Chapitre 2
La voiture résonne de chansons que Nate et moi entonnons sans retenue, comme nous avons l'habitude de le faire durant nos trajets vers le village de ses parents. Cette fois-ci, notre voyage a un double objectif : fêter l’anniversaire de sa mère ce week-end et profiter du reste de la semaine pour boucler certains préparatifs du mariage. Bien que ravie de faire avancer notre cérémonie, une inquiétude persistante me ronge.
Je suis sans nouvelle de Zed depuis notre dernière conversation, ce qui est loin d'être naturel pour nous. Nous n'avons jamais passé plus de quelques heures sans échanger d'une manière ou d'une autre. Nos jeux en ligne, nos sms et nos appels me manquent. Mon inquiétude grandit, mais j’ai respecté sa demande : je ne lui ai pas écrit, espérant qu’il fasse le premier pas pour raviver notre complicité. Je tente de me persuader que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, que le lien que nous avons n’est pas brisé. Le suspense de ce silence me ronge, m’angoisse plus qu’il ne devrait.
Après nos quatre heures trente de route, nous arrivons à destination. Nate et ses parents ont rendez-vous à huit heures pour essayer un costume dans la grande ville la plus proche. Etant donné que le trajet leur prendra une heure, au bas mot, nous nous couchons tous rapidement.
Je n’aime pas vraiment aller chez eux. Pas parce que je ne les apprécie pas, au contraire. Ils sont véritablement une deuxième famille pour moi. Non, ce qui me dérange c’est que chez eux, je ne peux pas dormir avec Nate. Et pour cause : il ne ronfle que chez ses parents. Véridique ! De fait, je profite de l'absence quasi permanente de Zed pour m’exiler dans sa chambre.
La première fois que j’ai emprunté son lit, Zed travaillait déjà à l’étranger. Et pour une fois, alors que c’était ma première nuit dans une maison inconnue, dans un lit qui n’était pas le mien, j’avais dormi à poings fermés.
Au petit matin, je sens mon fiancé me caresser les cheveux.
- On y va petit cœur. Comme il n’y aura personne d’autre à la maison, on va t’enfermer. On devrait être rentré autour de midi.
Je marmonne un « ok ». Après un rapide baiser, je me retourne pour me rendormir.
Je ne sais pas combien de temps s’écoule ensuite, mais je suis réveillée par la sensation d’un souffle sur mon visage.
Il y a quelqu’un dans mon lit. Et quelqu’un qui ne me veut pas du bien, au contraire. C'est quelqu’un qui m’a déjà fait beaucoup de mal. Mentalement et physiquement. Surtout physiquement.
Je ne vois pas son visage, mais je sens son odeur. Une odeur de menthe que je n'oublierai jamais.
Je suis paniquée alors que je le sens s’écraser sur moi. Il me maintient les mains au-dessus de la tête et m’empêche de bouger. Je tente de me débattre mais c’est peine perdue. Avec son mètre quatre-vingt-quinze et ses 110kg, je n’arriverai jamais à me dégager.
Je suis seule et je sais que je vais déguster. Je tente de crier mais ma voix est bloquée dans ma gorge. Je le sens remonter mon t-shirt et écarter mes cuisses. J’essaie de crier de plus belle mais ne parvient qu’à sortir un couinement.
- Allez... Prends sur toi, susurre-t-il.
Alors que je le sens prêt à entrer en moi, je hurle de toute mes forces :
- Noooon ! Non ! Lâche-moi ! LÂCHE-MOIII !!!
La puissance de mon hurlement a raison de mon cerveau. Je me réveille en sursaut, la respiration coupée, trempée de sueur et sanglotant dans mon lit.
Putain de cauchemar ! Putain de mec ! Salopard de porc qui continue de me pourrir jusqu’à mes nuits.
Tout mon corps tremble, l’adrénaline se déversant dans mes veines comme un poison. Je me force à reprendre le contrôle de mes membres. J’allume la lumière de chevet.
Ce n’était pas réel. Ce n’était pas réel.
Je me glisse hors du lit, les bras resserrés autour de moi. Le froid constant de mes mains m’apporte un réconfort familier, intime et constant. Il est malheureusement insuffisant pour me calmer. Il faut que je sorte de cette pièce. Il faut que je fasse comprendre à mon cerveau que je suis en sécurité.
Respire, Maud, respire.
