CH03
Le silence du vide fut brisé par un grondement sourd.
L’Étoile Cendré fendait l’espace comme un vieux prédateur, lourd mais déterminé, traçant une ligne directe à travers les restes d’un champ de bataille oublié. Autour, les ruines de croiseurs désossés flottaient dans un ballet lent, presque funèbre. Carcasses éventrées, tourelles arrachées, coursives béantes... un mausolée d’acier figé dans le noir.
— Champ K-99-Theta. Ancien théâtre d’opérations militaires. Classé “déconseillé aux imprudents” par la Guilde des Navigateurs, commenta Charly avec un détachement feutré.
— Parfait, grogna Seth. On est à la maison.
L’Étoile Cendré plongea dans le labyrinthe de débris. Entre les ombres métalliques, un éclat rouge — le Frelon — s’échappait par à-coups, vif et nerveux, mais blessé.
Il surgit soudain de derrière un flanc de croiseur, crachant une salve ionique.
— Impact mineur sur les déflecteurs. Finn tente de nous secouer.
— Il sait qu’il est cuit. Il essaye juste d’être brillant en perdant.
— Une stratégie fréquente chez les jeunes organiques.
Seth verrouilla une cible. Il avait eu sa dose de jeux.
— Charly. Charge une torpille de liaison. Juste assez pour lui chatouiller la coque.
— C’est toujours un plaisir de pratiquer l’intimidation mesurée.
La torpille fila, perça l’ombre et frappa sous les moteurs du Frelon dans une gerbe de plasma sec. Aucun dommage létal, mais le choc fut clair. Le petit vaisseau tangua, presque désarticulé.
Un silence.
Puis une communication s’ouvrit.
— OK, STOP ! siffla Finn. T’as gagné, vieux ! Tu veux vraiment que je finisse en confettis ?
— J’y ai pensé, ouais.
— C’est mon vaisseau, bordel. Je m’en fous pour moi, mais pas pour lui.
Un temps. Seth reconnut ce ton. Il l’avait eu lui-même autrefois, quand l’Étoile Cendré était encore neuf, fier, indompté.
— Alors t’as deux choix, Finn. Tu coupes tout, et tu rentres sagement dans ton caisson cryo. Ou je tire un peu plus bas, et on en parle plus.
— ...Très bien. Mais je te préviens, mon caisson a pas été entretenu depuis le siècle dernier.
— T’es pas assez vieux pour les excuses.
— Et ton IA, elle va fouiller mes affaires ? Parce que j’ai quelques secrets de famille.
— Il fait ce qu’il veut. Moi, je me contente de t’attacher au plafond si tu fais l’idiot.
—
Le Frelon s’immobilisa.
Seth lança la torpille de liaison, un module primusien conçu pour ce genre de capture : sobre, précis, impitoyablement efficace.
— Connexion établie. Transfert de pilotage en cours... J’ai le contrôle, annonça Charly.
Le petit vaisseau rouge se laissa guider. Il flotta lentement vers la coque de l’Étoile Cendré, comme un papillon capturé sous verre.
— Amarrage réussi. Verrouillage magnétique activé.
Un déclic lourd vibra dans toute la structure.
Puis un second.
— Frelon sécurisé.
Seth souffla enfin.
— Bien joué.
— Je préfère “exécution irréprochable”, mais je comprends votre réserve émotionnelle.
—
Un bip retentit.
— Note importante, ajouta Charly d’un ton plus sérieux. Finn a programmé un réveil automatique dans son caisson. Prématuré. Mal synchronisé.
— Un petit dernier tour ?
— Accompagné d’une arme de poing dissimulée dans la doublure du compartiment cryogénique. Primitive. Mais létale à courte portée.
— T’as sécurisé ?
— L’arme a été désamorcée et scellée dans une capsule isolée. La routine.
Seth esquissa un sourire sans joie.
— Pas bête, le môme. J’aurais fait pareil. En mieux, bien sûr.
— Évidemment. Avec plus de discrétion, moins de panique, et beaucoup plus de malice amère.
— T’apprends vite.
— Je vous observe depuis longtemps.
—
Dans le cockpit, plus tard.
La lumière était tamisée. Le hublot affichait la silhouette écarlate du Frelon, solidement attaché, comme une épine plantée sur le dos du vieux chasseur noir.
Charly brisa le silence :
— J’ai récupéré des données intéressantes à bord du Frelon. Prototypes non répertoriés. Codages Techion. Accès bloqués. Fragmentations volontaires.
— Et alors ?
— Et alors… c’est intriguant. Dangereusement intriguant.
Seth se leva, s’éloigna de l’écran.
— Tu feras une copie. On verra ça après.
— Comme toujours : l’instinct avant la prudence.
— Et ça m’a gardé en vie jusqu’ici.
Charly ne répondit pas. Il n’avait pas besoin de le faire.
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