Chapitre 26 - Partie 3
Nous restons blottis l’un contre l’autre pendant quelques instants. Mes doigts tracent des cercles paresseux dans le creux de ses omoplates, comme pour imprimer ce moment dans sa peau. Il relève tout à coup la tête et je vois déjà dans ses yeux que la magie douce de cette torpeur va être rompue.
- Il faut qu’on se bouge, dit-il avec ce ton qui ne souffre pas la négociation.
- Hum… Pourquoi ? je bougonne, sincèrement réfractaire à l’idée de me lever.
- Parce que je t’enlève, déclare-t-il.
Quoi ?
La formulation me fait sourire malgré moi, mêlant surprise et curiosité. Je plisse les yeux, cherchant à percer l’ombre de mystère qu’il jette autour de ses mots.
- Comment ça ?
- Prends de l’eau, une serviette, un maillot, de la crème. On avale un petit déj, et on se casse.
Une petite étincelle d’enfance s’allume au creux de mon ventre et je le fixe, cette fois plus curieuse que surprise. Je tente d’avoir des informations mais il pose un doigt sur mes lèvres.
- Tu poses trop de questions pour quelqu’un qui est censée être en train de se faire kidnapper, affirme-t-il en embrassant le bout de mon nez.
Un rire me secoue, léger, presque incrédule, et je secoue la tête en un geste mêlé de tendresse et d’impatience.
- Ok…
Je laisse mon regard glisser sur son corps encore chaud, ses muscles doucement dessinés au-dessus de moi et ajoute :
- Mais tu ne me laisses vraiment pas beaucoup de marge de manœuvre, là.
- Tu veux dire que je dois te libérer avant de t’enlever ? plaisante-t-il.
- Je crains que oui
Il se dégage de moi avec cette lenteur feinte qui trahit son envie de rester là, collé à ma peau, puis s’écroule à mes côtés, le bras toujours posé sur mes hanches, comme pour prolonger l’instant.
Je m’extirpe du lit à contre-cœur et me perds dans sa penderie, l’esprit encore embrumé, mes gestes désordonnés formant une sorte de rituel matinal bancal — perturbé par ses menaces aussi absurdes que charmantes de m’enlever pour de bon, cordes à l’appui, si je ne me dépêche pas.
Je me lave en vitesse, m’habille sans trop réfléchir, et sors de la salle de bain. Il est dans la cuisine, déjà affairé, le petit déjeuner dressé à la hâte mais avec soin.
Je le fixe, comme si quelque chose m’échappait, un détail minuscule qui cloche, et puis je mets le doigt dessus : il porte un t-shirt blanc — enfin, blanc délavé, fatigué, mais blanc tout de même — et un short marron.
- Oh wow, tu as autre chose que du noir dans ta penderie ? je le taquine.
- Le noir c’est pour le taf. Si je me tâche, j’ai pas à me refarcir les boutiques. J’ai quelques couleurs là-dedans.
Je le regarde quelques secondes, déconcertée sans raison valable par ce t-shirt blanc qui semble presque déplacé sur lui, comme s’il s’était glissé par mégarde dans une version alternative de lui-même. Il tient à la main un sac, qui a l’air assez lourd et une nappe.
- Tu veux que je prenne quelque chose dans mon sac ?
- De l’eau. De la crème solaire. Et la nappe, si tu y tiens vraiment, répond-il, toujours mystérieux.
Je râle un peu, frustrée par le secret qu’il entretient, mais au fond, je savoure l’attente. Il y a quelque chose d’enivrant dans ce silence, dans le fait de ne rien savoir, d’avancer les yeux bandés avec lui comme guide.
Une fois le petit déjeuner avalé et la peau lustrée de crème solaire, il vérifie une dernière fois le contenu des sacs — sans rien dévoiler, évidemment -, puis nous quittons l’appartement, vers cette destination inconnue.
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