Je vais dans la salle de bain, prête à accomplir mon rituel, celui que je répète chaque fois que je suis seule face à mes souvenirs.
D'abord, me passer de l’eau sur le visage, pour effacer toute trace de sa présence. Ensuite, regarder…
Lorsque je lève les yeux vers le miroir, j’aperçois un autre visage derrière le mien.
Je me retourne en couinant, les mains levées pour contrer un quelconque assaut.
- Hey, hey, c’est moi, me dit la voix de Zed.
- Zed ? je murmure.
Je lui saute dans les bras sans même y penser.
- Je suis désolée. J’ai eu peur. J’ai eu peur. Je ne voulais pas…. J’ai eu peur… Je suis désolée… Je ne voulais pas, sangloté-je.
Je m’accroche à lui comme à une bouée dans la tempête. J’ai besoin de sentir quelqu’un pour savoir ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Je le serre comme un repère afin de savoir que je suis toujours entière.
D’abord probablement déboussolé, il reste les bras ballants, puis je le sens me serrer de plus en plus fort, lui aussi. Comme s’il avait compris que j’avais besoin de sentir que tous les morceaux sont en place.
- J’ai eu peur… J’ai eu peur, je continue de répéter.
- Chut, chut. Tout va bien. Je te tiens. Ça va aller. Je suis là.
Je dessers progressivement mon étreinte. J’ai les yeux embués de larmes mais je vois ses yeux bouffis et son air inquiet. Je m’écarte soudainement.
- Attends, mais… Qu’est-ce que tu fais là ?
- Bonjour à toi aussi. Et pour répondre à ta question, jusqu’à preuve du contraire, ici, c’est chez mes parents…
- Ha ha, je ricane entre deux sanglots. Je ne savais pas que tu étais revenu.
- Oui, je voulais faire la surprise à maman pour son anniversaire. Elle ne sait pas que je suis là. Je suis arrivée il y a quoi… Deux heures ?
Ce que cette simple phrase sous-entend me fait instantanément culpabiliser.
- Dis-moi que tu ne dormais pas…, je murmure, mais sa grimace me confirme ce que je craignais. Oh merde, tu veux dire que je t’ai réveillé ? Je suis désolée. Je voulais pas. Mais j’ai eu peur. C'était un rêve. Mais... J’étais sûre que c’était vrai. Et j’arrivais pas à l’arrêter. Et j’ai eu peur.
Les mots sortent de ma bouche, dans un flot incontrôlable et incompréhensible.
- Tout va bien. Oui tu m’as réveillé. Mais vu l’état dans lequel tu es, c’est peut-être pas plus mal.
- Je suis désolée, je répète.
- Le sois pas.
Nous restons quelques secondes sans rien dire. Je fixe le sol, comme s'il m'ancrait dans la réalité, lui aussi. J’essaie de calmer ma respiration et mes pensées, tout en séchant mes larmes.
- Tu veux en parler ? me demande-t-il soudain.
Je secoue la tête.
- Quelle heure il est ? je demande.
- Sept heures trente-deux quand j’ai sauté de mon lit, plaisante-t-il.
- Si tôt ? Oh merde, je répète. On devrait peut-être retourner dormir. Tu dois être fatigué. Je suis désolée.
- Arrête de répéter ça, me gronde-t-il. Retourne te coucher. Ça ira mieux quand tu te seras reposée, reprend-il doucement.
Je hoche la tête. Mais je sais qu’une fois couchée, ça sera sûrement pire. Quand je suis dans cet état, je suis incapable de dormir correctement sans Nate. Je me sens protégée quand il est là.
Nous avançons dans le couloir vers les chambres. Zed s’arrête avec moi devant la porte de sa chambre.
- Ça va aller, ne t’en fais pas, me confie-t-il en posant sa main sur mon épaule. Tu peux retourner dormir là. J'ai déjà déplié le clic-clac de toute façon.
Il esquisse un pas en direction de la chambre de son autre frère, Thomas, où j’imagine qu'il s'est réfugié en constant que j'avais investi la sienne. Je jette un oeil à sa chambre, à peine éclairée par la petite lampe de chevet, l’obscurité me guettant comme un prédateur, n’attendant que mon retour pour me plonger à nouveau dans les ténèbres et l’effroi.
- Attends, je gémis.
Il se retourne.
