Chapitre 28 - Partie 3
Il se penche alors, sans prévenir, sans hésiter, sans demander, mais avec cette lenteur mesurée, presque cérémonielle, qui fait de chaque millimètre une attente insoutenable. Lorsque sa bouche atteint la mienne, c’est d’abord un souffle plus qu’un baiser, une pression si légère qu’elle pourrait s’effacer aussitôt, si je ne savais pas déjà que je vais y répondre. Mes doigts, avides, se faufilent contre sa nuque, l’attirant un peu plus contre moi, en ouvrant les lèvres avec ce besoin de le goûter.
Dans un mouvement lent, presque instinctif, je me redresse sur mes genoux, laisse mes jambes se replier de part et d’autre de ses hanches, et viens m’installer à califourchon sur lui, cherchant à me rapprocher encore, à réduire cette distance dérisoire qui nous sépare, à sentir tout son corps sous le mien. Il m’accueille sans un mot, ses mains remontent d’elles-mêmes sur mes cuisses, mes hanches, mes fesses nues, me pressent contre son sexe déjà dur, avec une fermeté qui m’électrise.
Nos gestes se précipitent, sans jamais perdre leur douceur — mes doigts glissent sur sa peau chaude, la parcourent à la recherche de cette tension que je devine sous sa respiration saccadée. Ses mains s'activent aussitôt, passionnées, sur mes flancs, mon dos, se faufilant sous le tissu qui me couvre encore, impatientes et précises.
Je sens la fraîcheur de l’air sur ma peau lorsque mon haut vole, quelque part entre les coussins, oublié sitôt qu’abandonné. La chaleur de ses bras se refermant autour de mon dos me consume, me donne envie de fondre en lui.
Ses mains s’attardent sur mon short, tâtonnent à la recherche de la ceinture de ficelle, un peu emmêlée. Je libère ses lèvres et m’incline en arrière pour lui faciliter la tâche, mais il plonge entre mes seins, sa bouche et sa langue caressant ma peau nue, sans cesser de lutter avec mon bas.
Je ferme les yeux, le corps et l’esprit tout entier vibrant sous ce contact à la fois tendre et enflammé. Il y a quelques jours encore, il se dérobait dès que je m’approchais trop, et maintenant, il se précipite vers moi, semble ne plus pouvoir se passer de mon contact.
Ses doigts triomphent de ma ceinture et je me redresse juste assez pour lui permettre de descendre le vêtement le long de mes cuisses. Mes mains cherchent à leur tour la ceinture de son propre bas — il se soulève un peu, juste ce qu’il faut, et en quelques gestes fébriles, tout disparaît entre nous. Plus rien ne nous sépare, sinon cette tension vive, vibrante, qu’il ne reste qu’à suivre jusqu’au bout.
Je me frotte contre lui, pressée de nous unir, le guide à l’aveugle en moi et déjà son souffle change, plus court, plus rugueux. Mes hanches trouvent d’elles-mêmes un rythme lent, profond, comme une danse ancienne que nos corps ont déjà apprise, mais qu’ils réinventent chaque fois. Chaque mouvement enfonce plus profondément ce besoin de lui, ce besoin de nous.
Je me perds dans cette danse, dans ce balancement souple et affamé, où tout s’accorde : sa bouche qui cherche la mienne, ses mains qui me guident sans jamais m’entraver, son souffle qui s’accélère au rythme du mien. Je l’entends murmurer mon prénom entre deux soupirs, je le sens vibrer sous moi, tendu, offert, comme si lui aussi ne pouvait plus faire autrement.
Je me cambre un peu, change l’angle, le tempo, juste pour savourer ce feu qui monte, cette chaleur qui déborde, et là, quelque chose déraille. Zed grogne, agrippe mes hanches avec plus de force, ancré dans l’instant, happé par un instinct brut.
