Chapitre 23
Après des minutes tendues où chaque seconde comptait, une énième manche s’achève enfin, couronnée par notre victoire, et l’écran s’illumine du message tant attendu, décernant à Zed le titre de MVP. Il pousse un cri de triomphe, ce mélange d’excitation brute et d’enfant qui a gagné sa bataille, un éclat de joie pure qui emplit la pièce et semble faire vibrer le silence qui suivait l’intensité du combat.
- Et bam ! Qui c’est le patron ?
Je ne peux retenir un rire franc, né de sa spontanéité, puis je prends un instant pour m’étirer, sentir mes membres fatigués s’éveiller doucement, avant de me diriger vers lui.
Je m’approche lentement. Il ne se retourne pas, mais je sais qu’il sent ma présence, comme moi je sens la sienne même lorsqu’il n’est pas là. je viens glisser mes bras autour de lui, les passant au-dessus de ses épaules pour les nouer contre sa poitrine, et je me penche doucement pour poser mon corps au plus près du sien, mes seins effleurant l’arrière de sa tête, mon ventre contre son dos, et mes lèvres, sans préméditation, frôlant ses cheveux avec une tendresse contenue.
- Mon Vainqueur Personnel.
Il ne répond pas tout de suite, mais je sens la façon dont ses mains viennent chercher les miennes, s’y accrocher doucement, comme s’il voulait que je reste là, collée à lui, encore un peu. Il incline la tête vers l’arrière, doucement, jusqu’à ce que nos regards se croisent par-dessus son épaule.
- Le seul qu’il te faut.
Sa main remonte le long de mon bras, remonte jusqu’à mon coude, puis m’attire doucement vers lui. Il y a dans cet échange suspendu une tendresse qui me désarme, quelque chose de brut et de doux, comme une parenthèse entre deux respirations.
Quand nos visages se séparent, il garde ma main dans la sienne, ses doigts encore noués aux miens, comme s’il voulait prolonger ce moment, et il me lance, d’un ton à la fois joueur et sérieux :
- Tu veux refaire une partie ?
Je me redresse légèrement, juste assez pour poser un baiser furtif au coin de sa bouche, et je laisse échapper un soupir qui est presque un regret. Si je veux pouvoir continuer de profiter des bienfaits du sucre sur mon moral, il faut que j’en assume les conséquences.
- Non… Il faut vraiment que je fasse du sport. Hier j’ai rien fait du tout avec toute cette… mise en scène.
- On a fait du sport de chambre… Ça compte pas ? demande-t-il avec un sourire en coin.
- Mes fesses te dirait que non.
Je sens ses mains sur moi, insolentes, curieuses, audacieuses. Il se retourne un peu plus dans sa chaise et les glisse sur mes hanches, puis les laisse descendre lentement jusqu’à capturer mon postérieur, qu’il palpe sans retenue, l’air de mener une expertise très sérieuse.
- Moi je trouve qu’elles sont en pleine forme.
- T’es bête, je rigole. C’est parce que je bosse qu’elles le sont.
Puis, doucement mais avec détermination, je le repousse juste assez pour me dégager complètement, et je me dirige vers ma valise, en quête de ma tenue de sport. Je retire son t-shirt, presque à contrecoeur, le plie et le dépose soigneusement sur un des accoudoirs du canapé, enfile mes vêtements habituels.
La brassière glisse facilement sur ma peau, épouse ma poitrine avec justesse, avant que je ne passe le débardeur, léger, fluide, que je lisse machinalement sur mon ventre. Je fais passer le legging en tirant doucement sur la taille, un mouvement presque chorégraphié tant je le répète au quotidien, puis je me redresse, prête, les pieds ancrés au sol, déjà concentrée.
- Le débardeur et le leggin n’étaient pas obligatoires, bougonne-t-il.
Je lève les yeux au ciel en riant.
- Si je veux espérer faire du vrai sport, je crois bien que si.
