Chapitre 16 - Partie 4

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Une main se pose sur mon épaule et tout explose. Mon cœur s’emballe, je bondis comme si on m’avait frappée, renversant la table basse, mon ordinateur et ma boisson dans un fracas absurde. Passé le choc du réveil, je découvre Zed, abasourdi au-dessus de moi, puis mon regard glisse vers le désastre : le verre brisé scintille au soleil, le liquide sucré s’étale sur les dalles, coule lentement jusqu’à mon ordinateur échoué quelques mètres plus loin. Un élan de honte me prend à la gorge. Je me penche aussitôt, mains tremblantes, pour tenter de réparer ce que je viens de faire : ramasser les morceaux de verre, redresser le mobilier, contenir le chaos - comme si je pouvais effacer la violence de mon sursaut.

  • Oh merde, merde, merde.

Du coin de l'œil, j’aperçois Jona, déjà accroupi à côté de moi, m’aidant à rassembler les débris dispersés sur le sol, calme, les gestes précis. Il recueille les fragments épars sans dire un mot, puis me tend un vieux cendrier pour les y déposer. Son regard n’est ni agacé ni curieux, simplement attentif, comme s’il devinait que les mots seraient de trop.

  • Je suis tellement désolée. Je rembourserai le verre et les dégâts de la table, je lui assure.
  • Non ti preoccupi. Tu n’es pas blessée ?
  • Non, tout va bien, dis-je après une brève inspection.

Quand Jona part jeter les restes de mon verre à la poubelle, je me tourne vers Zed, toujours debout, toujours figé. Il me semble si jeune tout à coup, si fragile dans cette hésitation silencieuse.

  • Zed ? Je ne t’ai pas fait mal ?
  • Moi, ça va, souffle-t-il. Je… Je voulais juste te demander les clés de l’appart.
  • Oh. Oui, oui, bien sûr. Les voilà.

Alors que je les lui tends, il s’agenouille et pose une main tremblante sur la mienne. Ses yeux cherchent une réponse, comme s’il attendait une sentence.

  • Tu es sûre que tout va bien ? Est-ce que… Est-ce que c’est moi qui…

Il croit que c’est sa faute.

  • Non, je le coupe en posant une main sur sa joue, parce que son inquiétude me serre plus que ma propre panique. C’était juste un cauchemar. Ça va. Je ne voulais pas te faire peur.

Et puis ses bras se referment autour de moi. J’ai la gorge encore nouée, les nerfs à vif, mais je m’abandonne à cette étreinte comme à une planche de salut. Il ne m’a pas enlacée ainsi depuis… “avant”. Il respire contre moi, son odeur me revient en plein cœur. Ses lèvres se posent sur ma tempe et je pourrais pleurer de joie. C’est cet aspect de notre relation que je tiens à garder, à prolonger, à renforcer - celle qui me fait me sentir entière, vivante, vue.

  • Je vais rentrer, murmure-t-il dans mes cheveux.

J’acquiesce silencieusement et il me relâche, prenant mes mains dans les siennes. Il les embrasse, se lève et part. Je reste là, les mains vides, assaillie de questions — cette étreinte était-elle un pas en avant ou un simple retour au calme ? Dois-je y voir un signe encourageant ? — mais surtout, le cœur encore trop plein de cette révélation : je suis attachée à Nate, mais c'est Zed que je veux depuis le premier jour, et j’ignore comment l’en convaincre, ni comment l’amener à croire en un “nous” plus grand.

Je me relève lentement, les gestes encore engourdis, comme si chaque mouvement nécessitait une autorisation que mon corps hésite à accorder. Autour de moi, le monde a repris sa place — les tables, les voix, le cliquetis des verres et les allées et venues du service — mais à l’intérieur, quelque chose reste suspendu, ébréché. Je repositionne la table basse et récupère mon ordinateur. Le couvercle est recouvert de thé et j’espère que le choc ne l’a pas trop abîmé, qu’il fonctionne malgré tout.

  • Ton nouveau thé glacé, dit Jona en le posant devant moi. Je t’ai ramené des serviettes aussi…
  • Merci, dis-je en commençant à éponger les gouttes collées à mon clavier. Est-ce que tu penses que je peux commander à manger ? Si le chef est déjà parti… laisse tomber.
  • Je suis sûr qu’il nous reste quelque chose. Qu’est-ce qui te fait envie ?
  • Une salade, une planche… N’importe quoi qui soit déjà fait. Je veux pas abuser.

Il m’adresse ce demi-sourire tranquille qu’il a toujours, celui qui dit “ça va aller”, sans jamais le prononcer à voix haute.

  • Très bien. Je vais voir ce que je trouve.

Il s’éloigne sans bruit, et je me retrouve à nouveau seule, face à mon ordinateur désormais sec. J’hésite, puis l’ouvre, le souffle un peu suspendu. L’écran s’allume sans protester, et un soupir de soulagement glisse hors de moi. Une notification attire mon attention.


Yo !

Juste un mot pour te dire que Damien a adoré ta suggestion pour le jeu de mots. Il trouve ça malin et fidèle au ton du message original. Il veut publier les deux versions en même temps. Et tu sais quoi, il veut même te créditer pour te remercier publiquement ! Franchement, c’est du super taf. Tu peux être fière !

Théo


Les mots coulent en moi comme un baume lent, diffus. Tu peux être fière. Ça paraît si simple, dit comme ça, mais dans ma poitrine, ça prend une ampleur démesurée. Comme si ce mail, presque anodin, venait recoller quelque chose de fêlé. J’appuie sur "archiver" puis change d’avis et le glisse dans mon dossier “garder précieusement”, là où je range les “boosters” pour les jours de creux.

Quelques minutes passent. Je m’efforce de me plonger dans mon autre projet - le roman historique -, d’analyser les nuances du texte, mais mon regard glisse sans cesse vers cette tâche sombre sur la terrasse. Cette preuve de ma faiblesse.

Jona revient avec un plateau : une planche apéro improvisée, une salade colorée dans un bol tout aussi bariolé. Il les dispose devant moi avec soin.

  • Beaucoup de travail aujourd’hui ?
  • Pas plus que d’habitude, je souris.
  • Je peux m’asseoir ? demande-t-il, en désignant la chaise vide à ma droite. Il n’y a pas beaucoup de clients.

Je referme doucement mon ordinateur, prend une gorgée de thé et un morceau de fromage.

  • Bien sûr.

Il s’installe sans bruit, croise les jambes, le regard posé sur moi sans insistance, mais pas tout à fait neutre non plus. Il semble réfléchir à la bonne manière d’aborder ce qu’il a sur le bout de la langue.

  • Alors ? C’est quoi l’histoire ?
  • C’est passionnant. Ça parle de luttes de classe, de destins croisés…
  • Non, rit-il. Avec Cédric.
  • Oh. C’est… compliqué, je soupire.
  • J’ai cru comprendre…
  • Tu veux vraiment tout savoir ?

Il s’enfonce dans son fauteuil, prenant une expression exagérément sérieuse.

  • Eccome !
  • Moi aussi, lance tout à coup la voix de Daphnée qui s’approche, hésitante mais déterminée. Désolée pour tout à l’heure. Apparemment je ne sais pas tout. Et il faut que je comprenne.
  • Bon…

Et je commence à raconter.

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