Chapitre 29 - Partie 1
Je me réveille dans un silence ouaté, bercée par la lumière pâle du matin filtrant à travers les volets. Mon ventre ne tire plus, mais je me rappelle cette rupture brutale entre le plaisir et l’inconfort. Je reste allongée un moment, sans bouger, respirant avec précaution, comme si la douleur pouvait se réveiller avec moi, repassant en boucle la scène d’hier soir, fragile comme une peinture fissurée.
Mes réflexes profondément ancrés, la peur dans les yeux de Zed, la tension dans ses mains qui tremblaient en me serrant, et cette tendresse brute, maladroite, comme s’il tentait de recoller les morceaux de moi. Sans même connaître les causes de mes fissures.
Un bruit léger de vaisselle brisée par l’habitude, le cliquetis d’un couteau sur une planche, des pas feutrés. Zed, dans la cuisine. Je me redresse, enfile un de ses t-shirts qui trainent sur son bureau. J’ouvre la porte, en silence.
Il est derrière le comptoir, une cuillère en bois à la main, affairé devant une casserole. Il porte un t-shirt noir froissé, un short tout aussi sombre. Les cheveux en bataille, il a l’air un peu fatigué, ses yeux fixent un point invisible sur le carrelage face aux fourneaux.
Comme hier soir, je m’approche, me colle à son dos et l’enlace. Il se raidit à mon contact.
- Salut, je souffle.
Il coupe le feu, pose ses ustensiles et se retourne.
- Salut, murmure-t-il en passant une main dans mes cheveux. Je n’ai pas voulu te réveiller… Ça va ? Comment tu te sens ?
- Ça va, je réponds un peu trop vite.
Sa mâchoire se contracte, ses bras se crispent autour de moi.
- Plus aucune douleur, je précise. Je vais bien.
Il ferme les yeux en prenant une grande inspiration, son torse se gonfle sous mes paumes, et il m’attire contre lui.
- Je me suis dit que tu aurais peut-être faim en te levant. Je… Je dois filer au taf bientôt mais je reviens à 14h30, ajoute-t-il en embrassant ma tempe.
Il recule aussitôt, comme s’il craignait de déranger. Sa main effleure ma hanche, hésitante, comme si elle cherchait à me retenir sans être trop intrusive. Je me tourne alors vers le plan de travail de l’autre côté de la cuisine.
- Qu’est-ce que tu fabriques ? demande-t-il tandis que je grimpe dessus avec des gestes peu assurés.
- T’es un peu trop loin ce matin. Je me mets à ta hauteur pour te ramener à moi, j’explique une fois assise.
Il me regarde avec une confusion non dissimulée. J’ouvre en grand les mains et tends bras et jambes dans sa direction pour l’inviter à me rejoindre. Il secoue la tête avec un sourire triste — un de ceux qu’on offre quand on ne sait plus s’il faut s’excuser ou remercier —, mais cède à mon appel.
Je me referme autour de lui comme un grappin de fête foraine, mes cuisses pressées contre ses flancs, mes mains enroulées autour de son cou. Mes doigts dessinent un sillon lent sur son dos, s’enfoncent dans la masse de ses cheveux, caressant sa nuque avec douceur.
- Et maintenant, embrasse-moi ! j’ordonne.
Ses épaules se détendent sous mes mains, son souffle ralentit, ses yeux s’adoucissent et, cette fois, son sourire est plus franc.
Ses lèvres capturent les miennes dans un baiser léger, hésitant, timide. Je le serre un peu plus fort, plus près. Je laisse ma langue effleurer la sienne, un contact doux et curieux, qui s’immisce sans précipitation, retrouvant notre lien si précieux - fragilisé, mais intact.
- Je suis bien avec toi, je murmure contre sa bouche. J’ai toujours envie de toi. Hier, ça ne change rien. Alors ne change pas.
Il se fige un instant, surpris, puis se détend, m’accordant sa confiance dans ce geste, répondant à ma passion. Ses mains se referment doucement autour de mes hanches, m’attirant un peu plus près, dans ce silence complice où tout se dit sans paroles.
Mes mains glissent le long de ses omoplates, descendent sous le tissu léger de son short, palpant ses fesses avec une audace délicate. Je devine sa surprise dans le creux de sa respiration, dans les frissons qu’il ne peut dissimuler. Ses doigts suivent le chemin inverse, se faufilant le long de mon dos, caressant ma peau nue, me pressant plus encore contre lui.
Nos souffles s’entremêlent, lourds de désir retenu, tandis que nos baisers s’approfondissent, intenses. Le vibreur de son téléphone nous rappelle à l’ordre.