J’attrape ma bouteille d’eau, puis, comme l’autre jour, je pousse la table basse contre le mur, dégageant l’espace nécessaire au centre du salon. Je commence à m’installer, concentrée, quand je l’entends derrière moi, faussement innocent, la voix teintée de cette ironie douce qu’il manie comme une seconde langue.
- Je peux venir avec toi ou je suis censé faire semblant de ne pas te regarder d’ici ?
Je me retourne sans précipitation, en gardant le sérieux juste ce qu’il faut sur le visage, même si mes yeux, eux, me trahissent immédiatement : une lueur moqueuse, presque insolente, mais teintée d’un enthousiasme que je ne cherche même plus à masquer.
- Ça dépend. Tu veux bosser… ou juste mater ?
Je sais que c’est une pique, une manière de faire comme si ce n’était qu’un jeu, mais en réalité, la question vaut pour moi aussi. L’idée de m’entraîner à côté de lui, de le voir bouger, transpirer, sentir la puissance tranquille de son corps juste là, à portée de souffle…Ce fantasme pourrait bien devenir réel et j’en suis déjà émoustillée, alors que je devrais être concentrée sur le fait de me maintenir en forme.
Heureusement, il me renvoie la balle, aussi vite que je l’attendais.
- Je peux faire les deux. Et toi ? ricane-t-il.
- Je serai sage… si tu l’es. Et t’as intérêt à l’être.
Il s’éloigne à son tour pour aller se changer, et pendant qu’il enfile un short, je lance la playlist — quelque chose de dynamique, sans paroles trop envahissantes, juste ce qu’il faut pour rythmer le corps sans voler l’attention. Le tapis se déplie à côté du mien. Je commence à m’échauffer, tranquillement, les épaules roulées, les bras souples, les articulations réveillées une à une. J’entends Zed s’étirer vaguement à côté, et ça me fait sourire, sans que je le montre. Il me demande ma routine, je n’en ai pas. Je fais les séries qui me paraissent juste sur le moment : du dynamique ou du gainage selon mes envies et mon énergie du jour.
Je ne sais pas ce qui me prend de vouloir commencer par des pompes, alors que je sais pertinemment qu’il est taillé dans un Y presque parfait, que son torse est une mécanique de précision et que ses bras, sans même forcer, peuvent supporter bien plus que les miens, même les jours où je me sens invincible. Peut-être qu’au fond, j’ai choisi cet exercice exprès, que c’est un reste de cette image, deux jours plus tôt, quand je l’ai surpris et que je veux retrouver ça : son corps droit, tendu par l’effort, chaque muscle vibrant dans la lumière du salon.
J’essaie de me caler sur son rythme, de ne pas lui laisser d’avance, de ne pas montrer que mes bras brûlent déjà sous l’effort, mais très vite je comprends que ce terrain n’est pas le mien. Lui avance avec une fluidité presque désinvolte, son corps parfaitement rodé, les épaules puissantes, les triceps qui se contractent et se relâchent comme des ressorts huilés. Il donne l’impression que la gravité n’a pas de prise sur lui, qu’elle s’écarte juste assez pour lui laisser le loisir d’enchaîner sans y penser. Moi, je lutte, je puise plus profond, je m’accroche à chaque mouvement, et même si je ne lâche rien tout de suite, je sais déjà que je ne tiendrai pas aussi longtemps.
À vingt-cinq, je sens mes appuis vaciller, mes bras protester, ma respiration se désaccorder, et je préfère m’avouer vaincue plutôt que de me tordre dans un sursaut d’orgueil. Je m’arrête, la poitrine haletante, les coudes tremblants, les mains à plat sur le tapis encore tiède.
- Déjà fatiguée ? ricane-t-il. C’est trop facile ta routine.
Il continue, imperturbable, pendant que je m’assois sur mes talons, les avant-bras engourdis, un peu vexée par sa pique, déjà à la recherche du prochain exercice, où je suis bien décidée à l’emporter. Je le laisse terminer sa démonstration de force puis propose du gainage en planche, tout y est question d’équilibre, de maîtrise, de tension fine et de souffle contenu.
