Chapitre 27 - Partie 1
Il fait bon dehors, l’air encore frais avant que la journée ne bascule dans la chaleur, les bruits sont étouffés, suspendus dans une sorte de calme flottant typique des fins de matinée. Je m’apprête à suivre Zed dans la rue, mais il bifurque immédiatement vers le bar. Devant, garée bien en évidence, trône la voiture de Jona.
Il a dû lui demander de l’emprunter. Je visualise la scène sans difficulté : Zed volontaire mais embarrassé et Jona bienveillant mais taquin; juste de quoi l’agacer un peu plus.
Il ouvre le coffre avec nonchalance, même s’il jette des regards un peu fou autour de lui - il espère sûrement ne pas croiser Jona - puis m’ouvre la portière avec une politesse goguenarde. Je monte sans protester, mais l’interrogation me trotte dans la tête comme une note dissonante dans une mélodie : jusqu’où va-t-on aller si on a besoin d’une voiture ?
Une fois installé, il sort son téléphone, le glisse dans le support aimanté du tableau de bord et lance un GPS. Il ne rentre aucun nom, juste des coordonnées, mais je repère le chiffre en bas de l’écran.
- Une heure trente quatre ? Mais tu m’emmènes où ? je rigole.
- Je pourrais te répondre “loin”, mais je crois que tu as déjà deviné.
Il démarre, le moteur ronronne doucement, presque sensuel dans cette ambiance encore feutrée. Nous sortons de la ville sans un mot, comme s’il s’agissait d’un pacte tacite — le silence comme rituel de passage, mais au bout d’un moment, je me lasse de le regarder conduire comme s’il traversait une ligne droite dans sa propre tête, imperturbable.
Je tourne la tête vers lui, l’étudie un instant, le profil calme, presque joueur, la main relâchée sur le levier de vitesse. Il savoure ce silence tendu, ce suspense qu’il orchestre avec soin.
- On va vers la mer ?
- On est sur une île. On va toujours plus ou moins vers la mer.
- Mais il y aura de l’eau vu que tu m’as dit de prendre un maillot.
- Ou alors je t’ai dit de le prendre pour brouiller les pistes…
- J’ai bien droit à un petit indice ? Minuscule ?
- Minuscule ? Hum… Oui. On ne va pas dans un endroit moche.
Je lève les yeux au ciel, croise les bras, vexée pour la forme. Nous quittons la ville, et peu à peu, le paysage se transforme : les immeubles se font rares, les arbres plus nombreux, l’air change imperceptiblement de texture. Je sens la fatigue de mes nuits trop courtes me rattraper, la chaleur m’engourdir, son odeur de soleil m'hypnotiser… tout me tire vers le sommeil.
***
Les combles aménagées de la maison de mes parents. Une fournaise en été. Un iceberg en hiver. Aux murs, des posters vieillis par le soleil. Des dessins d’enfant scotchés dans tous les sens. Sur les poutres et les barreaux de l’escalier. Des fleurs en papier multicolores disséminées aux quatres coins de la pièce. Et des guirlandes lumineuses en surnombre.
Une musique s’échappe d’un vieux poste. L’air sent la poussière de la moquette bariolée.
Je suis dans ma chambre. Enfin, nous. Ma version enfant. Et moi aujourd’hui. Comme le fantôme d’un évènement à venir.
Mini Maud est debout au milieu de la pièce. Elle danse sur une chanson étrangère, essayant tant bien que mal de suivre les paroles. La lumière est douce. Couleur pêche. Malgré le bruit ambiant, tout est calme.
Un peu trop. Alors elle descend l’escalier. J’essaie de l’arrêter. Mais, bien sûr, elle ne me voit pas. Elle ne sait pas. Le bois craque sous ses pas. Le plancher grince, lui aussi.
Et puis elle va vers sa chambre. Au fond du couloir. Parce qu’elle veut passer un bon moment. Lui proposer de passer du temps ensemble. Dans le jardin. Dans notre terrain de jeux favoris.
Je la dépasse. J’essaie de faire barrage.
- N’y va pas, je souffle. Si tu ouvres cette porte, tout change. Tu ne pourras plus revenir en arrière. Tu verras tout. Et tu vas nous faire souffrir.
Mais elle tend la main. Ses doigts effleurent la poignée. Elle ouvre.
Et elle voit.
Je vois.
Une fois de plus.
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