Chapitre 15 - Partie 3

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Je suis au fond d’un trou.

Un puits sans paroi lisse, suintant d’humidité, creusé à même une terre grasse, grumeleuse, qui colle à ma peau. L’eau coule des parois, goutte à goutte, dans un rythme lent et inlassable. Je suis recroquevillée, les bras autour des jambes, nue, glacée jusqu’à l’os. Accroupie dans cette obscurité et cette saleté qui s’accroche à moi, comme une seconde peau. Mes cheveux sont trempés. Mes doigts fripés. J’essaie de respirer par la bouche pour ne pas sentir, mais c’est pire. L’odeur est partout.

Une remontée âcre : javel et chlore, comme dans les piscines d’enfance, mélangée à une note rance, plus organique, marine. Poisson, peut-être. Ou autre chose. Quelque chose de plus ancien. Quelque chose qui fermente.

Au-dessus de moi, je vois les étoiles et la lune, dans un ciel où la nuit règne éternellement. Je suis seule. Mais parfois, une silhouette se détache dans la lueur de la lune. La plupart du temps elle m’ignore et ne fait que me regarder. Parfois, elle me hait. Et me punit. Sans autre raison que le plaisir de le faire.

Aujourd’hui elle ne dit rien. Et puis ça me tombe dessus : l’eau glaciale. Mordante. Le choc m’arrache un cri. Je me recroqueville car je sais ce qui va suivre. Une autre salve dégringole du ciel. Bouillante cette fois. Je serre les dents, mords ma langue pour rester muette. La silhouette se penche un peu. Elle parle d’une voix lente, presque douce.

  • Voilà. Tu sais bien qu’il faut te taire.

Un nouveau seau. Des déchets, cette fois. L’odeur de moisissure tapisse ma gorge.

  • N’oublie pas pourquoi tu es là, reprend la voix. Tu n’es qu’un trou. Sale. Inutile.

Je ferme les yeux. Je voudrais remonter, hurler, disparaître. Mais je suis figée. Prisonnière. Le mot tourne dans ma tête, trou, trou, trou.

  • Allez… Ouvre grand, que je te remplisse ! Avale tout.

Ses intonations sont calmes. Mielleuse. Presque affectueuse. Un murmure que je sens vibrer jusqu’à l’intérieur de mes dents. Je sens un autre seau se vider sur moi. Quelque chose de pâteux cette fois, de gluant. L’odeur est plus forte. Plus lourde. J’ai envie de vomir.

  • Regarde-toi… Tu es faite pour ça.

Je sens le niveau du liquide dans lequel je patauge remonter lentement en moi. Visqueux. Immonde. Et je réalise qu’il a raison. Je ne suis pas au fond d’un trou. Je suis le trou. Et il me remplit. Chaque fois qu’il en a envie. Parce qu’il sait qu’il le peut.

Et chaque fois qu’il le fait, il me hait un peu plus. Et moi, je nous hais plus encore.

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