Chapitre 13 - Partie 1

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Lorsque nous rentrons, je récupère mon ordinateur tandis que Zed range les courses “pour que son organisation reste intacte”. J’allume l’écran, lance une playlist au hasard, et bientôt les premières notes d’un piano léger se répandent dans l’appartement, lentes, fragiles, comme si elles hésitaient à vraiment prendre place, à troubler le calme suspendu de ce retour.

Je me connecte à ma boîte mail, sans grande attente, plus par réflexe que par véritable espoir, mais un nouveau message de Théo m’attend, bref, sans formule de politesse ni salutation, accompagné d’une pièce jointe.

Avant de t’en dire plus sur le projet “rock star”, il faut que tu lises ça. Accroche-toi. Dis-moi ce que t’en penses.

Mon estomac se contracte - non pas d’appréhension, mais de ce mélange d’excitation et d’impatience qu’on ressent juste avant d’arracher le papier d’un cadeau. Je reste un instant figée devant l’icône du fichier, puis je clique.

Le mensonge est une arme sournoise. Il s’infiltre dans les failles, se tisse entre les mots qu’on croyait sincères, et quand il éclate, il ne laisse derrière lui qu’un champ de ruines. Tu crois connaître quelqu’un, tu crois pouvoir lui faire confiance, et puis un jour, la vérité t’arrive en pleine face comme une gifle glacée.

Certains mensonges sont si habiles qu’on voudrait presque y croire encore, même après les avoir découverts. Parce qu’admettre qu’on a été dupé, c’est accepter qu’on s’est trompé sur toute la ligne. Et ça, c’est parfois plus douloureux que le mensonge lui-même.

Mais alors, comment fait-on ? Comment avancer quand tout ce qu’on pensait solide s’effondre sous nos pieds ? La rancune est une cage, le pardon une clé. Mais qui a envie d’ouvrir la porte quand la trahison brûle encore dans la poitrine ?

Je relis le passage plusieurs fois, et à chaque lecture, les mêmes frissons me parcourent. Il y a quelque chose d’irrépressible dans ces mots, une intensité sourde, une douleur nue, qui résonne au creux de mon ventre comme si elle m’était adressée. Je ne peux pas garder ça pour moi, alors j’ouvre immédiatement Teams et envoie un message à mon collègue :

  • Théo… wow. :o C’est puissant. Qui est l’auteur ?
  • Damien Foudoudy !
  • Foudoudy ? ^^’ Haha D’où il sort pour avoir un nom pareil ?
  • Tu plaisantes j’espère ? Tu sais pas qui c’est ?
  • Je devrais ?
  • Carrément ! C’est un influenceur qui cartonne en ce moment. Ultra discret, jamais montré sa tête, mais ses posts font des millions de vues.
  • Ah ouais quand même… En tout cas, c’est vraiment intense comme texte. Tu n’as que ça pour le moment ?
  • Non, j’ai reçu d’autres paragraphes dans le même style. Apparemment, il veut publier ça comme un journal intime découpé, en posts réguliers sur Insta, Twitter et autres.
  • C’est pas une commande ordinaire haha. Il en dit quoi Paul ?
  • Bof, tu sais… tant que le fric rentre, Paul il s’en fout XD Et puis, ça ramène un peu de notoriété à la boîte… ;) Bref, je voulais juste être sûr que ça te va, ce format-là.
  • Il m’a demandée, moi, personnellement ! :3 je ne vais quand même pas refuser ;)
  • Haha bon parfait. Je vais t’envoyer les autres que j’ai et pour la suite… Ça sera un peu au compte goutte je crois.

Ce projet ne ressemble à rien de ce que j’ai traduit jusque-là. Pourquoi cette forme ? Et surtout, pourquoi moi ? Qu’est-ce qui, dans ma voix, dans mon style, l’a convaincu que j’étais la bonne traductrice pour ces textes-là ?

Je commence ma traduction, consciencieuse, retouchant mes versions, m’assurant que le sous-texte plus encore que le texte soit fidèle. Après quelques minutes, mon pied bat légèrement la mesure, en rythme avec la mélodie ambiante, signe que mon corps ne veut plus rester sagement en place.

