14 - Elférad : Tout est à recommencer
Il tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir. Neghttris arriva avec un plateau :
-Je t'apporte quand même quelques trucs. Tu mangeras quand tu voudras. C'est toujours mieux que des biscuits.
Elférad eut un faible sourire :
-Comment tu as su ?
Son ami ricana :
-Tu n'es pas sérieusement en train de poser cette question.
(Arrête). Sa vision devint flou au point qu'il ne put plus distinguer le visage de Neghttris.
-Tu ne t'ennuies pas ? Tu veux que je te ramène des livres de la bibli ?
Elférad y réfléchit un instant :
-Je m'occupe. J'ai des souvenirs qui remontent.
Neghttris fut curieux :
-C'est vrai ? Comme quoi ?
-La première fois qu'on a vu Gzadien.
Il n'eut pas besoin de voir Neghttris pour sentir sa crispation.
-Maintenant que je suis aux portes de la mort, tu vas peut-être me dire la vérité.
-Tu n'es pas aux portes de la mort.
Elférad leva le bras pour voir s'il réussissait à distinguer sa main :
-J'y étais presque.
Neghttris soupira :
-Pourquoi tu lui fais plus confiance qu'à moi ? Vous n'êtes même plus ensemble.
Elférad se dit que c'était une discussion à avoir en face à face. Il rassembla ses forces pour s'asseoir :
-Écoute, c'est la seule explication logique. Qui peut savoir le numéro de la chambre... ?
Son ami éleva le ton :
-Tu te rends compte que tu sous-entends que je t'empoisonne ?
Elférad grimaça quand sa migraine revint :
-Non. Je ne pense pas que tu ais été au courant...
Neghttris vint s'asseoir sur son lit :
-Je te le redis, pour la dernière fois. Je n'ai rien à voir avec ces notes et je te rappelle que Gzadien savait aussi dans quelle chambre il était. En fait, c'est peut-être son plan de me faire accuser.
Il avait l'air très satisfait de lui-même. Elférad faisait son possible pour rester concentré, mais la discussion tournait en rond comme elle l'avait fait de nombreuses fois depuis qu'il était venu s'installer ici. Neghttris se calma :
-Tu ne veux pas me dire pourquoi vous avez rompu ?
Elférad n'eut aucun mal à faire venir les larmes, dans l'espoir que son ami se sentirait suffisamment coupable pour ne pas deviner qu'il mentait.
-Pour la même chose.
Neghttris détourna le regard :
-C'est à dire.
-Je lui ai demandé s'il n'aurait pas fait ça lui-même.
L'héritier d'argent se pencha pour capter son regard :
-Elférad. Tu oublies un point important. Pourquoi il aurait fait ça ? Pourquoi j'aurais fait ça ?
Son ami s'essuya les yeux avec sa manche :
-Je ne sais pas. Je voudrais juste dormir.
Neghttris hocha la tête :
-Je suis désolé. Je te laisse.
Il sortit et Elférad préféra se replonger vers des jours plus heureux.
Gzadien avait obéit. A chaque pause, il s'était tenu dans son coin. Elférad n'avait pu s'empêcher de l'observer pour s'assurer qu'il ne bougeait pas, mais il avait aussi eu de la peine pour le garçon. Celui-ci avait toujours semblé apeuré et avait passé son temps à regarder autour de lui comme s'il s'était attendu a se faire attaquer à chaque seconde. Un jour vint, cela avait été deux ou trois jours après son arrivée, où une balle vint se perdre à ses pieds. Elférad l'avait vu hésiter avant qu'il ne se décide à avancer pour renvoyer la balle. Gzadien était retourné à sa place, mais avait alors aperçu le garçon qui marchait vers lui. Aussitôt, il s'était aplati dans son coin, les bras croisés sur la poitrine comme un bouclier et avait répété à l'intention d'Elférad qu'il supposait furieux :
-Je suis dans le coin, je suis dans le coin.
Le futur héritier d'or lui avait pris le bras :
-Viens jouer.
Il l'avait traîné jusqu'à son groupe, ce qui n'avait pas été au goût de celui-ci. Il avait fallu du temps à ses trois amis pour faire confiance à Gzadien.
