Chapitre 19 - Partie 2
Je lui rends son stylo. Il le glisse dans sa poche arrière, puis ajoute en se frottant les mains :
- Bene, il va être temps de passer à la transformation !
J’attrape ma sacoche, glisse les deux exemplaires signés à l’intérieur, puis me relève, un peu raide.
- Ouais… J’ai pas envie d’affronter Zed tout de suite, mais bon… Faut que j’aille me doucher.
Jona me regarde, l’air paisible, puis il désigne une porte au fond du salon :
- Sinon, il y a une salle de bain ici aussi.
- Oh. Euh… C’est… Un peu bizarre, non ?
- Maud, soupire-t-il, attendri. Contrat ou pas, j’aimerais bien que tu me fasses confiance. Je ne vais pas rentrer tant que tu es à l’intérieur.
- Je n’ai pas d’affaires propres, j’objecte. De sous-vêtements, je veux dire.
- Je peux aller t’en chercher.
Je grimace, franchement mal à l’aise à l’idée qu’il aille fouiller dans ma lingerie. Il lève les mains en l’air, dramatique.
- Je plaisante. Cédric ne va pas tarder à partir travailler. Il viendra forcément pour te donner les clés de chez lui. Tu pourras aller chercher tes affaires quand il sera parti.
- Ok, je capitule.
- Avanti ! File dans la douche !
Je souffle du nez, mi amusée, mi blasée, et je prends le chemin de la salle de bain. Je ferme derrière moi et inspecte la pièce. L’agencement est très proche de celle de Zed, quoiqu’un peu plus large, il y flotte une odeur sèche, boisée, discrète.
Je me déshabille lentement, consciente de chacun de mes gestes, comme si la lumière elle-même pesait un peu plus que d’habitude. Les vêtements tombent au sol dans un bruit doux, presque inaudible.
Jona toque à la porte alors que je viens d’ouvrir le robinet.
- Je te pose une serviette propre devant la porte, je l’entends dire à travers la cloison. Il y a du gel douche et du shampoing dans la cabine.
- Tu n’as pas du savon plutôt ? En dur ?
- Sur le lavabo.
Je compte silencieusement jusqu’à dix, peut-être vingt, avant d'entrouvrir la porte et de tendre la main. La serviette est là, soigneusement pliée, posée à distance respectueuse. Je la prends, referme aussitôt, la pose sur le lavabo et rentre dans la douche.
L’eau chaude dégringole sur ma peau avec un soulagement immédiat, mais je reste un long moment sans bouger, le front appuyé contre le carrelage, à laisser l’eau couler sans chercher à faire quoi que ce soit d’autre.
Le savon sent le citron industriel et le romarin, cette odeur inédite me fait prendre conscience de la transformation à venir. Je suis dans un corps que je prépare pour un rôle, je fabrique une version de moi qui n’existe pas encore, et qui n’existera probablement plus jamais après ce soir.
Les doutes m’assaillent : et si ça ne marchait pas ? Et si Zed restait indifférent ? S’il me regardait comme un personnage en arrière plan ?
Mon estomac se serre. J’essaie de chasser les images négatives, de me reconcentrer sur mes gestes, sur ma respiration, sur cette chorégraphie millimétrée qu’il va falloir exécuter sans trembler.
Je rince la mousse d’un geste lent, presque mécanique, reste encore un peu, le temps que l’eau commence à tiédir, puis je ferme le robinet. Je tends la main vers la serviette de Jona, m’y enroule comme dans une armure de coton, et souffle longuement, une seule fois, pour retrouver un semblant d’équilibre.
Je sors lentement de la salle de bain, les cheveux encore mouillés, l’air frais du salon contraste brutalement avec la chaleur vaporeuse que j’ai laissée derrière moi. Je cligne des yeux, comme si le monde extérieur était devenu un peu trop net.
Jona est toujours assis sur son canapé, sa tasse de café dans une main, son téléphone dans l’autre. Je prends soudain conscience de mon corps, de cette nudité dissimulée sous la serviette, de l’étrangeté d’être ici, dans un appartement qui n’est pas le mien, avec un homme que je connais à peine.
- J’espère que je vais pouvoir récupérer mes affaire rapidement, je marmonne.
- Quand tu veux. Cedric vient de passer me donner les clés, dit-il en me tendant le trousseau.
- Pendant que j’étais sous la douche ?
- Ouais. J’aurais aimé filmer sa tête quand je lui ai dit où tu étais.
Je secoue la tête en soupirant, mortifiée.
Dans quoi est-ce que je m’embarque ?
- Relax ! Ça va juste faire monter la tension, assure-t-il.
Je tends la main, attrape les clés sans le regarder, comme si le simple contact visuel risquait d’empirer ma gêne.
- Merci, je murmure.
Jona ne dit rien. Je crois qu’il a compris, ou qu’il choisit de faire semblant de ne rien voir, ce qui, pour l’instant, me va très bien.
Je me glisse vers la porte d’entrée, la serviette bien serrée sous les bras, pieds nus sur le parquet froid. Chaque pas me semble amplifié par le silence. J’ouvre doucement, jette un coup d’œil dans le couloir désert, puis m’éclipse comme une ombre.
Le carrelage du palier me glace les orteils. Postée devant la porte de l’appartement de Zed, je trouve rapidement la bonne clé. Le loquet cède dans un petit clic métallique et j’entre en retenant ma respiration.
Tout est exactement comme je l’ai laissé, dans ce flou spatial et sentimental.
Je me faufile dans la salle de bain où je récupère ma brosse, puis jusqu'à ma valise dont je sors ma culotte rouge, en dentelle fine. Sexy sans en faire trop. Je rabats mon bagage, repars aussitôt, sans bruit, sans même regarder autour de moi. Une fois dans le couloir, je referme doucement la porte à clé, puis retourne chez Jona d’un pas rapide, presque pressé de refermer ce moment suspendu.
De l'autre côté du palier, je retrouve Jona, debout près de la fenêtre, les bras croisés. Il me jette un regard en coin, puis sans commentaire, pointe sa chambre d’un mouvement du menton :
- Va te changer. Je prépare la suite.
Je hoche la tête, le cœur battant un peu plus vite que nécessaire, puis disparais dans la pièce. Je retire l'étiquette de la robe et m’habille maladroitement, mais sans précipitation, prenant le temps de lisser le tissu, de rectifier une manche, de me tenir droite. La robe est toujours aussi mince, proche de l'indécence : une vraie tenue de chasse.
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