Mode économie de batterie activé

La notification me surprend et me soulage : j’ai une bonne raison pour bouger. Je me lève pour aller récupérer le précieux chargeur, resté dans ma sacoche près du canapé.

La musique m’accompagne dans le mouvement, se glissant sous ma peau, réveillant en moi un éclat de légèreté. Je ferme les yeux et, sans même y penser, commence à danser. Un pas, puis un autre, la tête légèrement inclinée, mes mains effleurant l’air dans une chorégraphie instinctive.

A la fin d’une pirouette, j’ouvre les yeux et remarque que Zed m’observe, appuyé contre l’encadrement de la porte. Il a un sourire au coin des lèvres, cette expression tendre et amusée que je chéris et qu’il ne réserve qu’à moi.

  • Tu apprécies le spectacle ? dis-je sans m’arrêter.
  • Beaucoup.

Dans un élan fluide, il s’approche et m’intercepte, capturant ma main dans la sienne. D’un geste sûr, il me fait pivoter, me rapprochant de lui en un tour subtil, guidé par la mélodie qui s’élève toujours dans l’air. Je sens le rouge me monter aux joues, une joie indescriptible m’envahit tandis que je réalise qu’il commence à revenir vers moi, à vouloir être près de moi.

  • Je peux participer ? demande-t-il.
  • Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait du vrai Zed ? je plaisante en plissant exagérément les yeux.
  • Je suis toujours moi. Je me suis juste dit que tu aimerais peut-être.

Il libère mes mains, hausse les épaules et esquisse un geste de retrait, comme s’il allait repartir dans sa chambre.

  • Oui ! je lance en saisissant son t-shirt, ma voix plus forte que ce que j’escomptais. Oui, ça me ferait plaisir, je reprends plus doucement.

Je lâche son t-shirt et l’aplanis doucement. Il sourit en coin, et ses yeux sont pleins d’une tendresse discrète. Je lui souris en retour et je me laisse juste aller, respirer dans la simplicité de ce moment : les sons de la pièce, la musique qui m’enveloppe, son souffle près de moi. Je sens son besoin d'être là dans chaque fibre de mon corps. Cette danse, c’est sa façon de me prouver qu’il tient à moi sans le dire, un moyen maladroit de s’excuser de m’avoir littéralement fermer la porte au nez la veille. Ses mains, fermes et sûres, me guident, et l’espoir en moi gonfle qu’il abandonne sa réserve et qu’il se laisse totalement aller.

  • Est-ce que c’est une façon de me dire que tu es disposé à parler ? je risque.
  • Non. On n’a pas besoin d’en parler.
  • Si. Il faut qu’on en parle. Il reste tellement de choses…
  • Maud, j’ai dit non, me coupe-t-il doucement.

Je le regarde longuement, cherchant à percer ce qui se cache derrière ce mur de silence, mais je n'y vois qu’une profonde mélancolie, une sorte de tristesse infinie. Il n’est pas fâché, il a peur. Je le ressens dans ses gestes, dans la façon dont il me tient encore, mais d’une manière plus tendue. Du bout des doigts, je caresse délicatement son visage.

  • Qu’est-ce qui te fait peur ? Parle-moi.
  • Je n’ai pas peur. Je ne veux juste pas en parler… parce que je ne veux pas en parler.
  • Je ne lâcherai pas l’affaire, Zed, je soupire.
  • Je sais.

Il appuie sa joue sur ma main et se détache de moi.

  • Je n’aurais pas dû te déranger. Tu étais en train de travailler… Je vais te laisser continuer. Si tu as besoin de quelque chose, je suis dans la chambre, conclut-il en tournant les talons.
  • J’ai besoin de toi.

Il s’arrête dans l’embrasure de la porte, son corps figé, puis se retourne lentement vers moi, les yeux remplis d’une foule d’émotions indéchiffrables.

  • J’ai besoin que tu me parles.

Je vois ses épaules s’affaisser légèrement, sa machoire se contracter avant de m’offrir un sourire contrit :

  • Je ne veux pas.

Nous nous défions du regard quelques secondes, je suis la première à céder.

  • J’ai encore des trucs à gérer pour le boulot. On verra ça plus tard. Merci pour la danse.
  • Quand tu veux.

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