Chapitre 9 - Partie 1
Un bruit strident et insistant me tire du sommeil, la sonnerie d’un réveil. Je quitte doucement les bras de Morphée et réalise, dans un demi-éveil encore flou, que je suis dans ceux de Zed. Nos corps sont collés, la chaleur de sa peau se mêlant à la mienne, dans un contact à la fois rassurant et troublant. La musique s’arrête, et son murmure, doux et un peu rauque, flotte dans l’air :
- Bien dormi ?
- Pas vraiment, je ronchonne.
J’ai encore fait un cauchemar cette nuit. Je me demande si j’ai cherché inconsciemment à me glisser contre lui à cause du cauchemar ou pour une autre raison. Me rappelant la distance prudente qu’il avait maintenu la veille, je culpabilise et commence à m’écarter de lui. Je commence à m’éloigner, me glissant doucement hors de ses bras, mais il m’arrête en serrant ma taille, m'attirant un peu plus contre lui.
- Tu peux rester si tu veux, tu sais. Ça me gêne pas. Ça prouve que tu étais bien dans mes bras.
Je note une pointe de gêne dans sa voix, ce qui me déstabilise davantage. Puis, son sourire, d’une tendresse à faire fondre un glacier, adoucit l’atmosphère. Il caresse délicatement mon visage et je me perds un instant dans l'intensité de son regard. La proximité de son corps, ses lèvres, si proches des miennes, me lancent un appel silencieux. Je me redresse et m’écarte lentement mais résolument pour ne pas céder à la tentation : il ne se passera rien tant que nous n’aurons pas démêlé la situation. Je m’étire, frotte mes yeux pour dissiper les derniers vestiges du sommeil, cherchant à retrouver une contenance.
- Désolée. Je me suis endormie devant le film hier. Je ne pensais pas que je me retrouverai sur toi et que ça te forcerait à dormir ici.
- C'est moi qui suis désolé pour le réveil. En même temps, il a sonné pour une bonne raison : je dois être au taf dans 30 minutes.
Exactement comme chez ses parents, il sort du lit avec une vitesse exagérée, mais pas suffisante pour dissimuler l’évidence entre ses jambes, une bosse qui ne trompe pas. Un frisson me parcourt, mélangé à un léger sentiment de gêne et d’humour : peut-être n’est-il pas aussi détendu qu’il le prétend. J’aime l’idée, même erronée, que je lui fais de l’effet.
Je me redresse un peu dans le lit, la couverture enroulée autour de moi. Je jette un oeil à mon téléphone : 10h30. Je l’entends s’activer dans sa chambre, certainement à la recherche de ses vêtements. Je lutte contre l’envie de le regarder par la porte ouverte dans l’espoir d’apercevoir son corps nu. Une tentation que je tente de repousser, mais mes yeux s’attardent quand même sur la lisière de la porte entrouverte. L’image de lui allongé sur moi hier matin, à peine habillé, me reste en tête.
Lorsqu’il entre à nouveau dans le salon, je le suis des yeux, hypnotisée. Il a de nouveau ses vêtements professionnels, noirs et neutres, qui lui confèrent cette aura mystérieuse et sexy. Le tissu de son t-shirt épouse ses épaules, les mettant en valeur, et un frisson de désir parcourt mes bras. Je tente de ne pas le laisser paraître, mais la chaleur qui envahit mes joues me trahit.
Sans me regarder, il se déplace dans la cuisine avec une sorte de nonchalance maîtrisée, le bruit de ses pas se mêlant à celui de la vaisselle qu’il prend sans hâte. Il ouvre les placards, le frigo et dépose tout sur un plan de travail que je ne vois pas de ma position. Chaque mouvement semble fluide, presque chorégraphié : il est parfaitement à l’aise dans ce décor. Il commence à manger et je me décide à le rejoindre.
- Plutôt bol ou tasse pour toi ?
- Hum… ça dépend de ce qu’il y a à manger, je réponds, étonnamment à l’aise, malgré la nouveauté de la scène.
