Chapitre 6 - Partie 3

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  • M’accorderez-vous cette danse, Mademoiselle ? badine-t-il en me tendant une main.

Je tente de calmer les palpitations de mon cœur et répond d’un ton qui se veut dégagé :

  • Mais avec joie, mon cher.

Mon fiancé prend délicatement ma main dans la sienne. Il me fait tourner sur moi-même avant de me coller contre lui. Un vertige doux m’envahit. Je pose ma tête contre son épaule. D’une main, Nate relève doucement mon menton.

  • Écoute bien les paroles, me confie-t-il.

Les yeux perdus dans le vide, je tends l’oreille, laissant la musique m’emporter. Les paroles flottent autour de moi, comme un message secret, une invitation silencieuse. Ses yeux plongés dans les miens semblent chercher à me dire quelque chose, à m’offrir une promesse qu’il confie à travers ces mots.

When your soul finds the soul it was waiting for
When someone walks into your heart through an open door
When your hand finds the hand it was meant to hold
Don't let go

Il me presse contre lui, la familiarité de son contact effaçant tout ce qui n’est pas nous. La musique devient nôtre, plus intime, plus précieuse.

Someone comes into your world
Suddenly your world has changed forever

No there's no one else's eyes
That could see into me
No one else's arms can lift
Lift me up so high
Your love lifts me out of time
And you know my heart by heart

Je sens son regard sur moi, implacable. Dans cette proximité, je sais que ce qu’il me confie va au-delà d’une simple danse. C’est un serment silencieux, un engagement solide, inaltérable, fait de gestes et de musique. Il m’offre des mots qu’il n’a jamais prononcés, mais que j’entends comme une vérité. Le simple fait qu’il ait choisi une chanson pour me parler me bouleverse au-delà de tout.

When you're one with the one you were meant to find
Everything falls in place, all the stars align
When you're touched by the cloud that has touched your soul
Don't let go

Someone comes into your life
It's like they've been in your life forever

No, there's no one else's eyes
That could see into me
No one else's arms can lift
Lift me up so high
Your love lifts me out of time
And you know my heart by heart

So now we've found our way to find each other
So now I found my way, to you

No there's no one else's eyes
That could see into me

Le refrain retentit une dernière fois.

Oh Nate…

L’amour que j’ai pour lui m’éblouit, éclatant comme un soleil après la pluie. Il sait lire dans mon cœur et n’a pas peur de s’y plonger. Doucement, il nous rapproche davantage. Une de ses mains vient se perdre dans mes cheveux, rapprochant son visage du mien. Je laisse mes bras s’enrouler autour de son cou alors qu’il pose ses lèvres sur les miennes.

Je m’attends à un baiser sage, à la douceur de ses gestes toujours mesurés, mais je suis surprise. Une de ses mains glisse sur mes fesses, me serrant contre lui avec une urgence nouvelle. Il entrouvre la bouche et sa langue rencontre la mienne avec une intensité que je ne lui connaissais pas. C’est la première fois qu’il fait preuve de si peu de retenue en public, et ça me met dans tous mes états. Lorsqu’il tire légèrement mes cheveux, je perds toute lucidité et l’attire à moi, comme si je voulais me perdre en lui.

  • Je t'aime, murmure-t-il lorsque nos lèvres se séparent.
  • Je t'aime, je répète.

Tandis que je me love dans ses bras, le DJ invite les danseurs à quitter la piste pour laisser place au buffet de gâteaux. Nous retournons à nos places où je m’assois, presque machinalement, le corps encore vibrant de l’énergie de la danse, mais l’esprit déjà ailleurs.

  • Ne bouge pas, je vais te chercher une part de gâteau.

Tandis que Nate s’éloigne, mes yeux vagabondent sur les convives, les tables, les éclats de lumière, avant de s’arrêter, comme aimantés, sur la chaise de Zed. Vide.

Je jette un regard furtif à mon téléphone : presque minuit. Après la nuit que je lui ai infligée et le poids du décalage horaire, il est sans doute parti se coucher. C’est une bonne chose : il aura besoin de toute son énergie pour la discussion que nous devons avoir. Une discussion qui pourrait tout changer. Pourtant, une partie de moi s’attriste : j’aurais voulu encore quelques instants avec lui, un peu plus de cette présence rare, précieuse, irremplaçable. Mais une autre part, celle qui chuchote les vérités que je redoute, ressent un soulagement étrange. Comment affronter sa présence et son regard après la démonstration d’amour que Nate et moi venons d’échanger ?

