Chapitre I. Que l’histoire commence. 1/2

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« Dans toutes les larmes s'attarde un espoir. » De Simone de Beauvoir / Les Mandarins

 Au premier pied posé sur le sentier de la forêt, là où la terre se réveille à peine de l’hiver, la petite Aliénor ressentit un frisson de joie. Voilà quatre jours qu’elle attendait ce moment. Quatre jours qu’ils étaient partis à la campagne, elle et toute sa famille. Pourtant, le lendemain, il faudrait rentrer à la maison et se préparer à reprendre leur routine habituelle. Alors pour finir le séjour sur une dernière aventure, les adultes avaient organisé, après le déjeuner, une chasse au trésor.

 Cette après-midi serait donc la dernière chance de comprendre l'appel qui l'a traversée. À chaque fois que son pied foulait le sol de la forêt, une mystérieuse attraction l'enveloppait de toute part. Cette sensation était si agréable. Avec elle, Aliénor avait le sentiment d’être elle-même. Échappant à la surveillance des adultes, elle en profita pour mener sa propre aventure. Pour découvrir le secret se cachant derrière les arbres au cœur des bois.

 Guidée par l’invitation fascinante de cet appel invisible, Aliénor suivit sa propre direction. Une direction à l’opposé de celle que lui avait indiquée sa mère, sur un chemin la menant au centre de la forêt, à la découverte de réponse. Sur le sentier qu’elle seule voyait, ses yeux ne cessaient de s’émerveiller de la beauté du paysage. Ces arbres gigantesques qui touchaient presque le ciel et les nuages. Avec leurs branches qui revêtaient leurs tenues printanières. Alors que sur le sol, leurs manteaux d’automne étaient toujours là. À cette flore qui, timidement, poussait pour tenter d’égaler leurs prédécesseurs.

 Au bout d’un certain temps, les jambes de la fillette réclamèrent une petite pause. À force de marcher et d’enjamber les branches tombées par terre, cassées à cause d’une tempête, son endurance commençait à fléchir. En regardant les alentours, elle trouva le promontoire idéal pour se reposer quelques instants. Fouillant dans les poches de son long manteau beige, elle en sortit une barre de chocolat. Rien de tel que le chocolat pour reprendre des forces et pouvoir continuer à avancer. Profitant de cette pause bien méritée, elle ferma les yeux et utilisa ses autres sens pour apprécier encore plus son aventure.

 Il n’était pas nécessaire de bien tendre l’oreille pour pouvoir écouter la douce mélodie des oiseaux et du vent qui dansaient dans les branches. En prêtant plus d’attention aux sonx qui l’entouraient, elle pouvait percevoir la musique d’un ruisseau s’écoulant tranquillement. Après l’ouïe, elle se concentra sur son odorat. Elle prit une grande inspiration par le nez, et là encore, elle ne fut pas déçue. L’odeur de la forêt était rafraîchissante. Plus que cela même, elle était pure, dépourvue de pollution en tous genres. Revigorée par cette nouvelle force, Aliénor reprit son chemin et continua de plus en plus à s’enfoncer dans la forêt.

 Son périple s’acheva en fin d’après-midi quand le soleil inonde de sa lumière le lieu qu’elle cherchait inconsciemment. Au cœur de cette multitude d’arbres, était située une vaste clairière. L’étendue d’herbe se surélevait au fur et à mesure, formant une colline, avec au sommet une sorte de regroupement de grand rocher. Sortant de la lisière des arbres, Aliénor n’était plus protégée du vent, mais peu lui importait. Le coucher de soleil auquel elle assistait était des plus stupéfiants. L’astre solaire, se trouvant derrière la colline, embrasait le ciel d’un rouge pourpre, ne laissant deviner que les formes du drôle de monument. Alors que l’herbe haute recouvrant la colline, se courbait et ondulait au rythme de la brise du vent, elle changea de couleur s’assombrissant en même temps que le déclin de la lumière.

 Une fois remis de sa contemplation, Aliénor frissonna de froid. Bien que l’on soit au printemps, les températures n’avaient pas encore beaucoup augmentées. Et en cette fin de journée, les vêtements qu’elle portait ne lui tenaient plus assez chaud. Elle enfonça un peu plus son menton dans son écharpe rouge tentant de réfréner les frissons qui suivirent. De son visage ovale il ne dépassait, de son écharpe, que la naissance de son nez fin, ses yeux vert clair pailleté d’or, ainsi que ses oreilles recouvertes de ses cheveux châtains s'éclaircissant au niveau de la dernière ondulation.