- Tu… Tu crois que… Que tu pourrais dormir avec moi ? je geins.
Zed me regarde avec des yeux grands comme des soucoupes. Je réalise soudain ce que je demande. Dans la panique, j'en ai complètement oublié à qui je m’adresse. Je viens d’inviter un homme qui me plaît et à qui je plais dans mon lit. Ou plutôt de lui demander de me rejoindre dans son propre lit… Je baisse la tête, me maudissant pour ma bêtise.
- Enfin… Enfin, c’était parce que… je veux pas… Enfin, je sais pas si je pourrais me rendormir toute seule, je lui confie. Je.. J’ai besoin d’avoir quelqu’un avec moi. Mais euh… je veux pas te forcer.
Et en un clin d’œil, il est à côté de moi.
- Y a pas de souci. Je me sens pas forcé, me dit-il doucement. Et puis, continue-t-il sur le ton de la plaisanterie, ça nous permettra peut-être de ne pas nous re-réveiller dans les mêmes conditions.
Je ris doucement. J’espère sincèrement ne pas avoir ce genre de cauchemars avec lui dans les parages.
Une fois que nous avons franchi le seuil de la chambre, le côté inconvenant de la situation me frappe encore plus et je suis incroyablement embarrassée. Je pense que Zed est dans le même état que moi car ni lui ni moi ne bougeons.
- Euh… Tu dors de quel côté ? me demande-t-il en se passant une main sur la nuque.
- Euh… à droite. C’est plus facile pour les câlins, je réponds sans réfléchir.
- Ah…
Nous restons sans bouger quelques secondes et je décide de me glisser dans le lit. Comme Zed reste debout, je lui dis :
- Je suis désolée de te déranger et de te mettre mal à l’aise… C’était pas mon intention. Je me sens vraiment nulle. Si tu préfères retourner dans l’autre chambre, ou reprendre ton lit et que j’aille ailleurs, je ne t’en voudrais pas.
Je n'en pense pas un mot, mais c'est mon problème. Il n'a pas à gérer mes crises de panique. Presque offensé par mes paroles, il fronce les sourcils avant de soulever la couette et de me rejoindre.
- Arrête de dire des bêtises. Je ne vais certainement pas te laisser seule dans cet état.
- Merci. Bonne nuit.
- Bonne nuit, dit-il en éteignant.
Alors que mes yeux s’habituent peu à peu au manque de lumière, mon rêve, sa violence et les souvenirs qu’il a déclenché me reviennent d’un coup, exactement comme je l’avais craint. Les larmes me montent aux yeux sans que je puisse rien y faire. Je tente de réprimer un sanglot mais sans succès.
- Tu pleures ? demande-t-il inquiet.
- Un peu.
Il inspire à fond avant de m’attirer dans ses bras.
- Viens là.
Blottie contre lui, je me laisse aller à pleurer à chaudes larmes, une main collée à mon visage, l’autre agrippée à son t-shirt.
- Je suis pas très doué pour réconforter les gens ou même parler d’une manière générale… Mais je t’ai dit que j’étais là pour toi si tu avais besoin. Et là, clairement, tu as besoin. La situation a pas changé de ce point de vue-là, me dit-il tout en me caressant les cheveux.
C’est la première fois qu’il fait allusion à notre confession mutuelle. J’avoue être toujours bien trop paniquée pour penser aux conséquences de nous deux dans le même lit.
Voyant que je ne me calme pas, Zed continue :
- Et si, et je dis bien si, effectivement tu refais un cauchemar – je me crispe et le serre plus fort -, je serai là, conclut-il en posant sa tête sur la mienne. Maintenant, dors.
Je ferme les yeux mais je ne le lâche pas pour autant. Je devrais m’éloigner de lui : une alarme retentit au fond de moi à cause de sa proximité. Je la fais taire. Tout plutôt que de revivre mon cauchemar. Ses bras me donnent un lien avec la réalité. Et il doit le sentir quelque part car il ne desserre pas son étreinte. Je me laisse aller contre lui, fuyant mon cauchemar et le sommeil, tout en espérant m’endormir pour échapper à l’absurdité de la situation. Je sens sa chaleur à travers nos t-shirt respectifs. Son odeur et les battements de son cœur me bercent et, contre toute logique, me calment. Réfugiée dans ses bras, malgré la frontière ténue entre réconfort et inconfort, je finis par m’endormir.
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