Chapitre 25 - Partie 3
Je suis recroquevillée. Quelque part. Je ne vois rien. Il ne fait pas nuit, il fait noir. Et ça pue.
Je n’ose pas bouger. Je suis allongée, les bras serrés contre la poitrine, les jambes repliées. Ma peau colle de l’humidité froide ambiante.
Je colle mon dos au mur, comme si je pouvais y disparaître. L’air sent la rouille, la moisissure et quelque chose de plus âcre. Quelque chose que je connais. Le parfum d’une pièce mal lavée, d’un souffle trop proche. Je tends l’oreille. Plus attentive à moi qu’à ce qui m’entoure. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouger. Ne pas attirer l’attention.
Il y a une lumière là-bas. Mais je ne peux pas y aller. Parce que je suis faible. Et sale. Et nue. Si je sors, je risque qu’il me voit. Et je sais que s’il me voit, il me ramènera. Là où ça recommence. J’ai honte, mais plus que tout, j’ai peur. De rester. Et, étonnamment, de partir aussi. Je me méfie de ceux que je trouverai dehors.
Mais il faut que je parte. Je ne peux pas rester là. Alors je me lève. Je marche, à petits pas, bras croisés sur ma poitrine. Comme si mes bras pouvaient suffire à me couvrir. Je marche. Je ne sais pas où je vais. Juste… ailleurs. N’importe où sauf ici.
Et puis je tombe sur eux. Des gens. Normaux. Habillés. Ils marchent tranquillement, avec leurs téléphones, leurs rires… Puis, certains me voient. Mais personne ne s’arrête. D’abord ils me fixent. Un temps. Un battement de cœur. Puis leur regard change. Il glisse. Se rétracte. Se ferme.
La plupart détournent les yeux. Voire même reculent à mon approche. Je veux parler. M’expliquer. Leur dire que ce n’est pas ce qu’ils croient. Que je n’ai pas choisi. Mais ma voix se brise. C’est juste un râle, rauque et moche. Une plainte. Rien de clair. Rien d’humain.
Je tends une main vers eux. Ils s’éloignent. Me fuient. Alors je me regarde. Mes bras en sang. Mes cheveux en bataille. Mon corps sale. Je sens l’odeur de mon corps. Infecte. Et je comprends.
Bien sûr qu’ils me fuient. Ils voient ce que je suis. Un déchet vivant.
Et puis, je le vois au loin. Il m’a retrouvée. Il faut fuir. Je commence à courir. Et sa main s’abat sur mon bras.
Je me réveille en sursaut, paniquée, me débattant contre quelqu’un dans le noir.
- C’est moi. C’est moi, murmure la voix de Zed. Juste moi.
Il me prend dans ses bras et je le serre, sûrement trop fort à travers mes tremblements, mais il ne s’en plaint pas. Après quelques minutes, ma respiration retrouve un rythme normal.
Je suis en sécurité.
Il me câline, mais ne pose aucune question, présent sans être envahissant. Il est juste là, solide, apaisant, sa joue contre mes cheveux, son souffle calme à mes tempes.
- T’as déjà entendu parlé des rêves lucides ? demande-t-il tout à coup.
Je secoue la tête contre son torse, toujours trop bouleversée pour parler.
- J’ai lu ça quelque part. En gros, tu sais que t’es en train de rêver, explique-t-il. Et du coup, tu peux reprendre un peu le contrôle. Ou te réveiller. Je me disais que… peut-être… on pourrait glisser un truc dans tes rêves. Un signe. Un détail. Un truc qui n’existe pas dans la vraie vie. Et si tu le vois, tu sauras. Que t’es pas en danger. Que c’est un rêve. Que tu peux t’en sortir. Et que tu ne te bats pas seule. Même là-bas.
- Tu penses à quoi ?
- Ce n’est pas à moi de choisir, souffle-t-il. Ce doit être quelque chose qui vient de toi. Un symbole, une couleur, un objet… Un truc qui crie “ça, jamais je le verrai dans la vraie vie”. N'importe quoi qui te ramène là où tu te sens bien. À l’abri.
Personne ne m’a jamais proposé ça : une échappatoire, une ligne de vie. Et tout à coup, je réalise quelque chose. Mon meilleur ami, mes ex, Nate… J’ai vu l’inquiétude dans leurs yeux, subi les silences gênés des uns, entendu les conseils des autres sur comment éviter les rêves, comment me calmer une fois réveillée - boire une tisane avant de dormir, faire du yoga, respirer par le ventre… C’est la première fois qu’on me dit que je peux lutter pendant mes crises, que je n’ai pas à survivre et encaisser, mais que je peux bel et bien agir.
Zed ne se contente pas de me calmer ou de me consoler. Il ne cherche pas à camoufler les rêves, à les passer sous silence, ni à se délester du problème. Il veut m’armer, me laisse décider, me donne du pouvoir, moi qui en ai toujours été privée.
Où je me sens bien… ?
Ses bras, sa voix, son odeur : c’est lui mon refuge, c’est vers lui que j’irai instinctivement.
Je réfléchis quelques instants et propose :
- Un fil rouge autour de mon doigt ?
- Par exemple.
Je le visualise, imaginant qu’il me ramènera vers Zed, hors du monde onirique.
A condition que je vois effectivement ce lien… Je n’arrive pas à séparer ma voix du tremblement qui la précède, comme si la peur posait la question à ma place :
- Et si… si ça ne marche pas ?
- Alors, je serai là quand tu te réveilleras.
Des larmes de gratitude mêlées d’angoisse menacent de m’échapper, mais je les refoule. Je me colle encore plus contre lui et ferme les yeux, son souffle dans mes cheveux et, pour la première fois depuis longtemps, j’ai de l’espoir de ne plus subir mes nuits.
Je ne suis plus seule.
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