Chapitre I. Que l’histoire commence. 2/2

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« Dans toutes les larmes s'attarde un espoir. » De Simone de Beauvoir / Les Mandarins.

_ Détentrice ? Toute son interrogation se fit entendre dans sa voix.

 Et comme pour sa première intervention le même phénomène se produisit, plus aucun mouvement ne se fit.

_ Oui, c’est comme ça que je nomme les personnes à qui j’ai confié mon pouvoir. Au total, j’en ai eu sept, tu seras ma huitième. Mais comptes-tu souvent m’interrompre pendant mon récit ? Une pointe d’exaspération apparut dans sa dernière phrase.

_ Je ne sais pas encore, mais j’aime bien poser des questions. Ma maman, elle, dit que j’en pose trop parfois. Ayant pris la question vraiment au sérieux, Aliénor décida que la franchise était la meilleure des réponses.

_ Je veux bien la croire. Bien ou j’en étais moi dans cette histoire. Ah oui ça me revient. Une fois que le plus grand nombre fut mis à l’abri, les portails furent fermés et scellés définitivement. Ainsi, chacun des deux peuples, de chaque côté des portails, emprunta des chemins différents. Vous, sans magie, avez inventé ce que vous avez appelé le progrès technologique, et de ce fait reléguez la magie au rang de contes et légendes. Mais la magie persiste toujours avec les descendants des sorciers restés dans ce monde, bien qu’elle soit en déclin. Le temps passa et les étoiles vieillirent, et lors d’une nuit de mi-automne une petite fille naquit. Ce bébé n’était pas comme tous les autres bébés. Elle avait un petit quelque chose de plus que les autres. Elle avait un don. Mais hélas le monde, dans lequel elle naquit, était cassé.

_ Cassé, mais pourquoi il n’a pas été réparé ? Mon papa, il, connaît de bons réparateurs, je suis sûre qu’ils pourront réparer la panne.

_ Je ne pense pas qu’ils puissent réparer ce genre de panne mon enfant. On pouvait clairement entendre une légère pointe de rire dans le ton de sa voix. Vois-tu, la casse vient du fait que, dans ce monde, infiniment peu de personnes savent encore comment utiliser l’énergie magique qui vibre tout autour de nous. Du fait de l’interdiction de la pratique, la plus grande partie du savoir qui était transmis, depuis des siècles, fut perdu.

_ Mais si elle est perdue, la magie, il faut la retrouver ? La petite fille était vraiment captivée par l’histoire qui lui était racontée.

_ Ce n’est pas aussi simple que ça ma douce. Les quelques magiciens de ce monde ont bien écrit des livres et grimoires. Mais ils furent tellement bien cachés que quand les sorciers décédèrent, ils emportèrent le secret de leurs cachettes avec eux. Bien passons, tu veux, je n’ai pas encore fini mon récit, et si ça continue comme ça, je verrais le soleil se lever.

 Ayant choisi d’apparaître devant Aliénor en même temps que la lune, son temps était étroitement lié à celle-ci. Du coup quand le soleil se lèvera, la cérémonie de transmission devrait être absolument finie, sinon tous les efforts rearéalisés jusque-là seraient fichus. Et une occasion comme celle-ci ne se représenterait peut-être jamais dans l’avenir.

_ Je disais donc que ce bébé était né dans un monde cassé. À ce bébé, j’offris mon pouvoir et me liais à elle jusqu’à sa mort. Et ce bébé, c’était toi.

_ Moi ?

_ Oui toi. Après avoir lié mon pouvoir à Ambre, il y a eu Luca, Ilona, Elian, Nolan, Oriane, Roxane et pour finir il y a toi. Tous les huit, vous avez une chose en commun. Vous avez un potentiel illimité. Et c’est ce potentiel qui m’intéresse.

_ Potentiel pour quoi ?

_ Pour la magie bien sûr. Étant donné que tu grandis de ce côté du portail, ton don est resté en sommeil pendant toutes ces années. De mon côté, il me fallut huit ans pour trouver un moyen de te rejoindre. À cause de la barrière qui sépare les mondes, je suis restée coincée là-bas.

_ Là-bas ? C’est où ça, là-bas ?

_ C’est à Ebélios. Et Ebélios se trouve là-bas.

_ Jamais entendue parler de cet endroit. C’est un joli endroit ?

_ Oui énormément. Mais ça suffit les questions, je ne vais vraiment pas pouvoir finir cette histoire. Reprenons, j’en étais où moi déjà.

_ Au moment où vous étiez coincée.

