Chapitre 7 - Partie 1
Les rayons du soleil, filtrant doucement à travers les stores, m’éveillent lentement d’un sommeil sans rêve, et je me laisse peu à peu émerger dans la clarté de la matinée. À mesure que mes pensées refont surface, les événements de la veille se rejouent dans ma tête, entremêlés aux deux conversations qui m’attendent aujourd’hui, comme deux épées suspendues au-dessus de ma tête.
J’attrape mon téléphone portable : 12h34. Je me lève, enfile une tenue décontractée, puis hésite un instant avant de poser un pied hors de “ma” chambre. La maison est plongée dans un silence absolu et inhabituel. La porte de la chambre de Nate est grande ouverte, les stores levés, révélant un lit soigneusement fait. Je passe devant la chambre de Thomas en allant vers le salon. Tout y est également ouvert, calme et désert, à sa place originelle. Pas un seul vêtement, ni même sa valise, comme si son séjour n’avait été qu’une illusion, un rêve éphémère. J’ai beau savoir que sa venue n’était que temporaire, son départ imminent me serre la poitrine. Tout doit se jouer aujourd’hui. Chaque seconde qui passe me rapproche de son départ et d’une conversation qui m’emplit autant de crainte que d'espoirs.
Lorsque j’arrive dans le salon, je découvre Nate assis dans le canapé, un livre à la main. Je l’embrasse vivement sur le sommet du crâne.
- Bonjour mon ange.
- Bonjour petit cœur, me répond-il. Bien dormi ?
- Plutôt oui. Même si j’aurais préféré dormir un peu plus.
- C’est pas faute de t’être couchée tôt, plaisante-t-il, le nez toujours dans son livre.
- Ouais. Petit dej ?
- J’ai déjà pris le mien. Mes parents sont déjà retournés à la salle. Il ne reste plus que toi et moi.
Il n’a pas mentionné Zed. Un frisson glacial me parcourt, remontant le long de mon dos comme un serpent venimeux.
- Où es Zed ? je demande d’une petite voix.
- Il a laissé un mot hier soir. Il est reparti, me répond mon fiancé, impassible.
Reparti. Pas « il est parti avec mes parents ». Il est reparti. Je fais le lien avec sa valise qui n’est plus dans la chambre : il est retourné en Grèce.
- Oh.
Je laisse la nouvelle m'envahir, douloureuse et insidieuse, avant de me laisser tomber dans le canapé près de Nate. Il pose son livre et m’observe, le regard grave. Un mélange de colère, de tristesse et d’inquiétude traverse son visage.
- Il faut croire que votre petite histoire le touche vraiment, marmonne-t-il en me caressant distraitement la joue.
Plus encore que le départ de Zed, ces mots me heurtent comme un train en marche.
Il sait.
Doucement, j’approche mes mains de son visage, chaque mouvement lent, mes doigts hésitant un instant, comme si je redoutais qu’il me repousse. Je m’attends à ce qu’il recule, à ce qu’il refuse ce contact, et bon sang, je le mériterais… Je ne serai même pas surprise qu’il devienne violent.
- Je t’aime. Tu le sais ça, hein ? je lui demande en prenant son visage en coupe dans mes mains.
Délaissant ma joue, il prend délicatement mes mains, les porte à ses lèvres sans que ses yeux ne quittent les miens. Tout semble tranquille, mais son geste est d’une précision presque trop calculée, comme dicté par son tempérament plus que par ses émotions.
- Je sais. Mais il y a quelque chose entre vous.
C’est une constatation. Aucun reproche. Aucune amertume dans sa voix. Il aurait mille raisons de me hurler dessus, mais il se contente d’exposer les choses comme des faits, imperturbable.
- J'ai eu quelques doutes quand vous avez entamé votre deuxième danse ensemble. Son comportement m’a rendu encore plus suspect, mais c’est le suçon dans ton cou qui a achevé de me convaincre, continue-t-il.
Je n'avais pas réalisé que Zed m'avait marquée. Mes doigts effleurent ma nuque, recherchant une sensation plus tangible : un gonflement, une irrégularité, un signe qui dépasserait la simple coloration.
