Chapitre 10 - Partie 1

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Je monte les marches vers l’appartement de Zed, la précieuse clé en main. Mon coeur bat la chamade, trahissant ma culpabilité, ma peur de le voir d’un instant à l’autre au détour d’un escalier, mais je suis bien seule. Une odeur familière, à laquelle je n’ai pas prêté attention la veille, m’enveloppe dès que j’ouvre la porte : un mélange de miel, de cannelle et de cèdre. L’odeur de Zed.

Je referme la porte derrière moi et dépose mes affaires près du canapé, sans bruit, comme une intruse cherchant à se faire oublier. Je délaisse mes sandales et la clé à l’entrée et me dirige instinctivement vers la cuisine. Mon ventre est creux, autant d’envie que de faim, et je ressens le besoin impérieux de faire quelque chose de mes mains.

J’ouvre le frigo du bout des doigts, comme si Zed risquait d’en sortir, me prenant en flagrant délit.

N’étant pas dans une optique de rangement comme ce matin, je fais plus attention à son contenu presque vide : du yaourt nature, de la confiture, quelques tranches de jambon, du fromage, un reste de légumes crus, déjà fatigués. Rien qui ne se prête à un repas réconfortant. J’explore ensuite les placards : des œufs, du riz, des pâtes complètes, du thon en boîte, quelques épices, de la brioche, des biscuits. C’est un garde-manger de survie, non dénué de plaisir, mais avant tout fonctionnel. Il se nourrit comme on remplit un réservoir, sans chercher la chaleur d’un vrai repas

Cette constatation me serre le cœur. Je récupère mon sac, attrape sa clé et sors dans la lumière encore tiède de l’après-midi, laissant l’appartement à sa solitude. J’ignore si j’arriverai à le faire parler ce soir. Si je dois rester ici un peu plus longtemps, autant m’imposer en douceur.

Les rues de fin de journée sont baignées de cette lumière tiède et dorée propre aux villes côtières. Trouver une supérette ne me prend que quelques minutes. Je flâne entre les étals, le panier au creux du bras, choisissant des ingrédients avec une précision que je n’ai même pas pour moi-même : des tomates gorgées de soleil, des herbes fraîches, un peu d’huile d’olive. Des produits simples, rassurants, comme une tentative de ramener un peu de chaleur dans ce foyer où tout semble en suspens.

De retour chez lui, je lance une playlist au hasard sur mon téléphone et me mets directement aux fourneaux. L’eau commence à frémir dans la casserole, les tomates éclatent doucement sous la lame du couteau. L’odeur de l’ail qui grésille dans la poêle emplit la pièce, remplace peu à peu l’air stagnant, redonne vie à la pièce. Je me perds dans la musique et dans mes gestes, concentrée sur ce qui mijote, sur l’illusion que je peux apprivoiser l’atmosphère de cet endroit, et peut-être, par extension de Zed, en la remplissant d’arômes et de chaleur.

Quand tout est prêt, je dresse mon assiette et m’installe à table. Le premier bouché me réchauffe, et je me rends compte que j’avais plus besoin de ce repas que je ne voulais l’admettre. Ce n’est pas un grand plat, rien d’extraordinaire, mais c’est un vrai repas, qui réchauffe, qui nourrit autrement qu’en remplissant un simple besoin.

Une fois mon assiette vide, je me lève instinctivement pour nettoyer. Je lui impose déjà ma présence, pas question de salir son espace. Tout doit être propre, net, irréprochable, aussi soigné que Zed.

Je plonge les mains dans l’eau savonneuse et entreprends de remettre un peu d’ordre. Le bruit de la vaisselle qui s’entrechoque emplit l’appartement de vibrations autre que la mélodie ambiante, un murmure domestique qui me rassure. Tandis que je nettoie les ustensiles, mon regard se pose sur la machine à laver, à moitié ouverte, et une idée germe en moi.

Peut-être que s’il rentre et voit son appartement rangé, il sera moins contrarié que je sois restée. Peut-être qu’il comprendra que je ne cherche pas à être un poids. Que je ne suis pas venue ici pour lui compliquer la vie, mais dans l’espoir d’en faire partie.

Je sèche et range la vaisselle en vitesse et me dirige ensuite vers la machine à laver. J’y trouve des serviettes, des sous-vêtements, des jeans et t-shirt,noirs, bien entendu, mais aussi ce qu’il portait à l’anniversaire de sa mère. Tout a été jeté dans le tambour, sans avoir été trié, ce qui m’amuse et m’agace à la fois. Je sépare le blanc des couleurs, priorité absolue, ajoute éhontément mes propres vêtements, ceux avec lesquels j’ai voyagé et mes affaires de sport, sélectionne un programme, ajoute la lessive et lance le cycle.

Rassurée de laisser derrière moi un espace plus ordonné, comme si cela pouvait légitimer ma présence, je me laisse tomber dans le canapé et coupe la musique. Le doux ronronnement de la machine chatouille mes pensées. Il est presque 19h30. L’arrivée prochaine de Zed me saisit : j’ignore quelle sera sa réaction, je ne sais même pas comment moi je vais réagir.

Il faut que je m’occupe l’esprit. Je me penche vers mon sac à dos et y trouve mon livre talisman. Je me plonge dans les mots, me laissant happer par l’histoire de magie et d’éléments. Une heure plus tard, la machine s’arrête avec une petite mélodie, et l’idée même qu’un ingénieur ait ajouté cette facétie me fait sourire. Je referme mon livre et me lève pour étendre le linge. Je sors l’étente à linge de la salle de bain et entreprends d’y accrocher les tissus lourds et humides, menaçant de me glisser entre les doigts. Je tends chaque pièce avec soin, alignant les vêtements comme si je rangeais mes propres pensées.

Quand tout est enfin suspendu, je jette un oeil à mon téléphone : 20h03. Où qu’il soit, Zed ne devrait plus tarder. Mon impatience et mon angoisse refont surface. Je m’efforce de les repousser et retourne sur le canapé, récupérant mon livre, tentant de reprendre ma lecture.

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