Une poussée, puis deux, trop rapide, trop profonde. Une onde aiguë traverse mon bas-ventre, fulgurante, comme un coup mal placé dans cette mécanique pourtant si bien huilée. Et plus encore que la douleur physique, une autre souffrance s’invite, plus ancienne, sournoise, traîtresse : le constat amer que jusqu’ici, ça n’était jamais arrivé avec lui, comme si nos corps s’étaient toujours parlé en silence, comme s’ils étaient ajustés l’un pour l’autre.
Je serre les dents, retiens ma respiration, à la fois pour retenir la peine qui m’envahit et pour me rappeler de rester tranquille. Je sais comment ça se passe, mon corps aussi. C’est de cette façon que ça prendra fin le plus vite. Il n’y a qu’à patienter. Feindre l’impassibilité. Faire le vide. Attendre…
Mais, Zed s’arrête brusquement. Il se retire en une seconde, puis ses mains viennent encadrer mon visage, chaudes et un peu tremblantes.
- Merde. Ça va ? demande-t-il d’une voix rauque et affolée. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Sa panique me désarçonne un instant. L’élancement qui vrille mon ventre ne décroît pas, mais je ravale les signaux et tente de le rassurer :
- Ça va. C’est pas grave, c’est pas important.
Son érection palpite encore contre mes fesses, trahissant la force de son désir interrompu. Pourtant, il reste immobile, muet, ses yeux cherchant les miens, jusqu’à ce que ses doigts se crispent sur mes joues.
- Quoi ? Comment ça c’est pas important ?
Je baisse les yeux, honteuse. C’est ce que je me suis toujours répété : “ça n’est pas important”, “je peux encaisser”, “c’est ma faute”, “j’ai l’habitude”...
- Maud, regarde-moi ! assène-t-il.
Je m’exécute. Il est énervé, et il a raison de l’être. J’ai interrompu son plaisir, je m’en veux. J’ai peur d’avoir cassé quelque chose entre nous. Hésitante, je lève les yeux vers lui, terrifiée par ce que je découvrirai dans son regard. Mes yeux rencontrent les siens, pleins d’inquiétude, sombres, intenses. Je sens mon cœur s’emballer, ma peur grandir.
- Bien sûr que c’est important, affirme-t-il.
Je veux qu’il sente que je comprends, que je veux continuer — pour lui -, pourtant, les mots restent coincés, bloqués dans ma gorge. Les larmes menacent de monter, je les retiens autant que possible en forçant ma respiration à garder un rythme lent, profond.
Je ne veux pas qu’il me voit comme on m’a déjà décrite : sale, faible, accessoire. Je ne veux pas qu’il parte. Je ne veux pas qu’il me laisse.
Je ferai tout ce qu’il faut. Je peux vivre avec la violence, la douleur, la tristesse et la honte. Je veux juste qu’il reste.
- Ce qui compte, c’est que tu prennes du plaisir, je chuchote enfin.
- Et tu crois que j’en prends en te faisant mal ? s’écrie-t-il.
Oui. Non. Je ne sais pas.
Je connais des gens comme ça : égoïstes, pervers, sadiques. Des hommes qui se réjouissent de la douleur qu’ils infligent.
- Putain, mais ça m’excite pas du tout, au contraire, enchaine-t-il sans savoir ce qui me bouleverse. Sérieux, j’en reviens pas de devoir te dire ça…
Je fixe son ventre, comme si les réponses s’y cachaient, comme si je pouvais effacer ce qui vient de se passer.
Je n’aurais pas dû dire ça. Je n’aurais rien dû laisser paraître. A force d’être autant en phase l’un avec l’autre, à l’écouter me dire qu’il veut voir, qu’il veut savoir j’en ai oublié pourquoi j’agis comme ça, pourquoi je ne dis rien, pourquoi je garde mes sensations pour moi.
Si j’étais restée impassible, il n’aurait rien su. Il ne serait pas en colère ou dégoûté. Il n’y aurait pas de risque qu’il me repousse ou qu’il me rejette.
Il s’approche, avec une lenteur infinie, pose son front contre le mien et murmure :
- Maud… Si quelque chose ne va pas, tu dois me le dire ! C’est pas une option. Pas avec moi. Ok ?
