Chapitre 10 - Partie 3

10 minutes de lecture

Je m’aventure un peu plus loin, laissant la mer lécher mes mollets, puis mes cuisses. À cette profondeur, elle m’enveloppe d’un mélange rassurant de fraîcheur et de légèreté. Je vois Zed disparaître sous la surface et m’avance encore, les bras tendus devant moi, assurant chacun de mes pas. Lorsque l’eau atteint mon cou, mes jambes ne répondent plus : elles refusent d’avancer et de perdre le contact vital avec le sol.

Ignorant tout de ma phobie et de mes hésitations, Zed n’a pas ralenti, au contraire. Plus loin encore que tout à l’heure, il s’est arrimé à une bouée au large et me fait de grands signes de bras. Je secoue la tête et lui indique avec mes mains en croix que je n’irai pas plus loin.

Il lâche la bouée et plonge. Je m’inquiète un moment de savoir s’il va choisir de rester hors d’atteinte pour éviter notre discussion, puis je le vois à une dizaine de mètres. Il s’approche en quelques brasses et s’arrête à deux mètres de moi.

  • Tu viens pas ? demande-t-il.
  • Tu as conscience d’être beaucoup plus grand que moi ?
  • Et alors ?
  • Et alors si je vais plus loin, je n’aurai plus pied…, je réponds.

Zed lève un sourcil, visiblement amusé.

  • Tu ne sais pas nager ? me taquine-t-il.
  • Bien sûr que si. Mais s'il y a du courant, je ne suis pas sûre de savoir rentrer. Tout le monde n'a pas tes muscles…
  • Allez viens, insiste-t-il. Moi j'ai pied. Je te lâcherai pas, conclut-il en tendant un bras vers moi.

Je suis tiraillée entre l’envie de me rapprocher de lui, de me laisser guider par sa main tendue, et la peur irrationnelle de quitter la terre ferme. Je me raisonne : la mer est calme aujourd’hui, il n'y a presque pas de vent, je n’ai pas senti de courant en venant jusqu’ici. Et c’est Zed… Jamais il ne laissera quoi que ce soit m’arriver. Confiante, je pose ma main dans la sienne, chaude comme d’habitude, et le laisse m’attirer doucement à sa hauteur.

Je me tiens à son épaule pour garder la tête hors de l’eau. Nous sommes vraiment très près : une longueur de bras, de mes bras pour être précise, autant dire une distance dérisoire. Son visage est tellement près du mien que je peux discerner les paillettes d’or de ses iris. Mon cœur s’emballe, comme toujours quand je suis avec lui.

Je baisse le regard subitement. Si je continue à admirer ses prunelles, je vais perdre pied, perdre toute ma lucidité. Chaque fibre de mon corps me crie déjà de m’approcher davantage, de laisser mes émotions m’envahir et de m’abandonner à la chaleur de ses bras… Mais je me reprends : je dois garder une part de moi en dehors de ce tourbillon. Nous devons parler et j’ai besoin d’avoir toute ma tête pour aborder tout ce qui flotte entre nous.

  • Ça va ? murmure-t-il.
  • Zed… Être près de toi… C’est…

Les mots me manquent, ils se bousculent, mais aucun ne semble suffisamment fort, suffisamment juste pour traduire ce que je ressens.

  • Tu me fais confiance ? je lui demande tout à coup en plongeant mes yeux dans les siens.

D’abord suspicieux, il sonde à son tour mon regard avant d’acquiescer. Toujours accrochée à son épaule, je prends sa main et la guide avec douceur contre mon cou, au creux de ma carotide. Mon sang pulse sous ses doigts, chaque battement révélant ce que je ne peux formuler à voix haute.

  • Ça, c’est l’effet que tu me fais. En permanence.

Ses yeux ne lâchent pas les miens et chaque seconde fait naître des papillons dans mon ventre. Sa main glisse délicatement jusqu’à ma joue et y reste. La chaleur de sa paume contre ma peau semble amplifier chaque battement de mon cœur.

  • Est-ce que tu me fais confiance ? me paraphrase-t-il.

Toujours.

Je ne serai pas dans ses bras si ce n’était pas le cas. Je hoche la tête. Doucement, il attrape ma main libre et la colle contre son torse, aussi lisse et ferme que dans mes souvenirs. Son cœur cogne sous ma paume, rapide, puissant, comme s’il répondait au mien.

  • C’est l’effet que tu me fais depuis toujours, me confie-t-il solennellement. Ça et autre chose plus bas, reprend-il avec une sourire espiègle.

Une chaleur douce mais profonde monte en moi. Je ris doucement pour masquer l’embarras qu’il fait naître et confesse à mon tour :

  • Zed, tu sais très bien que c'est pareil pour moi…

Il ne détourne pas le regard. Un frisson parcourt ma peau, mais je n’ajoute rien. Dire davantage serait franchir une limite que je ne suis pas sûre qu’il soit prêt à dépasser. Nous restons ainsi quelques instants, à moitié enlacés dans l’eau. Immobiles et silencieux, comme si le moindre geste ou mot pouvait briser le fragile équilibre que nous semblons avoir trouvé. Qui pourrait croire qu’il y a trois jours à peine, nous étions presque à nous sauter dessus ?

  • Mais… En fait, qu’est-ce que tu me trouves ? lâche-t-il.
  • Tu es sérieux ? je demande, mi-perplexe, mi-amusée.

Son regard inquisiteur et inquiet me prouve que oui.

  • Oh Zed…

Je m’approche un peu plus, prenant son visage dans mes mains.

  • Comment est-ce que tu peux avoir une aussi piètre image de toi… Ça me dépasse. Je voudrais… Raaah !

Je râle de frustration de ne pas trouver mes mots et renverse la tête en arrière.

  • Rien qu’en entendant ta voix, j’ai le cœur qui s’emballe. Non ! Même rien qu’en te regardant, j’ai le cœur qui s’emballe. Tu as pu le constater toi-même.

Il sourit alors et je sens ses bras entourer ma taille, son regard se radoucissant, même s'il reste un peu incertain.

  • Quand je te vois entrer dans une pièce, quelque chose en moi me dit : « le soleil est revenu ! ». Zed, je te l’ai déjà dit mais je te le répète : tu me happes comme une tornade. Tu es mon champ gravitationnel.

Mes compliments le gênent. Je vois à sa manière de rapprocher sa tête de ses épaules qu’il cherche à fuir, sans le pouvoir. Sa seule échappatoire consiste à détourner les yeux.

  • Je ne vois quand même pas ce que tu me trouves.
  • Regarde-toi dans une glace, enfin ! je m’écrie, un peu exaspérée, en lui prenant le menton pour qu’il me regarde. Je suis totalement sérieuse ! je continue, un peu plus calme mais toujours déterminée. Regarde-toi vraiment. Je voudrais l’espace d’un quart d’heure, non, non ! Même juste l’espace d’une minute que tu te vois à travers mes yeux. Que tu mesures la puissance de l’effet que tu me fais, que tu ressentes la violence de l’impact que tu as sur moi. Et pas que physiquement avant que tu te poses la question.

Je le sens se raidir un instant, mais je continue, sans le quitter des yeux.

  • Alors, voilà… J’ai compris que je ne suis personne pour toi. Que tu ne veux pas de moi, sous aucune forme et sous aucune condition. Et franchement ça me fait mal. Mais tu m’as posé la question, alors je te réponds, je termine d’une voix plus douce, en haussant les épaules.

Ses grands yeux dorés me scrutent avec une telle intensité que je me détourne à mon tour. Il me tient toujours contre lui.

  • Maud ? m’appelle-t-il doucement.

Je n’ose pas le regarder. Je sens la chaleur de son corps sur chaque centimètre de ma peau en contact avec la sienne. Mon visage est en feu.

  • Maud, tu sais que tu comptes énormément pour moi, continue-t-il.

Mon cœur se serre, douloureusement, comme s’il anticipait la chute. Ces mots, si tendres, ceux que je suis venue chercher, sonnent comme une sentence : la confirmation de son indifférence bienveillante. Je compte, oui, mais pas comme je l’espérais, pas comme lui compte pour moi. Ce constat fait naître en moi une douleur sourde, et pourtant… ce devrait être une bonne nouvelle. Ce sera plus simple ainsi : pas de tension, pas d’ambiguïté, juste une vérité froide mais claire. Pourtant, au lieu de me soulager, elle m’écrase d’une tristesse amère, comme une porte qu’on referme sur un rêve. Je ferme les yeux, cherchant à apaiser ce tumulte intérieur, mais tout se brouille.

Puis je sens ses mains guider les miennes autour de son cou avec une douceur infinie. Ce geste me fige, une réminiscence brûlante de notre douche commune. Je n’oublierai jamais la sérénité grisante de cet instant, ni la torpeur cinglante que m’a causé son départ.

Ses doigts frôlent mes hanches avant de soulever délicatement mes genoux. La chaleur de son corps contre le mien, si proche, devient presque insupportable. La tension qui m’habite ne faiblit pas, intense, et désormais cruelle.

  • Je ne peux pas dire plus mais… Enfin voilà, tu sais très bien que je t’adore, conclut-il en positionnant mes jambes autour de lui.

Oh !