Quand je me mets en place, je sens son regard peser sur moi, un jugement tranquille, une assurance légère, comme s’il me voyait comme une décoration agréable dans son salon à admirer durant son entrainement, pas un adversaire digne de ce nom.
Le gainage, ce n’est pas une question de force brute, mais de discipline intérieure, de présence à soi. Je vais l'écraser.
J’aligne mon corps, je verrouille, je respire, je me fonds dans le silence. Mes muscles deviennent une seule et même ligne, un point d’ancrage entre le sol et l’air, et je sens, sans le voir, que Zed lutte davantage que moi, que la stabilité lui coûte, que ses muscles s’accrochent pour ne pas céder. Et ce changement dans le rapport de force me plaît, alors je tiens, facilement, boostée par l’orgueil de le savoir flancher en premier.
Cette première victoire me rend encore plus audacieuse, je le challenge sur les squats, ce mouvement que je pourrais exécuter les yeux fermés, tant mes jambes savent déjà ce qu’elles ont à faire. Mes pieds bien ancrés, mon dos droit, mes hanches qui descendent, remontent, retrouvent leur axe.
Je me fonds dans la répétition, le monde devient rythme, souffle, battement de cœur. Les rôles sont inversés par rapport aux pompes : Zed se cale sur moi mais je sens qu’il force, sa respiration se fait plus lourde, ses gestes plus crispés; moi, je glisse, à mesure que les répétitions s’enchaînent, je sens la fatigue me frôler sans jamais m’engloutir, et je sais qu’il regarde, qu’il voit. Il ne dit rien mais je perçois dans son souffle, dans la tension de ses gestes, ce mélange d’admiration et de lutte qui le traverse.
- Ok, c’est bon t’as gagné ! souffle-t-il, après cinquante répétitions, à bout. T’as un cul en béton.
Je ris, fière et flattée, sans cesser le mouvement et je décide de lui accorder une certaine égalité : nous ne sommes pas bâtis de la même manière.
- Chacun ses atouts…
On enchaîne avec des burpees, et pour la première fois depuis le début, nos corps s'accordent vraiment, dans une égalité brutale et vibrante, comme deux pulsations frappant au même rythme. Le mouvement nous avale tout entiers, nous secoue de l'intérieur, nous pousse au bord de cette ligne trouble où la fatigue devient une transe, une forme de lucidité nue.
Aucun de nous ne prend l’ascendant, et étrangement, c’est dans cet équilibre-là que je me sens le plus proche de lui, comme si ce que nous construisions ensemble ne se jouait pas dans la performance, mais dans cette respiration commune.
Puis, me rappelant avoir vu une barre dans son armoire, je propose des tractions et là, je ne me fais aucune illusion, je sais ce qui m’attend, ce que je vais voir - ce que je veux voir. Ses bras qui se tendent et se plient avec cette fluidité parfaite, son dos qui ondule sous sa peau, ses épaules, larges, puissantes, dessinées, comme pour me rappeler tout ce que je ne peux pas faire - et tout ce qu’il peut me faire.
Les fentes arrivent, et c’est à nouveau à mon tour de briller, même si ma performance n’a rien d’aussi spectaculaire que son numéro de voltige. Tout se joue dans les détails : mon centre est plus stable, mes appuis plus nets, mes gestes plus fluides. Je perçois sa difficulté à suivre mon tempo dans la crispation de sa mâchoire, dans les écarts de son souffle, dans la façon dont son regard accroche le sol de plus en plus souvent, dans cette demi-seconde de retard qu’il a sur moi.
Nous enchaînons les exercices, les victoires, les défaites, sans un mot de trop, sans rien forcer, il se passe quelque chose entre nous — une vibration ténue mais tenace, un fil de chaleur suspendu entre deux souffles, entre deux regards furtifs. C’est une conversation qui n’a pas besoin de phrases, un échange brut et sincère, une reconnaissance mutuelle qui se glisse dans les pauses entre les séries, dans les rictus fatigués, dans le frôlement de nos ombres au sol.