- Nate…
- Je ne vais pas te mentir et te dire que ça n’est pas grave, me coupe-t-il, son regard plus froid que tout à l'heure. Ça me fait chier. Ça me fait mal. Mais c'est pas comme si je tombais des nues non plus. Je veux dire, tu m’avais dit qu’il te plaisait. Et je sais que j'ai aussi mes torts dans ce bordel. A t’imposer des choses que tu ne veux pas, tu stresses, tu doutes… Et pour Cédric… j'ai l'impression qu’il est malheureux depuis toujours. Sauf quand il est avec toi. Tout le monde dit que quand vous êtes ensembles, vous êtes dans une bulle à part. Je n'ai jamais rien dit ou fait parce que je le vois aussi. Mais je ne m’attendais pas à ce que vous couchiez vraiment ensembles.
Les mots sortent de ma bouche avant que j’ai eu le temps de les peser.
- Je n’ai pas couché avec lui.
- Mais c’est tout comme, non ?
- Il s’est passé quelque chose, oui. Tout est arrivé tellement vite. Je ne sais même plus où on en est. Il est parti avant qu’on ait pu essayer de mettre les choses à plat et je suis sûre qu’il ne répondra pas à mes appels…
- Alors rejoins-le et parlez, me coupe-t-il à nouveau. Ça me fait chier, mais c'est mon petit frère et je l'aime. Je veux vraiment qu'il arrive à être heureux. Et je vois que vous êtes bien ensemble. Ça me fait plaisir de le voir comme ça. Et je t’aime, toi aussi. Plus que tout. Et je veux t’épouser. Mais seulement si c’est ce que tu veux aussi. Si tu as besoin de temps, si vous avez besoin de vous voir pour faire le point dans… dans tout ça, je comprends.
Je reste là, figée, les mots m’étranglent, comme si l’air autour de moi était devenu trop dense, trop lourd. Je n’arrive pas à croire que j’ai cette conversation avec lui, que c’est lui qui l’a lancée et que, contre toute attente, il est capable de rester aussi calme. J’avais tout préparé, des mots pesés, des excuses et des regrets, prête à le voir se briser. Au lieu de ça, il fait preuve d'une tranquillité désarmante, comme si l'onde de choc de ce qu’il vient de dire ne l’avait même pas atteint. Il me regarde avec une gravité qui me déstabilise plus que tout et prend une grande inspiration.
- Là, je prends sur moi, reprend-il. Je suis super compréhensif et tout mais je refuse de te partager… Maud, c’est le seul doute que je te permets d’avoir. Si tu restes avec lui, ça sera dur mais je ferai avec. Je veux dire, si vous avez une chance d’être heureux ensemble, je n’ai pas à m’y opposer. Je ferai de mon mieux pour être heureux pour vous. Et je m’y ferai. Je n’ai jamais eu de chance en amour... Par contre, si tu reviens vers moi, je ne veux plus jamais devoir m'inquiéter à votre sujet. D’accord ?
C’est une offre incroyablement généreuse. Je ne mérite ni sa gentillesse, ni sa douceur, ni même son calme. Je l’aime et je le fais souffrir. Je me sens monstrueuse.
- Je te le promets, je réponds.
Je jure pour lui, pour moi, pour Zed. La situation actuelle est toxique, destructrice ; personne n’en sortira indemne. Pourtant, aucune issue ne semble exempte de souffrance, comme si chaque chemin que je pourrais emprunter nous menait inévitablement à la douleur, à la perte.
La mort dans l’âme, je retourne dans la chambre de Zed récupérer mes affaires, le cœur battant à tout rompre, mes gestes saccadés, presque désordonnés, avant de passer à celle de Nate. Chaque objet que je jette dans ma valise semble chargé d’un poids démesuré, des fragments d’une vie que je suis peut-être en train de quitter à jamais. Plus mes mains s’agitent, plus l’air devient rare, comme si les murs se refermaient sur moi. Trop de choses à faire, trop de décisions à prendre, et ce poids immense sur ma poitrine, celui de tout ce que je suis en train de briser.
Nate entre alors, d’un pas calme mais résolu, et, sans un mot, il commence à m’aider. Il plie mes vêtements avec cette précision tranquille qui le caractérise, comme si ce départ n’était rien d’autre qu’un contretemps, un voyage banal, et non pas les prémices d’une rupture. Chaque mouvement me bouleverse davantage, me donne envie de hurler ou de pleurer, mais je ne mérite pas qu’il me console. Nous restons silencieux, chacun enfermé dans ses pensées, mais ce mutisme pèse plus lourd que tout ce qu’il aurait pu dire.
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