Chapitre 27 - Partie 3

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Quand je le retrouve, il est à moitié allongé sur la nappe qu’il a étendue un peu à l’écart, à l’ombre d’un arbre tordu. Dans ses mains, la petite bourse en cuir que je lui ai offerte deux Noëls plus tôt — son étui à dés, qu’il garde toujours sur lui comme d’autres ont des porte-bonheurs.

  • Tu veux jouer ? propose-t-il.
  • Aux dés ? Tu sais que tu vas perdre ?
  • Ça dépend à quoi on joue. Et de la mise.
  • Peu importe ce à quoi on joue, je garde mes vêtements, je préviens.
  • Ok. Alors une vérité, un gage… Tout est permis. Tant qu’on reste habillés. Ça te va ?
  • Ça marche. Quatre vingt-et-un ? On a des cailloux en guise de jetons.
  • Ou on peut jouer sans et passer aux enchères ?
  • Aussi. Dans tous les cas, je vais t’éclater.

Il me tend trois dés, un air cabotin dans les yeux. Je les fais rouler dans le creux de ma main, le plastique claque contre ma paume, le poids est familier, presque apaisant et je les jette. Un 5, un 3, et… un 2.

  • Pas fameux pour quelqu’un qui doit m’éclater, ricane-t-il.

Ah oui, vraiment ? Attends, mon chou, tu vas pleurer.

Je le fixe un instant, reprends les dés et dis, très posée :

  • Il me faut un 4 et un 1. Et c’est exactement ce que je vais faire.

Je les lance et les chiffres apparaissent, dociles.

  • Et voilà… Deux lancers. Essaie de faire mieux.

Il s’empare des cubes et les envoie sur la nappe, pour un résultat bien inférieur au mien. Je peux lui imposer un gage, ou une vérité.

  • Pourquoi tu t’es intéressé à la cuisine ? Je veux pas tomber dans les clichés, mais c’est plutôt un truc de fille…
  • J’ai quitté la maison assez vite, dit-il en haussant les épaules. Je voulais pas manger de la merde ou foutre en l’air mon argent dans des trucs à emporter… Je suis tombé sur un site qui donne des idées de plats avec les restes du frigo. Et puis, je sais pas… Ça m’a plu de jouer avec les odeurs et les saveurs. C’est comme les cocktails, mais avec du solide. Ça demande de réfléchir mais sans… penser, tu vois ?

J’acquiesce en silence.

Zed récupère les dés avec un air de revanche à peine voilé, il les fait aller dans sa main, concentré et les lance. Les dés ricochent sur le tissu de la nappe et s’arrêtent dans un frémissement léger : deux 6, un 4. S’il parvient à faire un autre 6, il faudra que je mette le paquet. Il le soulève avec délicatesse et le fait rouler. 6.

Merde.

Je saisis les dés, inspire à fond et lance à mon tour. Deux 1. Pas mal, si j’arrive à faire un autre 1 ou un 6, je l’emporte. Malheureusement c’est un 3 qui sort. Je regarde Zed, il jubile, sans honte. J’attends la sentence, préssentant un gage sexuel ou quelque chose s’en approchant, mais à la place il demande :

  • Un pays ou tu rêves d’aller ?
  • J’ai envie de dire la Grèce, mais… Mon rêve s’est déjà réalisé, je ris. Peut-être l’Italie dans ce cas, pour voir d’autres types de ruines. Paestum, Pompei…

Je gagne la manche suivante avec un 421 dès le premier lancer. Il m’envoie un regard accusateur en coin pendant que je récupère les dés.

  • Tu sais ce que tu veux faire après la Grèce ? C’est quoi tes plans ?

Il ne répond pas tout de suite. Il me regarde, les yeux un peu plissés par le soleil, puis tourne légèrement la tête comme s’il regardait loin devant lui, ou dans un futur qu’il n’a pas encore inventé.

  • J’ai jamais vraiment de plan. Je me laisse porter. Mais, je ne sais pas… Peut-être que je me renseignerai sur l’Italie.

Mon ventre se serre, sans prévenir, comme à chaque fois qu’il me prend par surprise — pas avec un geste ou une caresse, mais avec ça : ce fil tendu entre ce qu’il pense et ce qu’il me donne à entendre.

Il tourne la tête vers moi, doucement, et dans ses yeux je vois cette même chose que je ressens — ce feu tranquille qui crépite sous la surface. Ses mots restent en suspens dans l’air, comme un voile léger qui se pose entre nous. Il parle de son futur en fonction de moi.

Je crois que je rougis, un peu, à cause du calme de sa voix, de la façon dont ses yeux n’ont pas quitté les miens, de mon excitation soudaine et incontrôlable.

  • Pourquoi tu me regardes comme ça ? je souffle.
  • Je te regarde, c’est tout.
  • Tant que tu apprécies ce que tu vois…
  • C’est le cas, dit-il en me faisant un baise-main.

Il récupère les dés et les jette, rebondissent sur notre table improvisée, roulent un instant… et s'arrêtent : triple 1, du premier coup. Si je veux gagner, je dois à nouveau obtenir un score parfait en un lancer, et bien entendu, j’échoue.

Zed ne me lâche pas du regard. D’un geste lent, il attrape un dé et le fait tourner distraitement entre ses doigts, puis il s’approche, comme s’il ne supportait plus la distance infime entre nous. Il glisse un genou contre le mien, sans un mot, et penche la tête vers moi, très légèrement. Je m’attends à ce qu’il m’embrasse, mais il me surprend en dictant :

  • Va t’adosser à l’arbre, là. Mets les mains derrière le dos. Regarde vers les ruines.

Je lève un sourcil.

  • Pourquoi ?
  • Parce que c’est ton gage.

Je roule des yeux mais me lève en soupirant, un peu frustrée, mais bonne joueuse malgré moi. Je m’approche de l’arbre, me positionne comme demandé — les mains croisées derrière le dos, la tête tournée vers les pierres anciennes. La lumière passe entre les feuillages, douce sur ma joue. Un oiseau vient se poser sur le sommet du mur antique et je souris : le tableau est charmant, à la limite de la perfection.

Je l’entends se lever, mais je ne le regarde pas : je ne sais pas si je suis toujours sous le coup du gage. Lorsqu’il me rejoint, il se penche, effleure ma clavicule de ses lèvres, lentement, comme s’il cherchait à s'imprégner de chaque sillon de ma peau. Ses doigts tracent une ligne paresseuse le long de mon flanc, jusqu’à la taille de mon short, sans insister, juste de quoi m'électriser.

Je ferme les yeux un instant. Le vent joue dans les feuilles au-dessus de nous, mais je n’entends plus rien que son souffle et mes battements de cœur. Je me love un peu plus contre lui, souhaitant qu’il ne s’arrête jamais.

Il remonte doucement vers mon cou, y dépose un baiser un peu mouillé, puis il approche ses lèvres de mon oreille, sans précipitation :

  • J’ai tellement envie de toi maintenant…

Je m’accroche à sa nuque, me colle un peu plus contre lui tandis qu’il continue de jouer avec le creux de mon épaule. Je sens son érection naissante contre mon ventre, mon souffle s’emballe et je me cambre.

  • Je pourrais te prendre, là, tout de suite, marmonne-t-il dans mes cheveux.
  • Qu’est-ce que tu attends, alors ?

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