_ Ah oui merci. Et il y a quelques jours, j’ai enfin réussi à trouver un moyen. Après cela, il ne me restait plus qu’à te trouver et te rencontrer. J’ai retrouvé ta trace, ici, il y a quatre jours, et depuis ce temps, je t’appelle pour que tu viennes enfin à moi. Et cela a fonctionné, car tu es là devant moi. Tu es enfin en train de réveiller le don que je t'avais fait il y a 8 ans. Ceci en est la preuve, elle désigna les menhirs toujours illuminés. Tu sais la patience n’a jamais été mon fort, mais là, je crois que je me suis surpassé.

 Cette dernière remarque fit rire la petite fille. Pour elle non plus la patience n’était pas l’une de ses plus grandes qualités. Détachant son regard des lucioles qui avaient fini de mimer l’histoire racontée, Aliénor suivit l’une d’entre elle qui alla se poser sur sa main, toujours collée à celle de la femme spectrale. Et alors qu’elle se réjouissait de ce petit moment, son sourire se fana.

_ Vos mains, elles commencent à disparaître. La panique dans sa voix alerta toutes les lucioles, qui se regroupèrent de nouveau autour d’elles.

_ C'est tout à fait normal mon enfant. Je n’étais présente physiquement dans ce monde que pour te trouver. Plus tu t’appropries tes pouvoirs plus je disparais pour aller là où  est   ma place. C’est-à-dire en toi, au cœur de ton noyau magique.

_ Mais moi, je ne veux pas que vous disparaissiez. Si vous n’êtes plus là, je serais toute seule. Des larmes commençaient à apparaître dans les yeux verts de la petite fille, et se mirent à couler sur ses joues. Je ne veux pas être toute seule, je veux rester avec vous.

 Pendant toute la durée de leur échange, Aliénor n’avait pas eu peur, la présence de la dame avait fait taire toutes ses craintes. Mais maintenant que la dame disparaissait, elle prenait conscience du fait qu’elle se trouvait seule. Dans une forêt, en pleine nuit, sans avoir averti personne de sa promenade, elle fondit encore plus en larmes. Incapable de s’arrêter la petite fille lâcha les mains spectrales pour se blottir dans les bras, tout contre le cœur de cette silhouette, qui dégageait encore de la chaleur.

 Au début confuse, la dame finit, maladroitement, par l’entourer de ses bras et lui frotta le dos du mieux qu’elle pût. Attendant que l’enfant se calme, elle lui chuchota des phrases apaisantes, et mit même à contribution les lucioles pour créer un cocon de lumière autour d’elles. Essuyant les petites joues toutes mouillées de pleurs, elle s’accroupit devant Aliénor. Posant la tête de celle-ci contre son cœur, elle resserra de nouveau ses bras autour d’elle.

_ Je suis désolé de t’imposer de telle épreuve mon enfant. Mais si je l’ai fait, c’est parce que je sais que tu peux la surmonter. Tu es forte. Bien plus forte que tu ne le crois. Sache aussi que tu ne seras jamais seule je serai toujours avec toi. Il te suffira de bien te concentrer et de dire mon prénom. À ce moment-là, je serais à tes côtés où que tu sois.

_ Votre prénom, je ne le connais pas. Comment je peux vous appeler si je ne le connais pas. Sa voix étouffée par leur étreinte , parvenait de justesse aux oreilles de la dame.

_ C’est parce que je n’en ai pas encore. Mais une fois que tu m’en auras donné un, le problème sera résolu. Toujours dans le but de calmer Aliénor, la dame parla avec une voix douce et posait.

_ Vous n’en avez pas ? Comment peut-on ne pas avoir de prénom ?

_ J’en ai eu plusieurs, des prénoms, mais à chaque fois que j’ai un nouveau détenteur, je lui demande de m’en choisir un nouveau.

_ Et vous vous appeliez comment avant ?

_ Insoumise. C’est le nom que ma dernière détentrice m'a donné. Tu peux le réutiliser si tu veux.

_ Insoumise ? Mais ce n’est pas un prénom ça.

_ Alors choisis en un mieux si tu veux.

_ C’est vrai, je peux vraiment en choisir un pour vous ?

_ Oui, tu peux, puisque je te le propose.

_ D’accord alors je vais essayer. Toujours avec les yeux mouillés Aliénor se tut et commença à réfléchir à un prénom.

 Ce que la dame ne lui a pas dit, c’est qu’à la minute où Aliénor aura choisi un prénom, la totalité de sa puissance lui appartiendra. Lui offrir un prénom, c’est sceller définitivement le lien qu’il y a entre elles. Il n’y aura plus aucun retour en arrière possible. La magie fera définitivement partie de sa vie. L’une n’ira plus sans l’autre, définitivement ensemble jusqu’à la fin. Elle aurait voulu faire les choses bien et dans l’ordre comme cela avait été fait pour les sept premiers. