19 - Astres contraires

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  La peur au ventre, Sarouh retenait sa respiration. La tension était insupportable, entouré d’ennemis. Un mouvement vif à la périphérie de sa vision l’obligea à réagir, parant l’attaque. Les ombres l’encerclaient, prêtes à dévorer. Dans un ultime sursaut, les armes s’entrechoquèrent. Le shinobi était vaincu.

  • Maman ! C’était mon préféré !

  Triomphante, Takaneiki engloutit son sushi avec un sourire victorieux et narquois. Déglutissant avec un plaisir exagéré son larcin, elle répondit, taquine :

  • Il faudra faire mieux si tu veux devenir Chuunin.
  • C’est de la triche ! A deux contre un en plus !

  Son père adoptif ne dit rien, feignant l’innocence, un large et rare sourire étirant ses traits sévères. La joyeuse famille était enfin réunie. Cela faisait des semaines qu’ils n’avaient eu l’occasion de partager un repas. Même le vieil acariâtre resta silencieux face aux jeux puérils des Tsumyo. Défendre son assiette était ridiculement difficile entouré de ses deux gradés de parents.

  • A quoi te sert tout ton entraînement alors ? fit Naniki, joueur.
  • Apparemment, je me défends très bien en dehors de cette maison.
  • Ca reste à prouver !

  D’un réflexe fulgurant, il bloqua les baguettes de sa mère. Sarouh ne se ferait pas avoir deux fois. Après plusieurs échanges, ils signèrent un cessez-le-feu pour pouvoir manger.

  • Tu as beaucoup progressé, fils, constata son père adoptif.
  • C’est normal, vu l’entraînement qu’il s’impose, balaya sa mère. Tu penses bien à te nourrir et à dormir ? Te tuer à la tâche ne te mènera pas bien loin.

  La discussion reprit, s’agitant autour des derniers sujets d’entraînement du dernier Tsumyo. Sa première compétence Fuuton, l'amélioration de sa lance, de ses genjutsu comme de ses compétences avec Aura furent autant de surprises pour ses parents inquiets.

  • Semblerait que t’aies un peu de talent, tout compte fait, grommela Akira sans lui accorder un regard, les yeux rivés sur son journal.
  • Sans surprise, fit Naniki, d’une voix tranchante. C’est l’un des nôtres.
  • Comment fais-tu, sans sensei ? demanda sa mère, soucieuse.
  • Je n’ai pas d’équipe à proprement parler, mais je ne suis pas seul pour autant.

  Sarouh sentit son coeur se soulever de joie à cette pensée. Irumi, Mey, et même Kurimi étaient les artisans de ses progrès. Il savait que ses parents adoptifs craignaient qu’il soit isolé et pouvoir les décharger de ce fardeau le soulageait. L’adolescent avait grandi depuis sa traversée du désert. Pourtant, les réactions furent mitigées, alors qu’il leur apprenait avec qui il travaillait.

  • Une Sabishii ? Sois prudent mon fils.
  • Mey-Lynn est fiable, interrompit le jeune homme, inutilement sur la défensive. Elle serait morte pour moi. Je refuse de vous laisser en dire du mal.
  • Doucement, doucement continua Naniki d’une voix douce. Elle aussi porte le fardeau de sa famille. Aussi fiable soit-elle, n’oublie jamais qu’elle a son contexte. Ne t’attache pas trop.
  • Et cette Irumi est une source de problèmes en devenir, continua Takaneiki d’une voix sèche. Même nous, n’ignorons pas qu’elle a subi de nombreuses punitions pour insubordination et mise en danger d’autrui. Le talent ne la protégera pas toujours.

  Ce fut une douche froide pour Sarouh qui se mura dans le silence. C’était injuste. Il voulut la défendre, mais ne trouva pas les morts devant la mine sévère de ses parents. Face à son air abattu, une main rassurante se posa sur son épaule.

  • Fais juste attention à toi, reprit sa mère, caressant maintenant la joue de son fils. Nous n’avons pas le luxe de l’erreur de jugement, tu comprends ?