Après une heure, il prend mon visage dans ses mains, m’embrasse furtivement et s’allonge sur le sol, les bras en croix, trempés, épuisés. Je le rejoins sans hésiter, tout aussi fatiguée et haletante.
- Alors ? Pas si facile ma routine, finalement, je jubile entre deux respirations.
Son rire chaud et lumineux s’élève dans la pièce, couvrant la techno battante.
- Non. Mais il faut que je te fasse tester la mienne.
- Vendu !
Nous nous étirons enfin, et il y a quelque chose dans ce moment de plus intime encore que tout ce qui a précédé, peut-être parce que l’effort s’efface et qu’il ne reste plus que nos corps, proches, exposés, vulnérables.
Je m'assois, jambes tendues, penche le buste en avant, attrape mes talons sans difficulté, tandis que Zed me jette un œil sceptique. Il essaie de m’imiter, tend ses jambes, se plie un peu en avant, puis grogne, comme si son corps venait de heurter un mur invisible.
- En quoi tu es faite, sérieux ? C’est pas naturel de pouvoir faire ça…
Je me tourne vers lui, amusée, et me redresse.
- Je vais t’aider.
Il hésite nu instant, par fierté masculine, sans doute, puis se laisse faire. Je passe derrière lui, cale mes mains dans son dos, le pousse légèrement en avant. Il inspire et expire à un rythme régulier mais profond, plus grave.
- Vas-y doucement, j’aimerais bien rester en un seul morceau.
- Être musclé, c’est bien… Être souple, ça compte aussi, mon chou, je le taquine en posant un baiser dans sa nuque trempée.
- Je suis pas très “souple”, moi. Je préfère les potages.
Il rit, fier de sa blague, de ce jeu de mot absurde, sorti de nulle part entre “soupe” et “souple”.
- Tu me fatigues, je soupire en souriant.
- Tu m’adores.
- Heureusement pour toi, les deux ne sont pas incompatibles.
Je le relâche avec douceur et nous continuons nos étirements, parfois seuls, parfois l’un contre l’autre, dans ce parfait mélange de tendresse et d’asticotage.
- Il est quelle heure ? demande-t-il lorsqu’on s’arrête, les yeux à demi clos, allongé sur le tapis comme une bête éreintée.
Je jette un œil à l’horloge.
- Seize heures trente.
- Douche et on mange ? suggère-t-il.
J’approuve avec un enthousiasme non dissimulé et me colle contre lui pour l’embrasser à nouveau. A peine mes lèvres effleurent-elles les siennes qu’il m’attire doucement contre lui, et je sens déjà ce basculement dans son corps, ce frémissement particulier qui dit “je te veux”. Ses doigts commencent à remonter sous mon débardeur, explorateurs trop sûrs d’eux, avides de retrouver un territoire déjà conquis. Une partie de moi a envie de céder, de m’oublier dans la douceur encore un peu moite de son étreinte, mais une autre résiste, lucide.
- Non, non, non ! Je pue ! Tu colles ! Pas de sexe avant que j’aie pris une douche !
Sa tête est un mélange parfait de surprise et d’amusement. Il n’a même pas l’air vexé, juste interloqué, comme s’il ne s’attendait pas à cette coupure nette, comme si la simple idée de repousser l’évidence lui échappait. J’en profite pour me dégager franchement, sans violence mais avec détermination. Il lève un sourcil, avec cette expression entre la facétie et la fausse indignation, et lâche dans un souffle :
- Ok, alors vas-y vite.
Je file vers la salle de bain, et à peine la porte refermée, je sens mon corps déjà réclamer le flot brûlant qui me délasse instantanément. Je m’y glisse sans tarder, mes muscles tirent encore un peu, mais c’est cette fatigue délicieuse, dense, vibrante, qui donne l’impression d’avoir vraiment existé dans son propre corps. Je savoure ce silence, ce repli tandis que l’eau emporte la sueur et les tensions.
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