Son souffle chaud caresse ma peau et pendant quelques secondes, je ne comprends pas.
J’ai fréquenté avec des mecs qui se fichaient de ce que je ressentais. Je m’en fichais aussi, je faisais ce qu’il fallait pour qu’ils restent, jusqu’à ce qu’ils se lassent. Je sais au fond de moi que ça aurait fini de la même manière avec Nate. C’est comme ça qu’ont fonctionné toutes mes relations. Il ne peut pas comprendre et je ne peux pas lui dire que c’est lui l’anomalie dans mon monde.
- Je suis désolée, je souffle, la gorge sèche.
- T’as pas à t’excuser. C’est moi qui…
Je l’interromps d’un baiser, m’évertuant à faire taire sa culpabilité avant qu’elle ne se fige dans sa mémoire. Il n’est pas comme mes ex, il n’est pas violent, il n’est pas égoïste. C’est tout le contraire.
- Ce n’est pas grave. Tu ne l’as pas fait exprès, j’explique. Je ne veux pas que tu me regardes comme un petit truc fragile.
Il ouvre la bouche pour protester, alors je lève une main et poursuis avant qu’il n’ait le temps de formuler quoi que ce soit :
- Mais ! J’ai entendu ce que tu m’as dit. Je te promets pas d’y arriver mais je vais essayer de te dire si ça ne va pas.
Il me serre aussitôt contre lui, son torse contre ma poitrine, son nez niché dans mon cou. Sa respiration est plus posée mais encore tremblante, et son étreinte, plus appuyée que jamais, comme s’il essayait de m’ancrer là, avec lui, dans ce présent maladroit et fragile.
- Qu’est-ce que tu veux faire du coup ? On peut remettre un film, aller dormir…, propose-t-il.
Je le fixe, sans comprendre.
On ne continue pas ? Pourquoi il ne veut pas reprendre ? Il ne veut plus de moi ?
- Est-ce que tu as encore mal ? murmure-t-il.
Je perçois dans son regard une douceur fébrile, une peur qu’il tente de dissimuler. Sa main sur ma hanche reste immobile, comme s’il craignait qu’un simple mouvement me brise.
Et soudain, une idée qui ne m’a jamais traversé l’esprit s’impose à moi : ma norme n’est peut-être pas “normale”.
Je commence à saisir que contrairement à ce que je lui ai affirmé, ce qui compte pour lui, ce n’est pas son plaisir, c’est le nôtre. Il n’en veut pas sans le mien, ou du moins pas si ça implique que je vive quelque chose de négatif. Avec lui, les règles établies s’envolent. La dynamique à laquelle je suis habituée peut évoluer.
Est-ce que j’ai encore mal ? Oui.
Je le lui confirme d’un bref hochement de tête. Ses yeux s’emplissent d’une terreur indicible quand il bredouille :
- Est-ce que… Maud, est-ce qu’avant ce soir… Je t’ai déjà fait mal ?
Quoi ?
- Non ! Non, jamais. J’adore que tu me prennes comme tu le fais, je le rassure. C’est juste que là… Je crois qu’on a été un peu trop fort, un peu trop vite.
Je grimace, un peu honteuse encore, le corps encore sensible, mais le cœur déterminé à l’apaiser, à ne pas le laisser se perdre dans des doutes qui n’ont pas lieu d’être. Il capture à nouveau mes lèvres, son souffle chaud contre ma peau, empreint d’une émotion qu’il ne cherche même plus à masquer.
- Je suis désolé, répète-t-il. Tellement.
- Hé… On a le droit aussi de se tromper.
Je me redresse à peine et dépose un baiser sur son nez, doux et léger comme une plume, dans un geste presque enfantin. Son visage se détend un peu. Il ferme brièvement les yeux sous mon contact.
- Ça serait pas juste pour les autres couples s’il n’y avait jamais aucun accro entre nous, je plaisante.
Il esquisse un sourire, timide, un peu abîmé, comme s’il n’était pas encore certain d’avoir droit à mon pardon.
