Chapitre 27 - Partie 5

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Nous restons un long moment enlacés, l’un contre l’autre, sans rien dire, écoutant nos respirations qui s’accordent. Le silence nous enveloppe, lourd et tendre, quand soudain mon ventre gronde, un râle doux et imprévu.

  • Pas besoin de demander si tu as faim, plaisante Zed.
  • De toute évidence…

Il sourit, ses mains quittent lentement ma peau brûlante, glissent avec douceur pour se défaire de moi. Nous nous redressons, récupérons nos vêtements éparpillés sur le sol, puis il sort du sac de quoi faire un nouveau pique nique, un peu plus consistant que notre petit déjeuner de l’autre jour.

Tandis qu’il installe les victuailles sur la couverture, un détail me frappe :

  • C’est marrant, il n’y a jamais de bière avec toi.
  • Tu en voudrais ? me demande-t-il avec une grimace à mi-chemin entre la surprise et le dégoût.
  • Non, beurk ! je rigole. Mais, reconnais que dans ta famille, c’est un peu LA boisson… J’ai même entendu ton père dire un jour “La bière, c’est pas de l’alcool.”, alors excuse-moi de trouver bizarre qu’il n’y en ait pas chez toi.
  • Je suis pas un grand fan. J’en bois avec eux plus par habitude sociale que par envie. C’est assez insipide. Surtout celles qu’ils boivent…
  • Je suis pas d’accord. ça a du goût. C’est juste que c’est infâme.

Il rit doucement et vient tapoter mon nez du bout de son doigt.

  • Maud, c’est pas avec ton expérience d’il y a deux jours au bar que tu peux essayer de rivaliser avec mon expertise en ce qui concerne l’alcool.
  • Je ne referais sûrement pas ça de si tôt, je marmonne en me souvenant de la brûlure acide dans mon estomac. Mais, c’était… incroyable. J’avais l’impression de ressentir tout en mille fois plus fort. Tu vois ce que je veux dire ?

Il me tend un morceau de fromage et acquiesce.

  • Je vois, oui. Et chez toi, c’est logique. Tu ressens tout beaucoup trop fort, rit-il. L’alcool ne fait qu’exacerber les émotions. Et franchement, toi, je te déconseille de boire si tu es triste. Ça sera pas beau à voir.
  • Je bois déjà pas de base… Pourquoi je voudrais boire en étant triste ?
  • Je sais que…

Il s’interrompt. Son regard se trouble à peine, mais je le vois : une ombre passe, furtive, comme un éclat de pensée trop lourd pour rester à la surface. Il cligne des yeux, baisse imperceptiblement la tête, et dans ce geste minuscule, quelque chose se ferme. Je ne sais pas ce qu’il a ravalé, mais je sens que ce n’est pas rien.

  • Y a des gens qui boivent pour oublier, reprend-il. Pour anesthésier. Y en a pour qui ça marche. Pas tout le temps. Pas longtemps.

Je me demande, un instant, ce qu’il a pu voir, lui, derrière son bar. Combien de regards noyés, de corps qui vacillent, de colères qui éclatent pour rien, ou pour tout, de silences vides ou pleins d’alcool ?

Il relève les yeux vers moi et son sourire revient, léger, simple, comme un soleil timide après la pluie :

  • Mais avec toi, y a aucune chance. Ça va juste amplifier le truc.

Il est toujours un peu mélancolique, mais il est revenu, et c’est tout ce qui compte.

Nous mangeons sans nous presser, profitant des rayons du soleil qui filtre entre les feuilles de l’arbre témoin de nos ébats.. Tout est doux, tranquille et reposant.

J’attrape mon téléphone et cadre sans trop réfléchir : les restes du repas, la nappe froissée, ses jambes croisées nonchalamment, les miettes dorées sur le tissu sombre, le reflet du soleil sur ses cheveux...

Il me regarde du coin de l’œil, vaguement amusé.

  • Tu fais quoi, là ?
  • Je veux un souvenir de ça. D’aujourd’hui. Et pas juste les ruines. Je veux une photo de nous.

Je crois qu’il ne mesure pas à quel point cette journée, cette surprise, est peut-être le plus beau cadeau qu’on m’ait jamais offert. Je m’approche de lui avec une délicatesse qui pourrait sembler timide, mais qui est en réalité une confidence silencieuse, un geste d’intimité suspendu dans l’air tiède de la fin d’après-midi, et quand il m’enlace, c’est tout un monde qui se referme autour de nous.

Je tends le téléphone, l’objectif braqué sur nous deux, mes doigts tremblant légèrement sous l’émotion d’une première fois — notre première vraie photo. Il grimace au premier essai, la troisième est parfaite, mais c’est la seconde qui reste ma préférée : nous nous embrassons, les yeux fermés, dans une douceur suspendue, un instant volé au temps. Ce n’est qu’en rouvrant les yeux que je remarque, à travers l’écran, qu’il fait un énorme doigt d’honneur à l’objectif — comme pour déjouer la romance avec sa malice habituelle. Je ris doucement, touchée par ce mélange de tendresse et d’espièglerie qui nous définit si bien.

Le soleil tape doucement, la lumière dorée caresse encore la couverture froissée où nous avons partagé ce repas sans prétention, et nous décidons de reprendre le 421, sans enjeu, juste pour le plaisir de lancer les dés et de laisser filer le temps dans ce cocon fragile.

Zed rit déjà en lançant les premiers dés, ses doigts agiles s'animent avec une aisance tranquille, et je sens cette légèreté entre nous, une pause bienvenue, comme si le monde extérieur pouvait bien attendre un instant de plus. Je le taquine sur ses pertes successives, il me répond avec un sourire en coin, complice, et la partie glisse doucement, rythmée par nos éclats de voix et le cliquetis des dés sur la nappe.

Lorsque la lumière commence à faiblir, nous rassemblons nos affaires, prêts à reprendre notre chemin en sens inverse. Zed attrape ma main au moment où je referme mon sac et me tire doucement vers lui.

  • Selon l’heure à laquelle on rentre, on peut passer par la plage. Histoire que tu n’aies pas pris ton maillot pour rien.
  • Pourquoi pas. On verra. On peut aussi commander à manger, se poser gentiment devant un film et ne rien faire.
  • Ou je peux te faire enfin un plat décent pendant que tu choisis un film. Mais pitié, pas Roméo et Juliette, me devance-t-il.
  • Hum… Tu sais que tu n’y couperas pas ? Un jour ou l’autre, tu devras céder, je ris.
  • Peut-être, mais pas ce soir.

Sur le chemin du retour, la lumière décline, teintant les collines d’or rose et de ombres allongées.

Arrivés à la voiture, je propose, un peu taquine, de prendre le volant pour changer, mais Zed secoue la tête avec un sourire. Il est sur les conducteurs occasionnels, pas moi.

Je me laisse une nouvelle fois entraîner, mon regard s’attardant sur la route qui se dessine devant nous, sur la musique qui s’échappe des hauts-parleurs. Nous ne parlons pas, je ne chante pas : la randonnée nous a vidés de notre énergie. Pourtant, dans cette fatigue douce, il y a aussi une chaleur réconfortante, celle d’un partage rare et précieux.

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