  Il chassa la main de Takaneiki sans un regard et termina son assiette, silencieux. L’adolescent voyait très bien ce qu’elle voulait dire, mais refusait d’accepter les conseils de ses parents. Après tout, les gens qu’ils calomniaient avaient été présents, lorsque sa famille ne laissait qu’un vide glacé. Son père ramena la conversation sur l’entraînement et ils échangèrent quelques anecdotes de leurs missions. Les voir plaisanter de situations mortelles réchauffa l’attitude sombre de Sarouh.

  • T’aurais vu la tête qu’elle faisait ! Elle a été de corvée de cuisine tout le reste de la mission pour se faire pardonner.
  • Mais puisque je te dis que je n’y pouvais rien !

  Sarouh finissait de ranger la table, écoutant leurs histoires avec un sourire ,lorsqu’il fut stoppé par son Naniki. Il arborait l’air grave et sérieux qu’il lui connaissait d’habitude.

  • L’examen Chuunin approche. Avec lui, tu auras accès à de meilleurs partenaires, une plus grande reconnaissance et une meilleure autonomie. Même si tu es encore très jeune, c’est une excellente opportunité. Mets toutes tes chances de ton côté, d’accord ?
  • Je surveillerai tes progrès avec attention, fit Akira sans lever les yeux du journal. Alors ne nous déçois pas.

  Sarouh hocha la tête et la conversation s’arrêta là. De toute évidence, les adultes devaient discuter entre eux, car ils restèrent attablés. Pensif, il s’habilla et quitta la maison. Ses parents faisaient tout pour le pousser à obtenir ce fichu grade au plus vite, mais le Genin doutait de la pertinence de leur choix. La promotion était dangereuse, difficile d’accès, et en cas d’échec sa situation empirerait. L’urgence lui échappait. Quels dangers ses parents pouvaient-ils bien entrevoir qui justifiaient cet empressement ? Ses pas le menèrent mécaniquement au terrain d’entraînement, et c’est une tape sur l’épaule qui le sortit de ses réflexions :

  • Il faut répondre quand on t’appelle.
  • Seulement quand c’est une personne qui mérite mon attention.

  Mey-Lynn le gracia d’une expression exagérément outrée :

  • Quelle outrecuidance, comment oses-tu ? Il va falloir te corriger, vil manant.
  • Je suis encore douloureux d’hier.
  • C’est que ça ne t’a pas suffit.

  Sarouh posa ses affaires ainsi qu’Aura au sol et se mit en position de combat après quelques mouvements d’épaules pour s’échauffer. Sa partenaire déjà prête, sautillait en arborant un grand sourire. En matière de corps-à-corps, l’héritière des Sabishii était plus rapide et forte que lui, mais son instinct et ses réflexes lui permettaient de lui tenir la dragée haute. Cela faisait quelques semaines qu’ils se voyaient, finissant parfois l’entraînement dans la bibliothèque privée de l’héritière. D’abord surpris de pouvoir passer autant de temps avec elle, Sarouh s’était ensuite décidé à en profiter le temps que cela durerait. D’un mouvement de tête, ils se saluèrent avant de plonger dans l’affrontement.

  Mûs par l’habitude, leurs corps se répondaient avec naturel. La simulation de combat s’éternisait, sans qu’ils ne montrent de signe de fatigue. Entre deux échanges, Mey l’interrogea :

  • Tu es perturbé ? Je te sens absent.
  • Mes parents ont le chic pour me perdre. C’est rien d’important, j’ai juste que parfois j’ai du mal à voir où ils veulent en venir.
  • Je te comprends.

  Sarouh para un coup de pied de son avant-bras, envoya une droite à l’aveugle qui fut esquivé par une rotation de buste. Elle saisit son bras en une tentative de clé de bras, désarmée aussi vite par une poussée de l’adolescent. Il reprit sa garde et sa respiration, alors que les deux combattants cherchaient une nouvelle ouverture pour plonger au combat. Il se permit un commentaire, le regard citrine de sa partenaire dénué du mordant qu’elle montrait d’habitude avec lui :

  • Tu n’as pas l’air plus dans ton assiette que moi.
  • C’est parce que tu ne mérites pas que je me concentre sur toi. Mes pensées vagabondent.