- Le contenu intégral de mon frigo et une partie de mes placards.
Je prends place sur l’une des chaises hautes près du comptoir, mes coudes appuyés dessus, et laisse mes yeux se poser sur le chaos organisé qui occupe le plan de travail. Sucré, salé, chaud, froid… Tout y est, plein à craquer, comme s’il voulait nourrir une armée. Ça me fait sourire, et je me sens soudainement détendue, cette scène de quotidien un peu absurde contrastant avec l’intensité de la veille.
- Effectivement. Je vais prendre une tasse alors. Tu as réussi à dormir ? Je ne t’ai pas trop dérangé ?
- J’ai dormi comme un bébé. Si le réveil n’avait pas sonné, je serais encore sous la couette, assure-t-il. Enfin, le petit bout que tu aurais daigné me laisser.
- Je trouvais que je faisais une bonne couette de substitution. En tout cas, toi, tu fais un assez bon matelas, je plaisante tout en tâtant le terrain.
- Ouais… Merci.
Il détourne les yeux, mal à l’aise. Je n’arrive pas à identifier si je l’ai touché de la bonne ou de la mauvaise façon. Nous mangeons en silence. Avant que je le confronte sur ses sentiments, nous avions l’habitude de parler lors des petits déjeuner, de nos emplois respectifs, du dernier film que nous avions vu. Malgré nos appels et messages quotidiens, nous avions toujours quelque chose à nous dire. Pas aujourd’hui. Ce manque de naturel me pousse à faire le premier pas.
- Zed, il faut qu’on parle.
- Je suis désolé, mais j’ai pas le temps.
J’insiste mais il enchaîne :
- Vraiment ! Je dois filer au travail. Laisse ce qui ne va pas au frigo en plan quand tu auras fini, je rangerai en rentrant.
Sa voix est ferme, mais je perçois la vulnérabilité derrière ses mots. Ce n’est pas un refus assumé, mais une esquive, un acte de défense maladroit. Il débite ses phrases comme on vide un sac trop lourd, le plus vite possible, sans m’offrir le moindre espace pour m’interposer ou pour répondre, comme s’il voulait boucler cette conversation avant même qu’elle ne commence.
Il détourne les yeux et se lève dans un mouvement brusque pour ranger ses couverts dans le lave-vaisselle. Il termine de se préparer et se bat avec son trousseau pour en retirer une clé.
- Au fait… Tiens, ça c’est la clé de l’appart, me dit-il en me la tendant. Quand tu partiras, tu voudras bien la mettre dans la boîte aux lettres ? Je la récupèrerais en rentrant vu que je ne suis pas au bar de toute la journée.
C’est une fuite déguisée en consigne. Il veut me voir partir pour éviter de parler des récents évènements, pour ne pas affronter ce qu’il ressent. Il est hors de question que je laisse une telle chose se produire : je ne suis pas venue jusqu’ici pour me faire congédier. Je ne partirai pas tant que nous n’aurons pas eu cette conversation, la seule qui compte vraiment, celle qui dénouera tout ce qui nous étouffe. Le moment est mal choisi pour lui dire ça, alors je me tais.
Une petite voix en moi me souffle qu’il ne m’a pas donné de date de départ réelle. Cette omission, volontaire ou non, m’offre une faille parfaite à exploiter, un prétexte pour prolonger ma présence. Ironique et décidé, mon démon d’épaule m’assure que je peux jouer cette carte, et je l’écoute avec une docilité presque jubilatoire. Le sourire qui s’étire sur mes lèvres est calme, doux, innocent en apparence, mais terriblement calculé.
- C'est noté. Je ferai ça quand je partirai.
Dans son regard, l’ombre d’un soupçon passe, imperceptible, tout comme sa panique, pour tout autre que moi. L’espace d’une seconde, je culpabilise de devoir le manipuler de la sorte. Il ouvre la porte et se tourne vers moi. Il ne bronche pas, reste figé dans l’entrée.
- Je… ferais mieux d’y aller, conclut-il en passant le seuil.
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