 Conquérant la colline qui la domine, la jeune fille distinguait mieux les grands rochers. Ce qu’elle avait pris, au début, pour un simple regroupement de pierres, se trouvait être des menhirs. Sept pour être plus précis, fièrement debout et disposés en un cercle presque parfait. Ses derniers pas la conduisirent au pied du premier menhir. Elle l’effleura du bout des doigts et un fourmillement léger se fit sentir. Faisant glisser sa main au fur et à mesure qu’elle contournait la roche, elle observa, grâce à son toucher et à sa vue, les arabesques gravées sur la pierre. La sensation dans ses doigts se maintait, elle commença même à se propager dans son bras le long de sa peau. Passant de pierre en pierre en scrutant, du mieux possible, les dessins, elle fit bientôt le tour des sept menhirs. Elle s’avança au centre, et fit de nouveau un tour sur elle-même.

 Quand la pleine lune se leva à son tour, une forme blanche et spectrale se forma au milieu du rassemblement de pierres. La petite fille effrayée se cacha à l’extérieur du cercle loin de la vue de l’inconnue.

_ Tu es enfin là petite fille. Cela fait si longtemps que je t’attends. La voix venait de nulle part et de partout à la fois. Elle était comme un écho sans âge. Il n’est pas nécessaire de te cacher, ou que tu sois, je te vois. Je t’ai toujours vu, et toi, tu m’as toujours entendue. Allons de quoi as-tu peur, tu me connais comme je te connais. Réfléchis, ma douce.

 Cette voix, douce, envoûtante et harmonieuse, Aliénor l’avait entendue toute la journée. Elle l’avait guidée au travers de tous ces arbres, lui donnant la force d’avancer. L’appel qu’elle avait entendu venait donc d’elle. Sortant de sa cachette et se plaçant à la lisière du cercle, elle put l’observer et découvrir le visage de cette voix. En face d’elle se trouvait une femme ni vieille ni jeune, à vrai dire, il était difficile de lui donner un âge. Bien qu’elle ait le visage lisse, ses yeux reflétaient toute la vieillesse du monde et plus encore. D’un visage tout aussi ovale que le sien, d’un nez fin une nouvelle fois comme e sien, des yeux en amande tout comme elle, et de longs cheveux qui ondulaient touchant presque le sol. La ressemblance était frappante, bien que l’une soit une enfant et l’autre une adulte.

_ Qui êtes-vous madame ? Cette question, aussi simple soit-elle, enclencha la roue du destin d’une petite fille au milieu d’une forêt.

_ Je suis toi dit-elle d’une voix chantante.

_ Non, c’est faux. Vous ne pouvez pas être moi, puisque c’est moi qui suis-moi. Vous, vous êtes-vous, affirma-t-elle d’une voix sûre.

_ Exact, mais je suis aussi toi. Du moins en partie. Tout comme toi, tu es aussi une partie de moi-même. Nous sommes toutes les deux une partie de nous-mêmes, et de l'autre à la fois.

_ Comment ça en partie, je ne suis pas une partie. Je suis entière.

_ Pas encore, mais bientôt oui. Quand toi et moi serons réunies, nous serons de nouveau entières.

_ Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

_ C’est normal, mais dans un instant, tu comprendras. Allez viens, approche, et donne-moi tes mains. Tendant les siennes en exemple, elle patienta.

 Irrésistiblement attirée vers la dame spectrale, ses pieds bougèrent d’eux-mêmes. À chacun de ses pas sa peur et son appréhension diminuaient, pour finir par se muer en une sensation de confiance et de bien-être. Ancrant ses yeux au siens, Aliénor vit une lueur au fond de ces prunelles, lueur qui avait quelque chose de sauvage et de mystérieux. Arrivant elle aussi au centre du monument, elle se plaça devant la femme immatérielle et tendit ses mains à son tour. Quand ses mains touchèrent les siennes, Aliénor fut surprise, elle ne s’attendait pas à ressentir de la matière ni de la chaleur. Mais plutôt un froid glacial et surtout à passer au travers du brouillard. Au contact des deux personnes, une puissante onde d'énergie fut libérée pour être immédiatement absorbée par les menhirs.

_ ça commence. Un sourire de pur bonheur illumina le visage de la dame.

_ Qu’est-ce qui a commencé. Je ne comprends toujours pas.

_ Regarde autour de toi mon enfant. Les menhirs, eux, ils ont compris.

 Alors Aliénor détacha son regard du sien et observa autour d’elle. Et ses yeux s’écarquillèrent de stupeur. Les menhirs luisaient et les arabesques gravées dessus étaient illuminées d’une lumière blanche.

_ C’est vous qui faites ça ? Sa voix n’était qu’un murmure à peine audible, mais parvint quand même aux oreilles de la dame.

_ Non pas juste moi. C’est nous deux qui le faisons. Ne voulant pas briser la magie du paysage, elle chuchota sa réponse.

_ Moi aussi, mais comment ? Cette fois, sa voix avait repris son timbre normal.

