Chapitre 11 - Partie 2

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Zed est toujours sous la douche. Je m’assois sur le canapé, téléphone en main, attendant qu’il en sorte. Je surfe sur le net, passant d’un site inutile à un autre, tentant de tuer le temps, de repousser les pensées qui me tourmentent. Au bout de quelques minutes, je ferme les yeux, pose la tête contre le dossier du canapé et laisse échapper un soupir.

Nous devons poursuivre la conversation que nous avons commencée : il ne m’a pas tout dit et ce qu’il tait nous freine tous les deux. Malheureusement, le forcer à parler serait la meilleure manière de le braquer. Il faut que je trouve une formulation qui l’invite à s’ouvrir tout en lui laissant l’occasion de refuser, ce que je ne souhaite pas.

Je scrute le plafond dans l’espoir vain qu’il apporte une solution à mon problème. La porte de la salle de bain s’ouvre avec un petit bruit. Zed apparaît, vêtu d’un jean et d’un t-shirt blanc inhabituel, qui lui donne de faux airs innocents. Appuyé contre le cadre de la porte, il m’offre un faible sourire.

  • Tu n’as pas fini de me parler, pas vrai ? demande-t-il.

J’acquiesce silencieusement. Il soupire, passe une main lasse sur son visage, puis croise les bras en rivant son regard au sol pour éviter le mien, avant de souffler :

  • Alors vas-y. Je t’écoute.

Exactement comme je l’ai fait plus tôt, j’inspire un grand coup et me lance.

  • Et bien, tout à l’heure je t’ai dit pas mal de trucs qui n’ont pas dû être faciles à digérer. Et je me suis rendue compte que je ne t’ai pas vraiment laissé le temps de faire pareil.

Silence.

  • Je pense que ça peut être bénéfique pour tous les deux si toi aussi tu vides ton sac. Qu’il n’y ait plus de tabou, plus de non-dits… Qu’est-ce que tu en penses ? je conclus.

Les yeux dans le vague, Zed ne bronche pas pendant quelques minutes.

  • Non, me répond-t-il tout à coup. Je ne veux pas en parler.

Il se précipite dans sa chambre et s’y enferme. Je l’entends s’affaler sur la porte, comme s’il ne pouvait plus supporter le poids de mes révélations, ou de ce qu’il tait. Je m’approche doucement, le coeur battant et le souffle court, l’air autour de moi semblant soudain trop épais pour respirer. Une question cruciale tourne en boucle, dans la tête, me donnant presque la nausée. Je pose une main tremblante sur le bois, scrutant les rainures comme si elles pouvaient guider mes mots. Il faut que je parle, que je pose cette question, mais l’instant semble suspendu. Je sais que Zed m’écoute derrière la porte, mais je n’arrive pas à trouver la bonne approche. La question me brûle les lèvres et les mots fusent, malgré moi, presque trop rapides, comme si je voulais m’en débarrasser :

  • Zed, j’ai quand même une question à laquelle j’ai besoin que tu répondes et où je ne te laisserai pas te défiler parce que c’est trop important. Je donne mes plaquettes tous les mois… Est-ce que j’ai besoin de me faire dépister pour quelque chose ?

Le silence s’installe. Est-ce qu’il va m’éviter ? Est-ce que cette question va nous faire glisser sur un terrain où il n’y a plus de retour ? Je crains pendant quelques instants qu’il ne se mure dans son mutisme.

  • Je n’ai eu aucun comportement à risque depuis mon seul et unique test, répond-il finalement.
  • D’accord, je soupire de soulagement. Merci.
  • Est-ce que je dois m'inquiéter ? demande-t-il tout à coup.

Sans dépistage préalable, j’ai toujours utilisé des protections car je n’ai pas assez confiance : entre les grossesses non désirées et les maladies, le risque est trop grand.

  • Non. Tu es mon unique prise de risque.

Il est le seul pour qui j’ai trahi un partenaire, pour qui j’ai traversé un demi continent, pour qui je mets en péril toute ma vie et mon avenir. Le seul pour qui tous ces écarts semblent en valoir la peine.

  • On devrait aller dormir, lâche-t-il.