- Il faut que je parte, murmure-t-il dans mon cou.
J’acquiesce en silence. Lorsque je le relâche, il me regarde, les yeux brillants d’une émotion pure, comme si je venais de briser un mauvais sort, comme si j’avais réparé quelque chose qui, pour moi, ne s’était jamais brisé.
Après un dernier baiser furtif, Zed se dégage et file chercher ses papiers près de la porte d’entrée. Je descends du comptoir, encore enveloppée de cette chaleur partagée. Il enfile ses chaussures, ses gestes sont un peu plus assurés. Dans l’embrasure de la porte, il se tourne vers moi et attrape mes deux mains dans un mouvement fluide, délicat. Il les couvre de baisers légers et dans ce geste rituel entre nous, je sais que toute sa confiance est rétablie.
- A tout à l’heure, dit-il en franchissant le seuil.
Le silence dans l’appartement s’épaissit quand Zed disparaît sur le palier. Je meurs d’envie d’appeler mon meilleur ami. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire depuis… la première nuit que j’ai passée dans le lit de Zed.
Il faut que je le contacte. J’ai tant de choses à lui dire.
Le cœur battant, les doigts légèrement tremblants, je saisis mon téléphone. Je compose son numéro et m'assois sur le canapé. Il décroche en quelque secondes :
- Coucou Maud. Comment ça va ?
- Ça va… Super bien. Bien comme jamais ! je m’écrie, peinant à contenir mes émotions. Je voulais t’appeler plus tôt… mais j’ai pas eu une seconde à moi.
- Qu’est-ce qui se passe ? T’as l’air toute excitée, rigole-t-il.
- Ben, assieds-toi si tu ne l’es pas. On est ensemble. Avec Zed.
- Genre… Tout de suite maintenant ? Ou…
- Genre il m’embrasse, me prend dans ses bras, me fait l’amour dans toutes les pièces de son appart…
- Oh, wow. Et ça va ?
- Je suis… folle de joie ? Émerveillée ? Je sais pas quel terme employer. Je me sens en phase avec lui. Vraiment. Je me retrouve en lui, je n’arrive pas à expliquer.
- Ça a l’air d’être un vrai coup de cœur. Je suis content pour toi.
J’entends dans sa voix un trouble, une ombre qu’il n’a pas formulé et qui vient trancher avec mon euphorie.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Tu te rends compte, Maud, que tu étais censée épouser son frère ? Je veux dire, tu t’apprêtais à porter son nom, à rentrer dans sa famille… D’une autre façon.
Sa réflexion me fait l’effet d’une gifle. Je reste muette quelques secondes.
- Ce n’est pas une critique, se reprend-il, c’est un avertissement. Ça va pas être simple à négocier comme virage.
- Je sais, je grimace. C’est le seul nuage à l’horizon. Il faut que j’affronte Nate, mais je ne peux pas faire ça à distance. Il mérite mieux que ça.
- Et Zed ? Il en pense quoi de tout ça ? Ça le gêne pas que rien ne soit officiellement terminé entre son frère et toi ?
- On… n’en a pas parlé. Il sait que pour moi c’est fini. Mais il faut qu’on réfléchisse à comment aborder le sujet avec Nate. Je pense que ni lui ni moi on ne veut gâcher ce qu’on vit pour le moment. Je sais pas quand ça se fera, mais on en discutera.
- Mouais… Enfin bon, si tu penses que cette fois, c’est le bon, alors fonce ! Garde juste la tête froide. Te laisse pas uniquement guider par tes émotions, ok, Miss Je-ressens-donc-je-vis ?
- Oui, Monsieur Voix-de-la-raison ! je plaisante.
Nous continuons de discuter pendant une bonne heure. Sa sœur vient de passer l’examen du barreau avec brio. Une petite cérémonie aura lieu dans quelques mois. Je suis cordialement invitée.
Ben me parle aussi de ses projets : il va bientôt acheter une petite maison à la campagne, cinq pièces, un grand jardin. Nous rions de notre vieux rêve d’ado de devenir coloc, réalisant qu’avec cet achat, cela ne se fera jamais.
La conversation s’épuise peu à peu et nous finissons par raccrocher, non sans une dernière mise en garde de sa part. Je pousse un léger soupir, puis attrape mon ordinateur dans ma sacoche.
Il est temps de revenir à la réalité — du moins pour un moment — et de me replonger dans mon travail. Quel genre de texte Damien aura-t-il concocté aujourd’hui ?
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