- Je suis prêt à t’engueuler tous les jours pour les fringues que tu laisses trainer dans l’appart, si ça peut te faire plaisir, mais… Ce genre d’accro, j’en veux pas, conclut-il en enfouissant sa tête dans mon cou.
Je perçois un infime tremblement dans ses bras autour de moi, et cette fois, je n’ose pas répondre. Je crois que je comprends enfin : cet instant, ce point de bascule, ça a été bouleversant pour nous deux. Nous avons tous les deux eu peur d’avoir sali quelque chose, d’être rejeté. L’absurdité de la situation m’arrache un rictus triste : comme si moi je pouvais le quitter lui.
Mes doigts glissent dans ses cheveux, dans son dos, le long de sa nuque. Ses pouces tracent des lignes indistinctes au creux de mes reins et sur mes épaules. On ne dit rien pendant quelques minutes, blottis l’un contre l’autre, ni tout à fait sereins, ni tout à fait en miettes, comme pour se rappeler notre présence, comme pour s’assurer que rien n’est cassé entre nous.
Je sens son souffle qui ralentit peu à peu contre ma peau, son cœur qui cogne encore fort contre mes côtes. Il dépose un baiser léger dans mon cou, presque distrait, comme une ponctuation rassurante.
- Je peux te ramener un doliprane, une bouillotte ou… Je sais pas… Un plaid ? Un thé ? propose-t-il.
Je souris un peu malgré moi, émue par l’inventaire maladroit mais sincère. Il s’écarte juste assez pour voir mon visage.
- Dis-moi. Je ferai tout ce que tu veux.
Son regard est grave, tendre, un peu inquiet aussi. Je devine dans ses yeux qu’il serait prêt à traverser la ville pour me ramener un chat en peluche si je le lui demandais. Une chaleur étrange me monte à la poitrine, un mélange de gratitude et de tristesse douce. Il est là, comme personne avant lui.
- Je veux rester avec toi. Et peut-être un doliprane, j’ajoute avec une moue contrite.
Un léger sourire soulève le coin de ses lèvres, et il acquiesce comme si c’était la mission la plus importante du monde. Il m’embrasse une dernière fois sur le front et me soulève, comme à son habitude, pour se mettre debout. Je resserre mes jambes autour de sa taille, dans un geste devenu presque instinctif, tandis qu’il nous entraîne jusque dans la chambre.
Une fois allongée, il s’assure que je sois confortable, glisse le drap sur moi, puis retourne dans le salon. Il revient quelques minutes plus tard, vêtu d’un boxer, avec le médicament, un verre d’eau, et même un carré de chocolat. Il s’arrête au bord du lit, sans un mot, toujours tendu, mal à l’aise, et dépose le cachet dans ma paume.
J’avale la pilule en vitesse et lui rends le verre.
- Merci pour l’attention, je souffle en prenant le chocolat. Tu veux bien me donner une culotte ?
Il fouille l’armoire quelques secondes et me tend ledit sous-vêtement que j’enfile en me tortillant sous les draps. Une fois décente, je me tourne vers lui :
- Viens avec moi ? je l’invite.
Il s’assoit près de moi, sur le drap, une jambe en dehors du lit, comme s’il restait prêt à partir au moindre mot.
- Viens avec moi, je répète, une main vers lui. Allonge-toi avec moi. S’il te plaît.
Il me regarde quelques secondes, surpris, les yeux brillants d’un trop-plein d’émotion qu’il tente de contenir, puis il hoche la tête et me rejoint enfin.
Il m’entoure de ses bras, serrant mon corps contre le sien pour effacer la douleur, la culpabilité et la peur. Je sens son souffle chaud dans mon cou alors qu’il me berce, ses doigts traçant des caresses apaisantes dans mon dos. Je me laisse faire, les yeux fermés, mon front contre sa clavicule. Mon ventre me tire encore, mais c’est plus supportable. Dans ce cocon fragile qu’il construit autour de moi, j’oublie la douleur, la honte et les fantômes du passé.
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