Chapitre 9 - Partie 2

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La porte claque doucement derrière lui, laissant dans l’appartement un silence presque irréel. L’absence de Zed est un vide étrange, une impression de creux dans l’air, comme si son départ avait aspiré toute la chaleur de la pièce. Je reste figée un instant : le fait qu’il m’ait donné la clé de chez lui et le message derrière ce geste, me déstabilise plus qu’il le devrait. Quand un homme donne la clé de son lieu de vie à une femme, c’est pour lui signifier qu’il souhaite qu’elle fasse partie de sa vie de façon intime. Zed, au contraire, m’a confié cette clé, comme une manière de marquer une distance, de me signifier qu’il n’est pas disposé à s’ouvrir à moi.

Mon regard glisse sur la table encombrée de notre petit-déjeuner, où les nombreux emballages se mêlent aux miettes de pain, traces d’un moment suspendu, d’une normalité qu’on a tenté de retrouver, sans succès. Je quitte ma chaise en soupirant et entreprends de tout remettre en ordre, dans l’espoir fou que cela compensera le très mauvais tour que je compte lui jouer. Chaque geste, chaque assiette empilée, chaque tasse rincée m’évite de trop réfléchir à la manière dont Zed a fui la conversation.

Une fois la cuisine nettoyée, je ressens le besoin de bouger, de me défouler, d’épuiser ce trop-plein de pensées qui me bousculent. Alors, comme un réflexe, je me tourne vers ce qui m’a toujours permis de tenir debout : le sport. Mon moyen fétiche d’évacuer, de canaliser mon énergie, et aussi de déculpabiliser d’avoir un bec aussi sucré. Je fouille dans ma valise, en extirpe ma tenue de sport, legging mauve et débardeur rose, et les enfile avec l’aisance d’un rituel ancré en moi.

Il y a quelques mois encore, je m’entrainais en sous-vêtements, libérée de tout tissu qui me paraissait trop étriqué, trop rigide. Je détestais cette sensation d’être contrainte, étouffée, comme si la moindre couture bridait mes mouvements, comme si mon corps, pourtant si vibrant, devait soudain se plier à des limites inutiles.

Mais un jour, lors d’une visite chez les parents de Nate, j’ai compris l’intérêt d’avoir une tenue complète. J’étais dans la chambre de Thomas, comme souvent, où personne ne venait jamais me déranger, loin du vacarme familial ambiant, là où j’étais certaine d’avoir la paix. Je me revois allongée sur le dos, à même le sol, le souffle encore saccadé d’une série d’abdos intenses, la poitrine qui montait et descendait à un rythme irrégulier, mes muscles encore frémissants de l’effort, mes écouteurs sans fil diffusant dans mes oreilles une playlist familière, presque rituelle, qui m’isolait du monde comme une bulle imperméable.

Sans prévenir, la porte s’est ouverte, et Zed est apparu dans l’embrasure, brisant le non-dit tacite et respecté de tous : ne jamais pénétrer mon refuge sportif. Il avait frappé, j’en suis certaine, mais le volume de ma musique avait sans doute couvert le son. Je suppose qu’il s’est inquiété de ne pas avoir eu de réponse et a préféré vérifier que tout allait bien.

Il a donc poussé la porte et m’a vue dans une intimité inédite, presque choquante au vu des sous-entendus qui marquaient nos interactions à l’époque. Il s’est arrêté net, figé, pris au dépourvu par cette scène qu’il n’aurait pas dû voir, ou qu’il n’avait pas anticipée. Moi, à moitié nue, étendue sur le dos, vulnérable, offerte, dans une position totalement indécente tant elle évoquait d’autres contextes, d’autres efforts physiques.

J’ai cru qu’il refermerait la porte, que l’embarras lui ferait détourner les yeux, rougir, bredouiller quelques mots d’excuse, mais non. Son regard a glissé de mon visage vers ma gorge, puis sur mes épaules, le long de mon ventre, s’attardant une fraction de seconde - une éternité - sur le creux de mes hanches, sur la courbe de mes cuisses légèrement entrouvertes, capturant tout ce que cette position involontairement érotique évoquait. Et dans ce glissement, il y avait quelque chose de brûlant, de presque coupable, une tension nouvelle, confirmant le malaise de la situation.

Puis il a repris contenance, comme si ce trouble n’avait pas existé, et m’a demandé, d’un ton neutre, presque mécanique :

  • Ma mère a amené une brioche pour le goûter. On se demandait si tu voulais venir.

J’ai hésité un instant, encore abasourdie par sa présence, puis j’ai répondu, presque dans un souffle :

  • Euh… Oui… oui, je finis et j’arrive.
  • Ok. Tu voudras un thé ? Un café ? A-t-il ajouté, la voix toujours ferme, imperturbable.
  • Euh… Juste du lait, s’il y en a. Ce sera très bien.
  • Super, à tout de suite.

