Chapitre 18 - Partie 1
L’horloge du salon frôle les dix heures. Je tends la main vers mon téléphone, posé sur un des accoudoirs du canapé, l’écran s’allume : aucune notification.
Je me redresse alors doucement pour m’habiller, le corps encore un peu engourdi, comme suspendu entre l’envie de rester à paresser et le besoin de me remettre en mouvement. Le tissu léger de mon t-shirt glisse sur ma peau, froissé, presque indifférent. Mes doigts trouvent le bord de mon short en jean, frais au contact de mes cuisses nues, un contraste piquant avec la chaleur qui coule encore en moi.
Je brosse mes cheveux à la va-vite, ramasse mon sac et enfile mes chaussures. Dans la cuisine, je me lance à la recherche d’un post-it et d’un stylo afin de laisser à mon tour un message à Zed.
Je serai avec Jona toute la journée. Je passerai au bar ce soir pour récupérer les clés.
- M
Je m’approche de la porte, la main hésite un instant sur la poignée, puis tourne avec douceur. Je jette un dernier regard vers la chambre d’où aucun bruit ne filtre, aucun signe d’éveil. Je referme derrière moi sans un bruit, descends au petit magasin en bas de la rue et achète de quoi faire un petit déjeuner avec Jona.
Je prends ce que je trouve : deux yaourts grecs, un sachet de pain brioché sous plastique, quelques abricots un peu trop mûrs, et un petit pot de miel local, presque poussiéreux sur l’étagère. Ce n’est pas grand-chose, mais j’espère que ça lui plaira, que ça excusera le temps qu’il est prêt à m’accorder dans cette entreprise folle qu’est devenue la séduction de Zed.
Mes achats terminés, je remonte lentement l’escalier. Le sac plastique cogne doucement contre ma jambe, les abricots roulent un peu. Devant la porte de Jona, je m’arrête une seconde, jette un œil à mon téléphone : dix heures trente-trois, aucun nouveau message. Je frappe, trois coups légers, presque timides et j’attends, en retenant mon souffle.
Derrière la porte j’entends des bruits feutrés : le grincement d’une porte, des pas nonchalants, puis la porte s’ouvre.
Jona se tient là, nu comme un ver, ou presque. Il tient contre lui un coussin du canapé, rectangle de velours bleu canard qui, par miracle ou maîtrise, masque l’essentiel. Tout le reste de sa peau cuivrée est à découvert : de ses cheveux soigneusement décoiffés jusqu’au bout de ses orteils. Ses yeux sont encore ourlés de sommeil, mais son sourire, lui, est déjà parfaitement en place — charmeur, moqueur, insolent.
- Buon giorno principessa.
Je reste plantée là, sac plastique à la main, incapable de bouger et puis le caractère érotique de la situation me rattrape.
- Oh, merde, je m’écrie en détournant le regard. Pourquoi t’es à poil ?
- J’allais pas te faire attendre.
- Et si ça avait été quelqu’un d’autre ? Un livreur par exemple ?
- J’aurais gentiment fait tomber le coussin pour prendre le colis, et qui sait, peut-être aussi le livreur, plaisante-t-il.
Je lève les yeux au ciel et il s’écarte pour me laisser entrer, toujours fidèle au coussin, toujours nu. L’image est absurde, mais je crois que c’est précisément ce qu’il veut. Je passe, le frôle, essaie de ne pas trop fixer son torse — il est sec, lisse, sans poil, trop parfait pour être pris au sérieux.
- Je t’ai apporté le petit dej.
- Tu sais parler aux hommes.
L’appartement ressemble beaucoup à celui de Zed, construit en miroir, avec une pièce en plus apparemment. Il referme derrière moi, passe derrière le comptoir de la cuisine et envoie le coussin jusque sur le canapé.
- Tu comptes t’habiller, j’espère ?
Et laver ce pauvre coussin…
Il me regarde, lève un sourcil, et sourit franchement. Il repasse dans le salon, me forçant à me tourner à nouveau - comme si c’était moi qui était indécente -, puis s’éloigne nu vers la chambre, me lançant au passage :
- Fais comme chez toi.
Quand il revient, il arbore une chemise blanche, légèrement ouverte, en lin, roulée aux manches. Le tissu est si fluide qu’on dirait qu’il flotte autour de lui. Il a aussi enfilé un pantalon dans un beige clair, souple, parfaitement coupé. La teinte arrive à souligner à la fois son teint caramel et ses yeux clairs. Il a l’air de sortir d’un shooting pour un parfum hors de prix.
- Bon… Concrètement, c’est quoi le programme de la journée ? je demande.
- Faire de toi une arme de destruction massive.
Je roule des yeux, mais il y a quelque chose dans sa voix, cette conviction tranquille qui m’effraie un peu.
Jusqu’où est-ce que je suis prête à aller ?
Nous mangeons tranquillement, puis il débarrasse et disparaît une dernière fois dans la chambre pour mettre ses chaussures. Quand il revient, lunettes de soleil sur le nez, sac en toile à l’épaule, il a l’allure d’un vacancier professionnel.
Il me tient la porte, galant et moqueur à la fois. Pendant qu’il verrouille son appartement, mon regard glisse vers la porte d’en face, je me demande si Zed est réveillé, s’il a vu mon message, s’il peut nous entendre, s’il va surgir et me poser des questions.
Rien de tout cela ne se produit. Dans la cour extérieure, Jona s’enfonce dans une rue adjacente. Je lève les yeux vers la chambre de Zed : les volets sont toujours fermés, mais il pourrait très bien être parti se doucher.
- Veni ! Pas de temps à perdre !
Je serre un peu plus fort mon sac, puis m’engage à la suite de Jona dans la rue, décidée à ne pas me faire surprendre. Pas encore.
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