Chapitre 10 - Partie 2

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Au bout de quelques minutes, le bruit sec de la poignée qui couine me fait lever les yeux, mais à peine. Un sursaut d’adrénaline me traverse, mais je l’étouffe aussitôt, ramenant mon regard sur mon livre. Je fais mine de rien. Je reste là, ancrée dans le canapé, le dos droit mais détendue, les doigts posés légèrement sur les pages ouvertes.

J’entends la porte s’ouvrir, des pas hésitants qui avancent dans l’entrée. Il ne m’a pas encore vue. Les battements de mon coeur s’accélère, trahissant ma tension intérieure et je lutte pour garder une respiration égale, pour rester dans mon rôle impassible. J’essaie de me concentrer sur l’histoire captivante dans laquelle j’étais plongée, sur les mots qui s’étale sous mes yeux, mais ils glissent, flous et insaisissables. Peu importe. Je parviens à maintenir l’illusion, attendant qu’il me remarque.

  • Maud ? T'es encore là ?

Sa voix brise le silence, incrédule, comme s’il ne croyait pas à sa propre question. Je tourne lentement une page, sans vraiment savoir laquelle.

  • Et oui…
  • Comment ça se fait ? Il y a des vols pratiquement tous les jours. Ça se passe comment ton retour ?

Il cherche à comprendre, à jauger la situation. Je perçois la stupeur et une pointe d’espoir : il s’accroche à l’idée que ma présence ne soit qu’un contretemps, qu’une erreur vite réparée. Il n’a pas anticipé que je lui tiendrai tête. Je referme doucement mon livre, prenant soin de placer mon marque page avec une lenteur calculée et le pose sur mes genoux. Puis, je lève enfin les yeux vers lui, souriant avec une pointe de sarcasme, mordante juste assez pour qu’il sache que je suis ici parce que je l’ai décidé.

  • Ça, ça dépend de toi, je réplique. Ça se passe comment la conversation qu'on doit avoir ?

Le petit tour que je lui joue ne lui plait pas du tout. Je lis la peur, la confusion et la colère dans son regard, comme un animal qui réalise trop tard que le piège s’est refermé.

  • Comment ça "ça se passe comment" ? S’offusque-t-il.
  • T’as cru que j’étais venue pour quoi au juste ? Tu me dois une conversation, Zed. Et je ne partirai pas sans l'avoir eu.

Je sais que mon approche n’est pas la bonne mais tant pis. Je ne peux pas me permettre de rester ici plus que nécessaire dans l’état actuel des choses. Nous avons tous les deux beaucoup à nous dire avant de pouvoir envisager une relation normale, quelle qu’elle soit. Comme je m’y attendais, Zed se raidit et croise les bras.

  • Ça risque de poser un problème pour ton travail, non ? me provoque-t-il.
  • Pas quand on a la chance d'être consultante et de pouvoir travailler d'où on veut.

Je croise les bras à mon tour. Il est très loin d’être la personne la plus têtue de la pièce. Je le vois recouvrer son sang froid tandis qu’il maugrée :

  • Sans déconner, Maud, c’est pas le moment. J’avais pas prévu ça.

Cette phrase m’interpelle. D’ordinaire, nous programmons des soirées HOTS, mais comme j’étais censée être dans l’avion, il est évident que ça ne pouvait pas être au programme.

  • Qu’est-ce que tu avais prévu de faire ? je demande, curieuse de découvrir son quotidien.

Il écarquille les yeux, pris au dépourvu.

  • Euh… j’allais enfiler un maillot et sortir nager.
  • Ça te dérange si je viens avec toi ? je demande.
  • Non. Fais ce que tu veux. J’espère que t’as un maillot parce que j’ai pas l’intention de faire du shopping.
  • Euh… Ouais, ouais j’ai pris. Donne-moi juste une minute pour me changer.
  • Magne-toi, j’ai vraiment besoin de me défouler râle-t-il.

Oooooh la mauvaise humeur de Zed est plus forte que jamais on dirait.

J’attrape mon sac, m’enferme dans la salle de bain et enfile mon maillot en deux minutes, montre en main. Je remets mes vêtements par-dessus et ressors. Zed m’attend, debout près de la porte, une serviette sur l’épaule. Je lance mon sac au pied du canapé : je suis prête.

  • Allons-y !

Il grogne et, sans un mot, m’invite d’un geste de la main à sortir de l’appartement. Une fois hors de la résidence, nous marchons quelques minutes en silence, chacun une serviette dans les mains. Lui devant, l’air plutôt renfrogné, moi derrière, courant presque pour ne pas le perdre.

Lorsque nous arrivons sur la plage, j’enlève mes tennis et prends le temps de savourer la sensation de mes pieds nus dans le sable. Zed, lui, continue d’avancer, comme s’il voulait conserver une distance physique entre nous. Je ferme les yeux quelques secondes et me laisse m’enfoncer dedans, écartant mes orteils pour sentir la douce friction des grains qui glisse entre eux, un instant suspendue entre leur chaleur et l’appel frais de la mer.

Lorsque je rouvre les yeux, Zed est au bord de l’eau. Il a déjà retiré ses chaussures, ses chaussettes et son t-shirt. Son jean rejoint rapidement la serviette et la pile de vêtements qu’il a abandonnés sur le sable. Il se dirige ensuite vers la mer et y entre d’un pas décidé.

Effectivement, j’ai intérêt à me grouiller si je veux rester avec lui…

Je remonte la plage en vitesse jusqu’à ses affaires et me débarrasse à mon tour de mes vêtements. Je m’approche ensuite doucement du bord de l’eau, laissant les vagues caresser mes pieds, le cœur battant d’enthousiasme et d’appréhension.

J’ai toujours adoré l’eau. Malheureusement, lorsque j’avais environ 5 ans, j’ai failli me noyer dans une mer déchaînée par les vagues. C’était une très belle journée d’été, insouciante. Dans la cohue et les cris de joie, personne ne faisait attention à moi. Alors que je m’amusais entourée d’autres enfants, la houle m’a entraînée vers le large au point que je n’avais plus pied.

Dans un éclair de lucidité que je ne m’explique toujours pas vu mon jeune âge, je me suis alourdie, un bras tendu au-dessus de ma tête pour voir jusqu’où je m’enfonçais. Je n’oublierais jamais la terreur qui m’a saisie lorsque j’ai senti que le sommet de ma main ne sortait pas de l’eau. C’est cette même peur qui m’a insufflé la force de pousser le plus possible sur mes jambes vers la surface. A peine avais-je sorti la tête de l’eau, que j’étais à nouveau ensevelie. Je me rappelle encore la sensation des vagues s’écroulant inlassablement sur moi. J’étais impuissante face à la nature, incapable de reprendre mon souffle. Depuis ce jour, le courant et les fonds marins réveillent en moi une peur déraisonnée de ne pas pouvoir regagner le rivage à pied.

Je sens un frisson me traverser tandis que je plante mes pieds dans le sable meuble, cherchant un équilibre. J’observe les minuscules coquillages qui scintillent au gré de la lumière sous l’eau cristalline et me rappelle que je suis venue ici pour Zed. Je relève les yeux : il est déjà loin, l’eau jusqu’à la taille.

But du jeu : aller le plus vite possible à sa hauteur sans s’écrouler dans l’eau… Bonne chance Maud !

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