Je l’entends se redresser et s’installer sur son lit. Je me détache à mon tour de la porte, une grimace aux lèvres pour me diriger vers le canapé. D’un geste vif, j’éteins la lumière du salon et m’empare de mon téléphone. J’ai besoin de parler à quelqu’un de ce que je vis car je sens que je pourrais facilement me perdre dans toutes ces émotions, dans toute cette aventure.

Machinalement, je compose le numéro de mon meilleur ami. Il est tard, mais je sais qu’il répondra et qu’il saura m’éclairer. J’aime sa façon particulière de voir les choses. Pas de jugement, juste une observation distante, parfois un peu trop logique, plus que bienvenue dans ma situation.

  • Maud ? Tout va bien ?
  • Salut Ben. Désolée de te déranger…
  • Tu ne me déranges jamais, tu le sais. Comment ça se fait que tu m’appelles si tard ?
  • C’est… une longue histoire, je rit doucement. C’est aussi un peu pour ça que je t’appelle. Je suis en Grèce.
  • En Grèce ? Sérieusement ? C’est pour des vacances ?
  • Pas exactement. Je suis venue retrouver Zed.
  • Je vois… ça a été la rupture de tes fiançailles ?
  • C’est plus compliqué que ça.

Je lui raconte où j’en suis, les instants volés chez mes futurs beaux-parents, la réaction de Nate, mon départ et ma déclaration à Zed, les choses que lui m’a avouées… Je ne lui cache rien, sans entrer dans les détails des moments intimes partagés avec Zed.

  • Bref, on se cherche, mais c’est pas simple. Il est… comme d’habitude, je souffle, les yeux fixant toujours la porte, comme si Zed pouvait l’entendre. Il est là mais sans vraiment être là, tu vois ? Je fais ce que je peux pour ne pas le brusquer et en même temps, j’ai besoin que ça avance. Il est tellement dans le contrôle de ce qu’il montre, de ce qu’il ressent que parfois j’ai l’impression de parler à un mur. Il y a cinq minutes, je parlais littéralement à une porte…
  • T’es sûre que c’est ce que tu veux, Maud ? Avec Nate ça a l’air de rouler nickel. Alors qu’à chaque fois que tu me parles de lui, j’ai l’impression qu’il t’embrouille plus qu’autre chose. Il ne sait pas ce qu’il veut, c’est comme s'il jouait avec toi… C’est pas sain, tout ça.

Je sais qu’il a raison, mais il ne comprend pas. Il n’a pas vécu ce que moi et Zed avons vécu. C’est trop fort, trop particulier. C’est comme une tornade : terrifiant et dévastateur à l’extérieur, et incroyablement calme et paisible en son sein.

  • Je sais. Mais c’est pour ça que je suis là, parce qu’il faut qu’on règle ça. Je n’en peux plus de cette situation. Il faut parfois savoir lâcher prise pour avoir ce qu’on veut vraiment, non ?

Ben laisse échapper un petit rire nerveux.

  • Tu te réfères à Zed ou à toi là ?
  • Les deux, je crois, je confirme avec un sourire.

Il devient plus sérieux, et je sens sa bienveillance m’envelopper, même à distance.

  • Écoute, si tu te sens prête à tout sacrifier pour lui, fais-le. C’est toi qui sais ce qui est le mieux pour toi. Mais, s’il te plait, fais attention. Ne t’oublie pas dans cette histoire. Zed… il n’est peut-être pas celui que tu penses qu’il est.

Je hoche la tête, même si je sais qu’il ne peut pas voir ce geste.

  • C’est en lui tournant le dos que je m’oublierais. Ne t’en fais pas, tout ira bien.
  • Tu sais où me trouver si tu veux en parler plus. Prends soin de toi, ok ?

Je souris, un sourire sincère, mais encore un peu fragile.

  • Promis. Merci d’être là. Je t’aime.
  • Je t’aime aussi, répond-il avant que la ligne ne se coupe.

Je pose le téléphone sur la table basse, un soupir s’échappant de mes lèvres. Il a raison : je suis prête à tout sacrifier pour Zed, mais ce n’est pas un simple caprice ou une passade. Zed fait partie de moi, comme une obsession silencieuse et brûlante. Il fera toujours partie de moi, même si nos chemins venaient à se séparer.

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