Métropolitain
Les freins des rames crissent sur le quai. Il est huit heures trente. Les yeux fuient un instant la lumière bleue — celle qui les inhibe, qui rive leur attention, — pour les néons jaunâtres, froids, qui se ruent sauvagement vers la station. Soudain, la rame arrêtée, les masses molles s'activent face aux portes automatiques. La lutte commence. On feint la politesse, on attend quelques secondes, que les trois ou quatres premiers énergumènes soient sortis, puis soudainement, le sang monte à la tête, on se rue dans la rame, on bouscule le simulacre d'ordre établi avant que le signal sonore ne retentisse, ce signal d'horreur, celui des portes prêtes à se refermer, de la rame prête à quitter le quai sans que notre petit nombril n'y soit installé. Il est huit heures trente, mais on se jette dans chaque métro comme s'il était le dernier. Parfois, on entend des insultes dans le tumulte, une femme qui n'a pas pu sortir, un homme qui n'a pas pu rentrer. Il faut agir vite, obtenir sa place dans ce vaisseau macabre.
Enfin, les portes se referment, le tumulte s'assoupit, les yeux se rattachent à la lumière bleue. Aucun mot, aucun bruit, si ce n'est le hurlement de la rame sur les rails. Puis, les freins crissent de nouveau, et rebelote. Le monde réduit dans cinq pouces, à cinq centimètres de la rétine, on courbe l'échine. L'un navigue sur sa playlist, l'autre regarde les nouvelles alarmistes.
Terminus, tout le monde descend. En haut des marches, devant le bureau, la fac, à la sortie du métro, c'est la pause nicotine. Tout un chacun participe à ce grand effort, celui de descendre le monde, dans un shot de dopamine.

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