Cette phrase me donne la force de le regarder, et ce que je vois me coupe le souffle. Ses yeux brillent d’une émotion brute, contredisant tout ce que je viens de penser. Ce n’est pas une simple tendresse ni un désir fugace. Je compte au point qu’il y a en lui un combat, une peur presque palpable, une vérité qu’il refuse encore de nommer. Il peut y avoir un “nous”. A condition qu’il s’autorise à le dire, qu'il ose y croire.

Les yeux dans les yeux, mes bras accrochés à sa nuque, mes jambes enroulées autour de sa taille, ma poitrine collée à la sienne, mon bas ventre tellement près du sien… Ses mains sur mon corps, l’une sur ma hanche, l’autre presque sous mes fesses. Son visage si près du mien…

Je meurs d’envie de répondre à sa déclaration et je suis terrifiée à l’idée qu’il se referme à nouveau si je vais trop vite. Les seuls mots qui sortent de ma bouche sont :

  • Je sais, Zed.
  • Pourquoi « Zed » ? me demande-t-il doucement. Tu ne m’as jamais dit.

Aïe. Ça craint.

Je sais pertinemment pourquoi j’ai choisi ce surnom. La sonorité d’abord, mais pas que… Et je ne sais pas s’il pourra encaisser toutes les raisons.

  • Je ne suis pas sûre que tu veuilles entendre la réponse à cette question…

Il ne répond pas, mais ses yeux, à la fois incroyablement tendres et terriblement sérieux, m’encouragent à poursuivre. J’inspire profondément et me jette à l’eau.

  • Et bien d’abord parce que tout le monde t’appelle « Ceddy » et que je trouve que ça fait un peu enfantin alors que moi je te vois comme un homme. Ensuite parce que personne d’autre que moi ne t’appellera jamais « Zed ». C’est mon surnom pour toi et personne d’autre. Il correspond plus à l’homme que je vois en toi. Ça fait mystérieux, chaleureux, aventurier, sensuel, foutrement sexy…

Il fronce les sourcils, et je sens un petit frisson d’appréhension me parcourir. Je marque une pause, hésitante, puis décide de continuer :

  • Et aussi parce que ton nom complet me donne des papillons absolument partout. Alors euh… c’était plus « sage » de t’appeler autrement.

Son expression change légèrement, passant du circonspect au renfrogné, et j’ai peur d’avoir été trop loin. Pourtant je n’ai fait que répondre à sa question.

N’oublie pas qu’il y a une différence entre ce que Zed veut savoir et ce qu’il est prêt à savoir.

  • Enfin bon… ça n’a pas d’importance, je me dérobe en le relâchant doucement. Il ne va pas tarder à faire nuit et je commence à avoir un peu froid. Je pense que je vais rentrer.

Mensonge éhonté, mais nécessaire. Je dois laisser à Zed l’espace dont il a besoin pour digérer tout ce que je viens de lui confier. Zed ne semble pas s’apercevoir de ma supercherie.

  • D’accord. Prends les clés dans mon short. Moi je vais quand même faire quelques brasses. Je te retrouve à la mai… chez moi plus tard.

Il dépose un baiser sur ma joue avant de plonger précipitamment. Battant des pieds, je guette le moment où je le verrai sortir. Après quelques secondes, sa tête émerge enfin, éclaboussant l’eau autour de lui. Il commence à nager, ses bras puissants fendant l’eau avec grâce. Je le contemple un instant, absorbée par sa fluidité, par la liberté qu’il dégage dans cet élément, puis rebrousse chemin vers le rivage.

Une fois sur la terre ferme, je prends une serviette, me sèche rapidement, et me rhabille avant de prendre ses clés dans son short. Je remonte la plage en direction de l’appartement, non sans jeter un dernier regard en arrière.

Je suis saisie par la beauté du coucher de soleil sur la mer : l’azur se teinte de nuances rouges et or, et la lumière vacille, douce, comme un rêve en train de se dissiper. Zed se déplace dans l’eau, ses gestes fluides et rythmiques. Tout me semble soudain plus vibrant, plus réel, comme si la mer elle-même résonnait avec ce qu’il y a entre nous.

Je souris malgré moi en me rappelant ce qu’il m’a confié, en sachant que je fais partie des rares personnes de son entourage avec lesquelles il se permet de s’ouvrir. Cette connexion nous a permis ce soir d’effleurer la surface de nos problèmes. Si nous continuons sur cette lancée, j’ai bon espoir de voir un dénouement positif. Si Zed préfère se refermer, il pourrait décider de couper le lien qui nous unit pour toujours. Si, au contraire, il parle, nous pourrions, au moins, préserver une relation convenable, proche mais distante, telle qu’attendue entre un beau-frère et une belle-sœur. Mais si, comme je l’espère, il ose enfin me dire ce qu’il ressent, il nous offrirait la possibilité de construire un avenir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire YumiZi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0