Chapitre 17 - Partie 1

6 minutes de lecture

  • Franchement je te comprends pas. Pourquoi tu ne lâches pas l’affaire ? m’interroge Daphnée, une fois mon récit terminé. Pourquoi t’entêter alors que tu as un fiancé à tes pieds ?
  • Techniquement, je ne suis plus vraiment fiancée.
  • “Techniquement”, je n’ai aucun scrupules à te mettre mon pied au cul. Ne joue pas sur les mots.
  • Je ne suis plus avec Nate. Notre relation va droit dans le mur. Je ne peux plus prétendre le contraire. Mais je ne peux pas juste mettre fin à trois ans de relation par téléphone. Je serai la pire des connasses. Ce qui est sûr, c’est que je sais ce que je veux. Si Zed - “Cédric” chuchote Jona à l’intention de Daphnée - s’autorisait à essayer… Je sais que c’est tordu mais je me dis que Nate ne souffrira pas “pour rien”.

Daphnée croise les bras, ses yeux plissés fixés sur moi.

  • Et Cédric dans tout ça ? Sa douleur à lui ?
  • Zed souffre déjà. Et tu le sais très bien, je souligne. Si je disparais purement et simplement de leur vie à tous les deux, ça ne changera rien de ce côté là.
  • Ok, capitule-t-elle. Vous êtes aussi bornés l’un que l’autre, ça peut marcher.
  • Moi, je pense que tu devrais plutôt t’amuser, lance Jona, son accent italien adoucissant ses paroles.

Daphnée lève les yeux au ciel et lui donne une petite tape sur la nuque. Je sursaute intérieurement : ils se connaissent depuis des années, mais ça reste son patron.

  • Ça, c’est la pire idée de merde du siècle !
  • M’amuser ?
  • Oui, pourquoi pas ? poursuit Jona en ignorant Daphnée. Tu as la liberté maintenant. Si lui ne veut pas de toi, prends du bon temps ailleurs, avec quelqu’un d’autre.
  • Euh… Venir ici c’était pas pour prendre du bon temps. Et même si je n’étais pas venue pour lui, ce genre de truc ne me traverserait même pas l’esprit.

Je vois une forme de respect dans le regard de Daphnée, signe que j’ai gagné des points sans même le chercher.

  • Ah non ? creuse Jona.
  • Non.
  • Allez… Tu sais aussi bien que moi qu’un bon coup, ça détend. Après ça, on a les idées plus claires. Et puis, c’est bon.
  • Abruti ! souffle Daphnée en secouant la tête.
  • J’en doute pas, je réponds, neutre.

Il me regarde d’un air suspicieux et se penche légèrement vers moi avant de murmurer :

  • You’ve never done that before ? One night stands, I mean ?
  • Nope. C’est pas mon truc. Je ne comprends même pas comment les gens peuvent avoir des relations si intimes comme si c’était une partie de tennis… Je veux dire, c’est un moment privilégié. Je déteste l’idée même que n’importe qui puisse avoir accès à mon corps. Je ne pourrais pas faire ça. Je ne suis pas comme ça.
  • Fair enough.

Il se recule avec lenteur dans son siège, avant de croiser les bras. Il m’examine en silence, longuement, ses yeux scannant mon corps et mon visage, comme s’il cherchait à comprendre quelque chose. Son regard se pose furtivement sur Daphnée avant de revenir vers moi en souriant. Je sens mes joues s’échauffer.

Pourquoi me fixe-t-il comme ça ?

  • And how would you feel about faking it ?

Daphnée arque un sourcil et intervient immédiatement :

  • Faking quoi, exactement ?
  • Est-ce que tu pourrais faire semblant d’être comme ça ? continue Jona sans se laisser distraire.
  • Je ne comprends pas.
  • De ce que j’ai vu ces derniers jours, Cédric te veut, explique Jona en me regardant. Mais pour lui, tu es toujours engagée à son frère.
  • J’aurais beau lui dire que non, il s’obstinera. Et je ne peux pas vraiment agir. Il a menacé de ne plus jamais me parler si je tentais le moindre truc avec lui ! Tout à l’heure, j’ai simplement dansé et ça l’a mis en rogne alors…
  • Alors il faut qu’on te montre sous un autre angle. Il faut que tu lui donnes encore plus envie. Que tu lui fasses réaliser ce qu’il rate. Parce que, crois-moi, il rate, ajoute-t-il avec un clin d’oeil.

