Chapitre 1 Le Chasseur Solitaire
Le vide intersidéral frémissait d’un calme trompeur.
Au loin, une nébuleuse étirait ses volutes pourpres et cendrées comme une plaie mal refermée dans le tissu de l’univers. Des astéroïdes massifs flottaient en silence, tels des ruines d’un empire oublié, leurs faces scarifiées par des collisions antiques. La lumière d’une étoile moribonde glissait lentement sur leurs surfaces givrées, révélant des cristaux d’Urlaxite incrustés dans la roche – des filons de bleu incandescent, vestiges de la fureur d’étoiles mortes.
Mais ce décor de fin du monde ne tarda pas à trembler.
Une ligne rouge stria le noir. Le Frelon, vaisseau compact et vif, jaillit du néant comme une flèche lancée par la main d’un dieu nerveux. Il zigzagua entre les blocs flottants, traînant derrière lui une gerbe d’éclats lumineux, comme s’il saignait des propulseurs.
À ses trousses, la silhouette massive de l’Étoile Cendré fendait le silence avec la lenteur d’une menace inévitable. Sa coque noire, rapiécée et hérissée d’antennes archaïques, absorbait la lumière comme un prédateur dans l’ombre. Chaque tourelle semblait dormir d’un œil, prêtes à s’éveiller d’un seul mouvement d’humeur.
À l’intérieur, le cockpit de Seth Karran baignait dans une pénombre ambrée.
Une lampe pendue à un câble oscillait doucement au-dessus de son épaule, révélant par flashes un fouillis organisé : mugs froids, outils dispersés, photos cornées punaisées sur une cloison de métal taché. Au mur, un ancien blouson d’uniforme pendait comme un souvenir qu’on n’ose jeter.
Un brouillard de fumée flottait, et l’odeur du vieux café rassis se mêlait à celle d’huile de moteur. Un globe stellaire cassé traînait entre deux moniteurs clignotants. Le tout évoquait moins un poste de pilotage moderne qu’un bureau de détective célibataire à la retraite, exilé dans l’espace, une clope mentale coincée entre les lèvres.
Seth s’y intégrait parfaitement.
Quarantaine avancée, le regard acéré, les tempes grisonnantes. Il avait l’allure de ceux qui ont enterré trop de compagnons pour encore s’émouvoir d’une explosion. Il jurait beaucoup, mais pensait en silence. Son ironie était une cuirasse aussi épaisse que la coque de son vaisseau.
Il marmonna en tapotant une commande sur le tableau de bord :
— Bien sûr… fallait que ce soit les canons.
L’écran d’armement s’éteignit dans un grésillement. Un avertissement clignotait : Surcharge ligne D-17 – Défense inactive.
— Génial. On est une cible volante.
Une alerte retentit. Signature thermique détectée. Le Frelon.
Seth redressa le fauteuil, un siège à l’ancienne dont le cuir craquait à chaque mouvement. Il réajusta son bracelet brouilleur – un petit module discret qui masquait ses données biométriques. Une nécessité. Les reflets argentés dans sa peau, preuve de ses origines astréennes, devaient rester secrets.
— T’as voulu l’exil, Seth. Maintenant, vis avec.
Une communication s’ouvrit.
— Hé, papy Karran ! T’as oublié comment piloter ou tu fais une sieste technique ?
Finn. Le pilote du Frelon. Jeune, insolent, et bien trop rapide pour son propre bien.
— Toujours aussi bavard. C’est ton meilleur système de défense, hein ?
— Et ton canon principal, c’est ta nouvelle lampe de lecture ? Parce que je viens de te voir tirer… dans le vide.
Seth coupa la liaison d’un geste sec.
— J’vais te faire avaler ton générateur dorsal, Finn.
Il enclencha les propulseurs. L’Étoile Cendré bondit en avant, un grondement sourd dans les entrailles du vaisseau. Seth manœuvrait à l’ancienne : main ferme, regard clair, anticipation dans chaque virage.
Mais soudain, une seconde alarme retentit. Une surcharge moteur.
— Non. Pas maintenant…
Des voyants rouges s’allumèrent. Trop de tension. Le système coupa la poussée automatiquement. Le Frelon disparut dans l’ombre d’un champ d’astéroïdes.
Seth tapa la console, les dents serrées.
Il tourna la tête vers le haut-parleur incrusté, la diode bleue clignotant faiblement.
— Charly, c’est l’heure.
Un bourdonnement. Puis la voix posée, légèrement condescendante de l’IA :
— Oh, Capitaine Karran… Je suppose que vous avez une bonne raison d’activer une ligne secondaire d’armement sans surveillance thermique ?
— Non, j’avais juste envie de faire tout cramer aujourd’hui. Surprise.
— Admirable. Puis-je reprendre le contrôle pendant que vous bricolez votre désastre personnel ?
— Contrôle ? T’as pas vu les manœuvres que je viens de faire ?
— Je suis justement en train de demander une copie au musée des erreurs historiques.
Seth soupira, se leva. Il attrapa une caisse d’outils cabossée au pied de la cloison.
— Je descends dans les modules. Les canons ont grillé une ligne. Peut-être deux. Surveille le radar et évite les commentaires inutiles.
— C’est tout ce que j’ai à offrir, Capitaine. Des commentaires inutiles et un système secondaire à 43 % de fiabilité.
— Tu vois ? C’est pour ça que je t’adore.
— Et moi, je vis pour votre reconnaissance passive-agressive.
Seth quitta le cockpit en traînant sa caisse.
Le Frelon s’était éclipsé.
Mais la traque n’était pas terminée.
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