Et maintenant, tout est à recommencer. Elférad se redressa lentement en espérant éviter de réveiller sa migraine, pour ramener le plateau vers lui. Il se força à finir le repas froid, se rappelant que cela ne pourrait que l'aider à aller mieux. Cependant, l'adolescent eut à peine fini qu'il dû courir hors de la chambre, atteindre la salle de bain commune et vomir. Après avoir recraché une part de son déjeuner, le jeune homme ricana, assis sur le carrelage, appuyé contre le mur des toilettes, en songeant que cela aurait dû être à Gzadien de déménager de leur chambre. Un héritier d'argent qui profite d'une salle de bain privée, j'en connais qui seraient outrés. Il eut une pensée pour Xutik quand il se sentit sombrer. Le sommeil le prenait toujours en traître, hors, il ne valait mieux pas qu'on le retrouve endormi dans les toilettes. Ça va faire jaser. L'héritier d'or se sourit à lui-même en se relevant. Le monde sembla tourner, sa vue se brouilla. Elférad rassembla ses forces pour tenir debout. Juste quelques pas et tu pourras t'écrouler dans ta chambre. Sur le sol, si tu veux, mais dans ta chambre. Il ouvrit la porte des toilettes en réussissant à se tenir à peu près droit, mais dut s'appuyer au mur du couloir une fois sorti. L'adolescent sentait ses yeux se fermer tout seul. Tiens le coup, allez, encore quelques pas. Il tomba et eut juste le temps de sentir des mains le rattraper avant de s'endormir.
-Elf ? Réveille-toi.
Il lui semblait qu'il venait à peine de fermer les yeux. C'est probablement le cas vu ta situation actuelle. Cependant, l'héritier d'or n'obéit pas à la voix. Il voulait d'abord se souvenir comment il avait pu retourner dans son lit.
-Il faut que je te parle. C'est urgent.
Elférad se souvenait qu'il avait marché dans le couloir. Mais je suis tombé dans le couloir.
-Elf ?
Il répondit par une question :
-C'est toi qui m'a mis dans mon lit ?
-Pas exactement.
Ah bon. L'adolescent essaya de se rendormir, mais il sentait déjà la brûlure venir sous ses paupières. La main fraîche de Gzadien passa dans ses cheveux châtains :
-Tu t'es rendormi ?
L'héritier d'or ne répondit pas.
-Elf ?
-Je suis réveillé.
-Et tu ne veux pas me regarder ?
Elférad résistait à la douleur de ses yeux :
-Parce que c'est peut-être une hallucination. Tu n'es peut-être pas vraiment là.
-Ah... mais c'est dommage, parce que je suis vraiment là.
Elférad s'étira en gardant les yeux fermés :
-Prouve-le.
Il sentit le matelas s'enfoncer sous le poids de Gzadien. La seconde suivante, des chatouilles au niveau des côtes le poussèrent à rire et à repousser le garçon. La douleur revint lui tirant une grimace. L'héritier d'or ouvrit les yeux pour découvrir Gzadien allongé à côté de lui :
-Tu vois que je suis là.
Elférad était radieux et alla se blottir contre l'adolescent :
-Comment t'as fait pour venir ?
Gzadien enroula bras et jambes autour de l'héritier d'or :
-J'ai eu de l'aide et un plan d'enfer.
Elférad leva la tête pour capter son regard :
-De l'aide ? T'as parlé à quelqu'un ?
-Disons qu'ils me sont tombés dessus. Mais j'ai des choses importantes à te dire et je voulais te voir aussi.
L'héritier d'or insista :
-Tu as dis quoi à qui ?
Gzadien se crispa :
-J'ai lu le dernier mot que tu m'as laissé. Il n'est nulle part fait mention du poison.
Elférad se dégagea de son étreinte. (On verra plus tard). Il voulut se redresser, mais la tête lui tourna.
-Enerve-toi doucement. T'auras moins mal.
-Me fais pas rire quand je veux m'énerver.
Gzadien s'appuya contre le mur :
-J'ai pas beaucoup de temps. Je suis venu te parler d'Indilk. Il pense apparemment que ton frère a tué le sien. Il aurait une preuve comme quoi c'était un espion.
Elférad aurait ri s'il avait été en meilleure forme :
-Quoi ? D'où il sort ça ?
L'héritier d'argent haussa les épaules :
-On en sait rien encore. Enfin, je ne vais pas m'impliquer plus avant, mais...
Elférad le dévisageait avec insistance :
-En temps normal, j'éviterais de te questionner. On n'est pas en temps normal, alors n'agit pas normalement et répond à mes questions.
Sa vue se brouilla un instant et il s'appuya contre Gzadien le temps que cela revienne à la normale. Elférad réalisa alors, où il se trouvait :
-C'est pas ma chambre.