Je détourne le regard, un peu perdue, cherchant une réponse silencieuse auprès de Daphnée. Elle le fixe avec un mélange de curiosité et de scepticisme qui ne m’aide pas.

  • Sors le grand jeu, continue-t-il. Lâche-toi, montre-toi avec un autre et tu verras qu’il réagira.
  • Je n’ai pas vraiment envie de me faire tripoter par un inconnu…
  • Et moi ? Je suis un inconnu ?
  • Plutôt oui, je confirme avec un sourire contrit et gêné.

Il s’esclaffe doucement, mais son regard reste sérieux.

  • OK. Je te promets que je fais ça pour t’aider. Tu es très sexy mais je n’ai aucune envie de forcer la main. Allora, comment est-ce que je peux te rassurer ?

Cette conversation est totalement surréaliste. Je m’efforce de faire appel à mon côté raisonné. Comment me protéger ? Je pense à toutes les situations où j’ai appelé à l’aide sans être crue : il me faut des preuves.

  • Il y a des caméras dans le bar ?
  • Ovviamente !
  • Parfait. Dans ce cas, il nous faut un contrat.
  • Che cosa ?
  • Un contrat. Et un enregistrement continu de toute la soirée. Si on notifie par écrit ce que tu peux faire ou non et qu’on a un rapport vidéo détaillé de tout ce qui aura été fait, je marche. Et si tu tentes un truc qui n’a pas été validé au préalable, je te fais un procès.

Il reste bouche bée un instant, avant de rire franchement, comme si cette réponse l’amusait autant qu’elle l’impressionnait.

  • Davvero? Bene, faisons comme ça ! Je suis off demain, on ira faire les boutiques ! dit-il en se frottant les mains.
  • C’est complètement dingue, soupire Daphnée en se frottant les tempes. Bon, OK, ajoute-t-elle en posant ses mains sur ses hanches, résolue. Je marche. Voilà ce qu’on va faire : toi, dit-elle en me désignant, tu gères ton histoire de contrat pour demain; toi, poursuit-elle en pointant Jona, tu l’emmènes acheter ce qu’il faut pour que Cédric la remarque; et moi, comme je bosse, je garderai un oeil sur tout ça pendant la soirée.

Je suis abasourdie de l’aplomb avec lequel elle prend les commandes, la façon dont elle s’adresse à son patron sans cligner des yeux. J’envie son autorité et son assurance. Je lui adresse un regard reconnaissant, un poids en moins sur la poitrine.

  • Merci, Daphnée.
  • Ne me remercie pas encore. Parce que je vous préviens : si tout ce manège finit par encore plus blesser Cédric, je vous défonce. Toi, dit-elle en pointant Jona, tu pourras désinstaller Tinder vu ce que je ferai de ta bite… Et toi, ajoute-t-elle dans ma direction, je te botterai tellement fort le cul que ça pourrait bien te ramener en France sans passer par la case avion. C’est clair ?
  • C’est noté.

Je me remets à manger, un peu plus calme maintenant que tout a été dit. Le silence retombe autour de la table, juste ponctué par le bruit de mes couverts contre le bol. Daphnée en profite pour consulter son téléphone.

  • Fin de la pause, boss ? demande-t-elle à Jona.

Il hoche la tête en se levant, mais reste un instant à côté de moi et sort son téléphone de sa poche.

  • On échange nos numéros ? Comme ça je t’écris demain matin pour qu’on se donne rendez-vous.
  • Bien sûr.

Je lui dicte mon numéro pendant qu’il le note.

  • Si tu n’as pas de mes nouvelles à 10h30, c’est que je dors, rit-il. N’hésite pas à venir frapper chez moi. C'est l'appart en face de chez Cédric.

Puis il retourne dans le bar, reprenant son rôle sans effort apparent, échangeant quelques mots avec les serveuses, encaissant les clients. Je ne sais pas exactement ce que je suis en train de déclencher, mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai le sentiment que quelque chose change.

Je termine mon bol sans me presser, puis file vers Jona pour payer mes consommations.

  • Tu rentres déjà ? demande-t-il, en haussant un sourcil, comme s’il espérait me voir traîner encore un peu.
  • Oui. Je suis épuisée. J’ai besoin de dormir si je veux survivre à demain.

Il hoche la tête avec un petit sourire.

  • Va te reposer, principessa. Demain, on attaque fort.

Je lui rends son sourire, soulagée qu’il ne cherche pas à insister.

Je traverse la salle, salue rapidement Daphnée d’un signe de tête, puis grimpe les escaliers menant à l’appartement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire YumiZi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0