Comme un rappel de ma culpabilité, Nate revient avec une assiette qu’il dépose devant moi, un sourire tendre aux lèvres. Je sens la déchirure grandir en moi, comme une corde tendue à l’extrême, prête à se rompre. Si je perds Zed, ce sera comme arracher une partie de moi-même, laissant un trou béant que rien ne pourra combler. Depuis que je l’ai rencontré, tout me ramène à lui. C’est instinctif, irrésistible, impossible à étouffer, exacerbé par le fait que maintenant, je sais ce que cela fait d’être dans ses bras. J’ai ressenti cette alchimie brute, ce lien viscéral, ce frisson impossible à éteindre. Comment pourrais-je simplement refermer cette porte, comme si rien de tout cela n’avait existé ? Maintenant que j’y ai gouté, je ne peux m’empêcher d’avoir envie d’aller au bout, de savoir ce que cela ferait de vivre pleinement cette histoire, d’être vraiment avec lui.

Mais si je perds Nate, je perds bien plus qu’un fiancé : je perds tout un pan de ma vie. Tout ce que nous avons construit ensemble, les souvenirs, les projets, cette tendresse infinie qui m’a toujours donné le sentiment d’être en sécurité. Comment pourrais-je abandonner tout cela ? Comment pourrais-je lui faire une chose pareille, à lui qui m’a toujours tout donné, sans jamais attendre plus que ce que j’étais prête à offrir ? Il m’offre une constance et une douceur qui m’ont toujours fait croire que, peu importe les tempêtes, je pouvais compter sur lui. Il a cette manière de m’aimer qui ne demande rien, qui n’attend rien d’autre que moi, avec mes failles et mes silences. Avec Nate, j’ai toujours eu l’impression que le monde pouvait s’effondrer, mais que nous tiendrions bon, ensemble.

Malgré cette vérité absolue, j’ignore comment aborder ce qu’il s’est passé entre Zed et moi. C’est un gouffre que je dois franchir, et je ne sais pas si j’en sortirai entière. J’ai conscience de devoir affronter les conséquences de mes actes. Pas seulement pour moi, mais pour Nate. Il mérite la vérité, même si elle est brutale, même si elle risque de détruire tout ce que nous avons construit ensemble. Je ne pourrais jamais plus me regarder en face si je prononçais mes vœux avec ce secret entre nous. Ce ne serait pas seulement le trahir, ce serait me trahir moi-même. Nate est un homme bon, et il mérite une femme honnête à ses côtés. Savoir qu’il souffrira à cause de mes erreurs, alors que je suis censée être son refuge, me brise.

Je dois également faire face à Zed. Cette discussion m’effraie sans doute davantage car, même s’il s’est ouvert plus que jamais aujourd’hui, je sais qu’il risque à tout moment de se refermer définitivement. Pourtant, je dois comprendre pourquoi tout cela est arrivé, pourquoi chaque regard, chaque geste semble nous attirer l’un vers l’autre comme des étoiles condamnées à se heurter. Si je me marie sans résoudre cela, sans comprendre ce qu’il s’est passé entre nous, je sais que cela recommencera. Chaque éloignement n’est qu’un interlude, une pause, avant que le besoin de l’autre ne nous ramène encore plus près. Nous finirons par nous retrouver, par tester, puis franchir les limites.

Et cela, je ne peux pas l’accepter. Je ne peux pas trahir Nate davantage, surtout pas une fois que nous serons mariés. Si je fais ce choix, il doit être définitif, sans zone d’ombre, sans regrets qui me ramèneraient à Zed. Je tremble à l’idée de devoir dire adieu à l’un d’eux, car peu importe la route que je choisis, je perdrai une part de moi-même.

Pourquoi a-t-il fallut qu’ils soient frères ? La situation était déjà suffisamment compliquée.

J’ai toutes les peines à rassembler mes idées et à faire la part des choses entre ce que je souhaite, ce que je vais perdre, ce que je peux espérer et ce que je risque de déclencher. Entre deux bouchées sucrées, j’attrape mon portable pour structurer mes pensées, mais toutes les phrases que je note semblent insuffisantes. J’efface, je recommence, mais rien ne semble assez juste. Je m’arrête un instant, un lourd soupir m'échappe.

Les festivités se poursuivent dans la salle, mais pour moi, tout semble s’être figé. Je suis en apesanteur, entre deux vies, entre deux choix, comme une âme errante. Je ferme les yeux, essayant de visualiser la scène : Nate, là, face à moi, sa douceur et sa confiance, prêt à recevoir des paroles qui le briseront.