  La jeune femme fit mine de bailler et Sarouh passa à l’offensive, déterminé à lui faire regretter ses paroles. Il frappa sans cesse, mais ne réussit qu’à se fatiguer. Mey-Lynn l’énervait autant qu’il l’admirait. Elle trouva une faille et le repoussa d’un coup de pied dans les côtes.

  • Inutile de foncer, tu n’es bon qu’en défense.
  • J’essaie de divertir la princesse.

  Elle lui adressa un sourire triste puis une rafale de coups vicieux et rapides. Mis en échec, par le brutal changement de rythme, l'illusionniste glissa sur le sol boueux. La genin fondit sur lui et frappa le sol, juste à côté de sa tête du poing.

  • Je gagne, fit-elle, couchée sur lui, un sourire victorieux.
  • Comme souvent, admit-il en détournant le regard.

  Mey-Lynn se redressa presque à regret et lui tendit la main. Une fois debout, Sarouh épousseta, le souffle court, avant de s’étirer. Il jeta un oeil à l’héritière des Sabishii, à nouveau perdue dans ses pensées.

  • Tu es sûre de ne pas vouloir m’en parler ? Je ne pourrais peut-être pas comprendre, mais je peux écouter.
  • On ne m’a pas éduquée pour être bavarde.

  Elle s’assit sur ses genoux, les yeux clos, prête à entrer en méditation. L’illusionniste supposa que la conversation se finissait ainsi et se concentra sur ses étirements et sur la suite de son programme. Le soleil sur sa peau le ravissait, après le mauvais temps des derniers jours. Pourtant, une petite voix le sortit de son exercice de méditation à peine une minute plus tard :

  • J’ai l’impression que je ne serais jamais assez. Je reçois des injonctions contradictoires en permanence. Et à force de vouloir satisfaire tout le monde, j’ignore qui je suis.

  Bien qu’évasive sur le détail, son propos était suffisant pour Sarouh. Les Sabishii était le troisième ou quatrième clan le plus influent du Village. Si leurs dissensions internes n’étaient pas publiques, le Tsumyo voyait sans mal quelle genre de pression lui était appliquée.

  • Je dois être forte, je dois m’affirmer, mais je dois être sage et obéissante. Ils se rendent compte qu’il faut faire des choix ? Et ma mère…

  La phrase resta en suspend, porteuse de toute sa frustration. Mais que ça soit pour protéger son clan des oreilles indiscrètes, par honte ou tout simplement par manque de mots, Mey-lynn ne put se résoudre à la finir. Elle souffla, toujours immobile dans la brise qui agitait ses tresses.

  • Merci d’être là.
  • Y’a pas de quoi, princesse.
  • Arrête ! Je suis sérieuse.

  Sarouh brisa sa méditation pour la contempler un instant. Le port noble de la svelte jeune femmet et son air concentré lui donnaient l’aura de majesté qui allait à son titre. Peut-être ne le réalisait-elle pas encore. Avec un pincement au coeur, le Tsumyo lui posa la question qui le tourmentait :

  • Ta famille sait que tu me fréquentes ?
  • Oui. Et ça pose les problèmes que tu imagines.
  • Pas assez noble à votre goût ?
  • A leur goût, Sarouh. Tu as mauvaise réputation depuis le Tournoi.

  Un silence s’abattit sur le terrain d’entraînement. Il passa sa main dans ses cheveux bleus, ignorant la sensation qui étreignait sa poitrine. Il répondit d’une petite voix :

  • Et qu’est-ce que tu en penses toi ?
  • Je suis présente, qu’est-ce qu’il te faut de plus ? Mais honnêtement, j’ai peur.
  • De ?
  • Qu’on ne me laisse pas toujours le choix.

  Évidemment. Les phrases de son père lui revinrent en tête. C’était de cela qu’il voulait le protéger. Le soleil ne parvint soudainement plus à le réchauffer, alors qu’un frisson parcourait son corps. Serait-il toujours mis de côté de la sorte ? Etait-ce pour cette raison que ses parents étaient si insistants avec l’examen ?

  • Profitons de ce que ta liberté peut nous offrir alors, finit-il par déclarer, la voix hésitante.
  • J’y compte bien. Mais es-tu sûr que cela te convient ?
  • Je prendrai ce que tu me donneras.

