Chapitre 9 - Partie 3

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A la lumière du jour, je réalise combien le bar est beau. Le comptoir est sobre, épuré, dans les ton turquoise et ocre. Il me rappelle les plages alentour.

Je jette un oeil furtif vers les zones réservées au personnel. Comme il me l’avait annoncé, Zed semble absent. J’en suis à la fois déçue et rassurée. J’aurais adoré le voir dans son environnement de travail, mais il m’aurait très certainement chassée. Je m’installe à une table en terrasse et sors mon pc, prête à reprendre mes tâches habituelles. La sensation du soleil matinal sur ma peau est une chaleur réconfortante. J’entends des pas se rapprocher et une voix féminine m’accueille.

  • Θέλετε κάτι ?

Une jeune femme se tient devant moi, le carnet serré contre sa poitrine, les joues rosies d’un léger embarras, le regard à la fois poli et inquiet. Elle doit avoir à peine vingt ans, mais il y a dans sa posture une forme de gravité presque touchante, comme si prendre ma commande avait, pour elle, quelque chose de solennel.

Je lui adresse un sourire, tentant de masquer la gêne que je ressens à ne pas pouvoir lui répondre dans sa langue.

  • Oh hi ! Sorry, I don’t speak greek at all.

Elle tripote son carnet, rougit un peu plus encore, comme si mes mots venaient tout juste d’élever entre nous un mur infranchissable.

  • Me English not speak well…

Son accent est doux, mais ses mots tombent l’un après l’autre, maladroits, comme posés sur un sol trop glissant.

Nous restons un instant silencieuses, désarçonnées par l’énigme délicate que pose la barrière de la langue. Je scrute les tables avoisinantes dans l’espoir de trouver repère quelconque — une carte posée sur une table, un tableau noir avec des inscriptions, quelque chose à quoi m’accrocher pour rendre la scène moins bancale.

La serveuse me regarde encore, incertaine, attendant que je fasse quelque chose, n’importe quoi, pour la sortir de ce petit moment d’embarras. Alors, par réflexe, je glisse la main dans mon sac, prête à dégainer mon téléphone et à lancer une traduction approximative, me raccrochant à la technologie comme à une bouée de sauvetage dérisoire.

Je n’en ai pas le temps. Derrière elle, la voix de Jona s’élève, calme, assurée et chaleureuse :

  • Το αναλαμβάνω εγώ.
  • Ευχαριστώ. Με σώζεις, souffle-t-elle, soulagée, avant de disparaître dans le bar en se cachant derrière son carnet.
  • Salut ! dit-il en me tendant la carte. Cédric ne sera pas au bar avant un moment.

Son accent reste très prononcé, presque chantant, mais il parle avec une aisance tranquille. Il maîtrise à l’évidence plusieurs langues, peut-être même plus que moi, et, l’espace d’un instant, je crois que j’en suis presque jalouse.

  • Je ne suis pas là pour lui, j’affirme en attrapant la carte.
  • Vous savez ce que vous voulez ordonner ? demande-t-il, à nouveau professionnel.

Hum… Quelques difficultés avec les faux amis.

  • Possiamo parlare italiano se le piace.
  • No, no, no ! réplique-t-il aussitôt en agitant les mains devant lui. Je travaille dans un bar aussi pour parler avec des clients. J’aime bien quand ils sont étrangers parce que ça m’entraine. J’aimerais bien aller en France un jour, donc parler français, c’est une bonne chose. J’essaie avec Cédric, mais il ne parle pas beaucoup.

Ça, c’est le moins qu’on puisse dire.

  • D’accord. Va pour le français, je souris, touchée par sa sincérité. Au fait, on peut se tutoyer si tu veux.
  • Super. Tu veux manger quoi ?

Je parcours rapidement la carte, soulagée de voir que les produits y sont traduits en anglais. Il y a tellement de choix sucrés : gâteaux locaux, salades de fruits, douceurs aux noms imprononçables… Tout semble délicieux. Diabolo ? Jus de fruit ? Chocolat viennois ?

  • Un chocolat viennois, ce serait top.
  • C’est noté. Je reviens tout de suite.

Quelques minutes plus tard, Jona réapparaît, toujours souriant, un plateau en main. Il dépose la tasse devant moi avec un soin presque cérémonieux.

Il est vraiment très beau — le fils caché de Jesse Williams et Antonia Thomas. Un visage doré, doux, et un regard qui donne l’impression qu’il écoute même quand tu ne dis rien. Il dépose un énorme mug devant moi puis ajoute :

  • Ah et cadeau de la maison ! Du gâteau citron et graines de pavot.

Il dépose une part de gâteau sur ma table et s’éloigne sans attendre de réponse. Je me penche vers le mug, laisse la chaleur me gagner, m’imprègne des arômes sucrés qui s’en échappent. Mais une autre odeur, plus vive, familière et détestable, me saisit à la gorge. Une gerbe de menthe insolente trône sur le gâteau. Un frisson remonte le long de mon dos. Je la chasse de mon assiette avec ma petite cuillère et l’écrase sous mon pied gauche comme un insecte répugnant.

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