait ses pensées. Il y avait fort à parier que la taupe dont parlait Sarouh s’était enfuie. Possiblement, c’était la même personne qui avait initié le piège. Un nukenin ? Un contrat contre une des grande famille Gensouarde ? Dans le pire des cas…
- Cela nous laisse à déterminer ce qu’on fait du village, le coupa dans ses pensées Sarouh.
- Comment ça ? Tu ne crains tout de même pas qu’ils soient de mèches ! On ne peut pas tous les accuser dans le doute !
La réaction de Masiku était légitime, mais pas moins que l’interrogation du Tsumyo, qui surprit à nouveau le vétéran. Ce petit était bien trop habitué aux coups fourrés pour son propre bien.
- Il suffit, j’ai besoin de réfléchir seul. Organisez vos affaires. Sarouh, demande à Mey de t’examiner. Départ dans une vingtaine de minutes.
L’équipe se dispersa. La kunoichi aida le blessé à marcher jusqu’à un arbre où il pu s’affaisser, inutile mais bienvenue attention. Elle se laissa tomber à ses côtés, laissant enfin transparaître son épuisement, le visage pâle et creusé.
- Comment tu vas ? lui demanda Sarouh, après l’avoir laissé respirer quelque temps.
- Je ne sais pas. J’ai tué, manqué de mourir et failli à mes devoirs. Pourtant, je ne sens rien.
La réponse était presque inaudible, lente et douloureuse. Les bras autour de ses jambes, la jeune femme cherchait un réconfort qui ne viendrait pas. Elle sentit la main de son camarade sur son épaule, bienveillante.
- C’est normal, c’est trop pour toi. Je sais ce que c’est.
- Ce n’est pas ta première ? s’étonna Mey-Lynn, en se redressant.
- J’ai probablement une longueur d’avance. Je frôle la mort de manière compétitive, tu n’as aucune chance.
- Je suis prête à te laisser le podium, rassure toi.
Un sourire timide étira ses lèvres. Cela suffit à Sarouh pour le moment. Il était bien placé pour savoir que c’était déjà un exploit. Si bien qu’il ne fut pas surpris par la question directe qui suivit :
- Et tu avais déjà tué avant ?
- Oui et non. C’est un peu plus compliqué que ça.
- Tu accepterais de m’en parler un jour ?
Le Genin hocha la tête. Le respect de Mey le toucha. Il retira enfin sa main, réalisant qu’elle était restée bien trop longtemps sur la dignitaire. Un sourire plus large se dessina, empreint de taquinerie :
- Elle était très bien ici. Gêné ?
- Je préférerais ne pas être exécuté à cause de ma compassion.
- Je crois surtout que tu n’as jamais touché une fille avant !
- J’ai appris à éviter !
Ils éclatèrent de rire, avant de commencer l’examen médical. Sa jambe était curieusement peu riche en cicatrices. S’attendant à une fracture et à un amas de chair pulvérisé, il n’y avait qu’une seule conclusion possible : Setsuya avait des bases de ninjutsu médical. L’impressionnant soldat était encore plus fort que prévu. Sarouh reporta son attention sur la jeune femme, affairée sur lui. Il dû secouer la tête pour échapper à la gêne.
- Mey ? Merci. Pour tout.
- Je te l’avais dit, que je ne t’abandonnerai pas.
Aucun mot supplémentaire ne fut nécessaire. Une fois les examens terminés, la kunoichi le redressa. Avec un regard entendu, ils réunirent leurs affaires. Sarouh se sentit mieux avec Aura à ses côtés. L’arme et son fourreau avaient été nettoyés avec soin par Masiku qui lui rendit avec un sourire timide.
- Fais en sorte de ne plus jamais avoir à la récupérer comme ça.
Il hocha la tête, alors que Setsuya revenait de la forêt d’un pas décidé, interrompant les adolescents. Il était l’heure de rentrer. Sarouh pensa à Gensou qui le recevrait en parent déçu, encore. Sa mâchoire se crispa. En vie malgré tout, une autre chance de réussir lui était offerte.
- Le sort des villageois sera tranché à Gensou. Je vais m’assurer qu’ils ne puissent pas fuir, ni contacter qui que ce soit en attendant le jugement. Cette affaire nous dépasse.
Le Tsumyo n’endosserait donc aucune responsabilité. Il n’en fut pas soulagé. L’échange timide de sourires avec la kunoichi à ses côtés le revigora, la poignée d’Aura serrée dans sa main. Plus jamais il ne voulait voir une coéquipière risquer sa vie pour lui. La prochaine fois, Sarouh serait fort.
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