  Un sourire éphémère trahit la joie de Mey-Lynn, alors que le silence revint, moins pesant cette fois. Elle reprit, sans se départir de son sérieux :

  • Attends d’entendre la fin, avant de prendre ta décision. J’ai les nouvelles de la mission. J’ai été conviée, avec les autres membres de l’équipe.

  Sarouh choisit d’ignorer qu’il n’avait pas été invité, ainsi que le malaise de sa déclaration. Ce n’était pas le moment de pinailler. Il n’y avait aucune surprise dans la différence de leur traitement. Il l’invita à développer d’un geste de la main, la Sabishii ayant également abandonné l’idée de continuer sa méditation :

  • Setsuya a pris la responsabilité de ce qu’il s’est passé, bien qu’il ait réussi à s’en sortir en soulignant qu’il s’agissait d’un piège.
  • Incroyable, s’en sortir avec la vérité, qui eut cru ce miracle possible.
  • Sarouh, gronda Mey-Lynn, mi-agacée mi-amusée.
  • Et pour le village ?

  La jeune femme marqua une pause, visiblement touchée. L’adolescent n’aimait pas où cela le menait et tenta de deviner :

  • Exécutions ? Publiques j’imagine, pour donner l’exemple ?

  Mey-Lynn hocha douloureusement la tête. Même si avec des otages, la position du hameau était intenable, cela ne changeait rien : toute action contre un Village serait sanctionnée.

  • Les enfants et les adolescents se sont vus offrir le choix. Servir Gensou, ou…
  • Disparaître.

  Le Tsumyo n’aimait pas cette ligne de raisonnement. Au final, la Cascade y perdait deux fois. La tentative de meurtre aurait pu fonctionner et en plus, ils perdaient un accès commercial sur la Sumikawa. Il se doutait que l’importance des clans ciblés y était pour beaucoup. Le Kage était obligé de se montrer inflexible, si une menace extérieure se posait face aux membres les plus éminents de Gensou. De plus, le Genin supposait que l’exécution avait aussi permis d’interroger de manière plus poussée les suspects sans soulever l’ire des médias. Mey-Lynn le sortir de ses pensées :

  • Mais on m’a conseillée fortement de rester loin de toi un moment. Nous allons devoir espacer les entraînements ensemble. Et je crains ne plus pouvoir t’offrir l’accès à nos murs.

  Ainsi, on le considérait encore responsable à un certain degré du fiasco, malgré les faits accablants. Ou alors n’était-ce qu’un prétexte ? Une pointe de douleur et de colère saisit le Genin aux tripes. Il s’était attaché à sa partenaire. Il croisa son regard doré, partageant avec l'héritière une expression crispée. Sarouh ne savait pas pourquoi cela l’atteignait autant. Il ne la connaissait que depuis peu. Peut-être parce qu’elle s’était montrée si fiable ? Son sacrifice dans la mission l’avait touché. Cela devait être ça. Face au silence du jeune homme, Mey-Lynn se sentit obligée de se justifier :

  • Je suis désolée. Je te jure que je n’y suis pour rien. C’est temporaire, après l’examen…
  • Ne te fatigue pas, la coupa Sarouh. Je connais tes raisons et je te fais confiance.

  Il se leva, verrouilla son cœur à triple tour à nouveau, et admira la Genin toujours sur ses genoux. Ses tresses encadraient son visage fin et symétrique et son regard jaune qui le fascinait tant. Elle possédait de nombreuses qualités. Pourquoi ce constat lui faisait si mal ? Dans un murmure, il déclara :

  • Tu feras une excellente chef de clan un jour. Tu pourras compter sur moi si tu en as besoin.

  Et il se retourna, décidé à s’en aller. Mey-Lynn ne lui répondit pas, alors qu’il cimentait un mur entre elle et lui. Les sentiments qu’il ressentait pour elle ne devaient rester qu’une lointaine admiration. Rien de plus. Alors qu’il quittait le terrain d’entraînement, il perçut un lointain :

- Merci pour tout.

  Il continua son chemin vers la cascade, la colère et la détermination renouvelées. Il lui fallait réussir cet Examen. Son poing se resserra autour d’Aura. Tous verraient bientôt sa force. Mey pourrait compter sur lui. Tous le pourraient.

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