À 1h30, la fatigue pèse sur mes paupières, prête à m’emporter. Seules mes pensées me tiennent éveillée. Les échos de la fête – rires étouffés, musique lointaine – me parviennent comme à travers un voile, irréels. Nate, percevant sans doute mon épuisement, me demande si je veux qu’il me raccompagne. Je hoche la tête sans même pouvoir répondre. Après un dernier baiser à sa mère et quelques adieux murmurés, nous quittons l’agitation de la salle pour le silence de la nuit.

Lorsque nous arrivons chez ses parents, Nate ouvre la porte avec précaution. La maison baigne dans une quiétude feutrée, traversée par la lumière tamisée des lampadaires de la rue. Nous remontons le couloir des chambres, et mon regard s’arrête sur la porte de la chambre de Thomas, fermée. Zed doit y être. L’idée de lui parler m’écrase, l’incertitude de la situation me paralyse.

Je remercie silencieusement l’heure tardive, me permettant de camoufler ma torpeur en fatigue alors que Nate me guide doucement dans la salle de bain. Il s’approche du mur, allume le robinet, et l’eau chaude se met à couler doucement, créant un murmure apaisant, un bruit familier. La vapeur commence à envahir l’air. Je regarde mes pieds, noirs de la danse de ce soir, la saleté accumulée. Je ferme un instant les yeux, sentant l’humidité sur ma peau, puis les mains de Nate qui me déshabille. Mon cœur accélère un peu, la tête pleine des moments interdits partagés il y a quelques heures ici même.

Sans dire un mot, il me place dans la douche et fait glisser l’eau sur moi. Le souvenir de Zed envahit la pièce, et je lutte contre la tentation de fermer les yeux pour tout oublier. Je me revois, tremblante de désir et d’appréhension, laissant mes sens se perdre dans la chaleur de la pièce, dans le parfum de lui, dans la tension suspendue entre nous. Chaque geste, chaque souffle est gravé dans ma peau.

Pourtant, c’est Nate qui est littéralement à mes pieds, savon en main, son regard dénué de toute suspicion, innocent dans sa tendresse. La chaleur de ses mains contre ma peau me laisse confuse, chaque toucher me ramène à cet autre part de moi affamée d’un corps, d’un toucher, d’un parfum, d’une personne qui n’est pas Nate. Il monte le long de mes jambes, me lavant soigneusement. Chaque mouvement est lent, presque rituel, et je sens le poids de chaque geste, l’intention qu’il y met, et je ressens ce contraste étrange, presque cruel. La douceur de ses gestes, de ses mains qui effleurent ma peau, me submergent d’une tendresse que je ne mérite pas. Lorsqu’il frotte mon dos, ses gestes deviennent plus appuyés, comme s’il me massait. Il me fait à nouveau pivoter face à lui, et, sans un mot, m'embrasse profondément. Il rompt le contact le premier, me sourit, et dans ce sourire, je vois l’amour qu’il me porte, sans savoir ce qu’il cache dans le fond de mes silences.

Nate termine de me laver, puis m’enveloppe dans une serviette pour me sécher délicatement. Le contraste entre la douceur de ses gestes et la brutalité de ce que je ressens me fait presque vaciller. Sa tendresse me submerge, mais elle m’oppresse tout autant.

Pourrais-je vraiment oublier ce qu’il s’est passé avec Zed ? Pourrais-je vraiment briser le coeur de Nate ? Une de ces relations peut-elle seulement redevenir platonique ? Est-ce que je le souhaite ? Qu’est-ce que je veux vraiment ?

Je ne sais pas. Je me sens perdue, déchirée entre ce que je ressens. Nate m’enfile un peignoir, puis, sans un mot, il prend ma main et nous remontons le couloir vers la chambre de Zed.

L’air y semble chargé de souvenirs, d’une intimité qui m’étreint. Nate m’aide à me déshabiller et à me glisser sous la couette. L’odeur familière de Zed m’enveloppe, mélange de réconfort et de trouble, comme un rappel de ce que je ne devrais pas ressentir. Nate s’approche, inconscient des ombres qui me hantent, et dépose un baiser léger sur mon front.

  • Dors bien, petit coeur, murmure-t-il avant de refermer doucement la porte derrière lui.

J’entends ses pas s’éloigner dans le couloir, suivis du ronronnement lointain de sa voiture qui démarre. Sous la couette, je me blottis, espérant que la nuit m’accordera un peu de répit.

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