Gzadien concéda :
-Plus pour l'instant, non.
L'adolescent tenta de comprendre ce qu'il se passait, mais l'héritier d'argent venait déjà à son secours en expliquant :
-Je t'ai rattrapé dans le couloir. On a hésité un instant à utiliser ta clé pour aller dans ta chambre, mais la mienne était plus proche.
-Qui ça « on » ?
-Hiloy, Rafirin, Falibi et moi.
Comment ils ont fini ensemble ceux-là ? Il se retourna pour lui jeter un regard interrogateur. Gzadien le ramena contre lui :
-Je te le fais dans l'ordre. Hiloy est venue me voir parce qu'elle avait découvert ce que je t'ai raconté sur Indilk. Du coup, elle voulait ma version des faits. La discussion avance, je me trouve obligé de tout raconter sur notre passé mouvementé. En échange, elle m'aide à te voir parce que je m'inquiétais. C'est elle qui m'a dit pour le poison.
Elférad essayait de suivre, mais son esprit était de plus en plus réticent à tout effort.
-Iel t'aide comment ?
-Il a embarqué tes héritiers d'argent pour leur parler d'Indilk. Falibi fait le gué en haut des escaliers et quand ils reviennent, il va se diriger vers sa chambre. Ce que, le voyant faire, Rafirin va comprendre que c'est un signal et toquer à ma porte pour te dire de sortir.
-Soit. Tu peux me réexpliquer le coup de l'espion ?
Gzadien s'exécuta. Il dût répéter certains détails avant qu'Elférad ne réussisse à resituer les choses dans l'ordre :
-Donc, quelqu'un a réussi à contrefaire le sceau de mon clan.
L'héritier d'argent acquiesça et le serra un peu plus en demandant l'air de rien :
-Une idée de qui aurait pu faire ça ?
Elférad avait parfaitement saisi le sous-entendu :
-Pourquoi Neghttris aurait fait un truc comme ça ? Il est de mon clan. Cela fait du tort à sa famille autant qu'à la mienne.
Gzadien observa le profil de l'héritier d'or un instant avec une expression douloureuse qu'il chassa vite :
-Je sais, mais tu lui as parlé ?
-Évidemment.
-Alors ?
-Alors il dit que c'est toi qui a fait les notes.
Gzadien se mit à rire, mais Elférad lui lança un regard sévère :
-Content que ça te fasse marrer. Je ne suis pas sûr que tu réalises dans quelle situation tu me mets. Ça me gonfle sérieusement.
La migraine revenait au grand galop. L'héritier d'argent se reprit :
-Non, désolé. Mais, j'y ai réfléchi. Je ne crois pas qu'il sache exactement où la personne qui a fomenté tout ça veut en venir. Pourtant, il y a une chose qui peut forcer Neghttris à agir de la sorte.
Elférad conclut :
-Si ses frères et sœurs sont menacés.
Il y avait déjà songé. Neghttris avait trois petits frères, deux petites sœurs et c'était tout son univers. Elférad ne doutait pas que si son ami refusait de lui parler de son problème, c'était que ceux-ci étaient en danger. Mais quel danger ? Il s'écarta de Gzadien pour s'agenouiller devant lui et planter ses yeux dans les pupilles d'argent :
-Et toi ?
Gzadien s'étonna :
-Moi ?
-Tu pourrais aussi agir pour un tiers dont tu ignores le but parce que ta famille est en danger.
Le visage de l'héritier d'argent se rembrunit, mais Elférad continua :
-Les chances pour que la famille de Neghttris soit en danger sont moindres par rapport à la tienne. S'il y avait un problème au sein de mon clan, mes parents auraient trouvé un moyen de m'en informer. Alors que toi, je ne sais même pas comment tu as pu entrer dans cette école.
Le choc durcit les traits de Gzadien, alors que l'héritier d'or n'avait toujours pas fini :
-Ce serait même assez logique. On te fait héritier d'argent, en échange tu fais ce qu'on te dit et tu livres des notes. On se débarrasse de l'héritier du clan Juéllit l'air de rien et toi, tu pourras avouer sans mentir que tu ne savais pas qui avait eu l'idée. C'est la solution miracle pour ta famille qui se fait jeter de partout. Tu sors de cette école et tu créés ton propre clan.
L'expression de Gzadien s'était radoucie et il se pencha pour essuyer les joues d'Elférad avec ses pouces :
-Ne pleure pas.
-Je suis fatigué.
Gzadien parlait toujours doucement :
-Je sais. Je suis désolé.

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