_ Parce que c’est à toi que j’ai confié ma magie, tout comme je l’ai fait il y a très longtemps à une autre jeune fille de ce monde. Elle s’appelait Ambre et c’est elle qui a traversé le portail pendant l’exode.

_ Le portail ? L’exode, c’est quoi un exode ? Et pourquoi vous dites que vous m’avez donné votre magie. La magie, ça n’existe pas, tout le monde le sait.

_ L’exode, c’est quand beaucoup de personnes partent de chez eux pour aller vers un autre endroit. Pour le portail, tu te trouves en plein milieu de l’un d’eux. Et quant à la magie, elle existe bel et bien, j’en suis la preuve vivante, si on peut dire.

_ Mais la magie n’existe que dans les histoires pas dans la réalité. Si ? Cette interrogation fut poussée comme un appel à l’espoir de pouvoir y croire sans se le permettre vraiment.

 La mine septique, Aliénor fixa la dame. Elle souhaitait la croire de tout son être, mais une partie d’elle doutait encore. Au fond de son cœur, quel enfant n’a pas rêvé de l’existence de la magie des contes de fées. Reposant son attention sur ce qui l’entourait, elle devait bien avouer que cette lumière blanche avait quelque chose de mystérieux et d’ensorcelant.

_ Je vois que tu doutes. Laisse-moi te raconter une histoire. Ensuite, si tu ne me crois toujours pas, je te ferai une petite démonstration.

_ Pourquoi ne pas faire la démonstration en premier alors. Impatiente de voir la magie pour de vrai, elle était à la limite de sauter sur place.

_ Je préfère raconter les histoires, et puis il est encore trop tôt pour les démonstrations.

 Déçue de son refus, Aliénor fit la moue.

_ Alors tu décides quoi ma petite ? Veux-tu entendre mon histoire ou préfères-tu bouder.

_ Je ne boude pas. Mais mon papa, il dit qu’il n’y a que dans les actes qu’il y a la vérité. Alors que dans la parole, il y a des mensonges.

_ Et si je racontais mon histoire à la manière des conteurs Relator, qui utilisent un peu de magie dans leurs récits. Comme ça, il y aura de la parole et des actes.

_ D’accord alors je vous écoute.

 La silhouette vaporeuse inspira et expira l’air frais de la nuit. Et, à chaque souffle d'air, la lumière blanche, qui jusque-là restait figée sur le menhir, se mit à se déplacer tout autour d’elle. Ces lumières blanches, qui avaient étrangement l’apparence de luciole, se regroupèrent au plus près du duo. Elle prit une dernière grande inspiration et d’une voix calme et harmonieuse commença son histoire.

_ Très bien, alors mon histoire se passe, il y a de cela bien longtemps. À une époque, où les étoiles étaient encore jeunes et où les constellations n’avaient pas encore toutes un noms. Où le monde des sorciers et celui des non-sorciers cohabitaient en harmonie grâce aux portails qui les reliaient entre eux.

 À la première note de voix, les lucioles prirent la forme du récit qui était conté. Sous les yeux de la jeune fille, des étoiles apparurent tout autour d’elles. Puis ce fut des petits bonshommes habillés de long manteau et chapeau pointu, pour certains, et de pantalon chemise et chapeau de paille pour d’autres. Au fur et à mesure que l’histoire continuait, les formes changèrent, elles aussi.

_ Mais hélas la paix et l’harmonie ne durent jamais longtemps. Les non-mages, craignant ces êtres surnaturels, déclarèrent pour leurs propres sécurités, d’interdire la magie et de sanctionner toutes personnes qui en feraient usage. Voix-tu, ma petite, les personnes ne la possédant pas en avaient peur. Ils se croyaient démunis face à eux, et chez certaines la peur fait faire des choses horribles. Du jour au lendemain, une chasse aux sorciers commença.

_ Mais c’est horrible de chasser les gens.

 À cette interruption, les formes flottantes se figèrent. La voix de la petite fille avait mis en pause les lucioles. Dans la nuit noire qui les entourait, et avec les lucioles à l’arrêt, on pouvait presque croire que le temps s'était figé avec l’intervention d’Aliénor. Puis le temps reprit son cours avec l’intervention de la dame.

_ Oui, c’est vrai, mais face à la peur, c’est la seule solution qu’ils ont trouvée. Quand le massacre commença, les mages entamèrent un exode pour rejoindre les différents portails disséminés sur la terre. Bien que le peuple des mages souhaitait sauver le plus de mondes possible, ils refusèrent d'entrer en conflit avec les non-sorciers. Pour les quelques chanceux ayant réussi leur périple, ils laissaient derrière eux, beaucoup de pertes et de sacrifices. À cette époque-là, ma première détentrice faisait partie de ces chanceux.

_ Détentrice ? Toute son interrogation se fit entendre dans sa voix.

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