Il a refermé derrière lui, avec l’indifférence feinte qu’il arbore en permanence. Mais j’ai vu son ombre s’attarder dans le mince interstice sous la porte, signe qu’il était plus perturbé qu’il n’a voulu le montrer.

J’ai mis fin à ma séance plus tôt que prévu, non pas par envie de rejoindre tout le monde, mais parce que j’étais encore trop secouée par ce qui venait de se passer, par le poids de son regard sur mon corps, et les réactions qu’il avait déclenchées.

Ce jour-là, j’ai ajouté une ligne à la longue liste d’incidents alimentant mes doutes quant à son intérêt pour moi. Depuis, je mets un point d’honneur à être un minimum vêtue, mais ce n’est plus seulement pour me préserver. Il y a également l’espoir secret qu’il me voie à nouveau et, puisqu’il s'entraîne, lui aussi, qu’il reste, qu’il fasse ses exercices avec moi.

Parfois, j’imagine son souffle mêlé au mien, nos corps en mouvement côte à côte, sa présence silencieuse mais brûlante tout près de moi. Je fantasme de le voir bouger, concentré, tendu, ses muscles qui se contractent sous l’effort. Je suis folle de son corps, sculpté par la détermination, par la colère peut-être aussi… S’il s'entraînait avec moi, je pourrais le regarder, autant que je le veux, sans avoir à m’en excuser.

Je secoue la tête pour chasser ces images.

C’est pas demain la veille que ça va arriver, vu comme il te fuit, ma grande…

Je chausse ensuite mes baskets, lance ma playlist habituelle, brisant la quiétude pesante qui s’était installée, et commence à m’échauffer, après avoir dégagé un peu de place dans le salon.

Les premières minutes sont laborieuses, mes muscles encore ankylosés par le trajet de la veille, mes pensées trop présentes, mais mon corps retrouve rapidement ses repères et je me laisse emporter par le rythme. Je saute, j’enchaîne les squats, les fentes, les coups de genoux, envahie par la sensation familière de l’effort. La sueur perle sur ma peau, les battements de mon cœur s’accélèrent, la musique pulse dans mes oreilles, et mes pensées s’effacent au profit du mouvement.

Après une heure d’efforts intensifs, je m’arrête enfin, en nage, essoufflée, mais satisfaite. Tandis que je m’étire longuement, mes muscles vibrants encore de l’effort, je laisse mon regard errer sur l’appartement. Ce lieu où je ne devrais pas être, où j’ai forcé ma place, où tout me rappelle l’homme que j’essaie de comprendre sans jamais vraiment y parvenir.

Je pense à sa voix chaude et douce ce matin, à la chaleur de son corps près du mien et son regard fuyant quand il est parti. Je me surprends à imaginer me réveiller à nouveau à ses côtés, non pas sur le canapé, par accident, mais dans son lit, preuve d’une véritable intimité, souhaitée, assumée… Je secoue la tête, consciente que ces fantasmes n’ont plus lieu d’être tant que la discussion avec Zed n’a pas eu lieu. Je me redresse prudemment et me dirige vers la salle de bain.

L’eau chaude coule sur ma peau, apaisant mes muscles tendus et emportant avec elle le poids des émotions qui menacent de m’assaillir. Je ferme les yeux un instant, profitant de cette pause méritée, savourant la sensation de la chaleur qui enveloppe mon corps. Lorsque je sors de la douche, je me sens plus légère, plus en phase avec moi-même.

Enroulée dans une serviette, je retourne dans le salon et récupère mon ordinateur portable. L’idée de travailler me semble soudainement attrayante : me concentrer sur quelque chose de productif me fera du bien. Je finis de me sécher et d’enfiler des vêtements confortables avant de m’installer sur le canapé. A peine assise, je remarque la lumière éclatante qui inonde l’appartement. Dehors, le ciel est d’un bleu éclatant, le soleil brille haut, et une brise légère agite doucement les rideaux.

Il fait bien trop beau pour rester enfermée ici.

L’idée d’un jus de fruits en terrasse, d’un moment à l’extérieur où je pourrais à la fois travailler et respirer l’air frais, devient irrésistible.

Est-ce que je peux aller dans le bar de Zed ?

Ma tenue est légère mais correcte : un jean confortable, un t-shirt simple, mes cheveux encore humides attachés. Je ne vois aucune raison pour laquelle je ne serai pas autorisée à m’y installer. Sans réfléchir plus avant, je ferme mon ordinateur, boucle mes affaires de travail, range précieusement la clé de Zed dans une poche et quitte l’appartement.

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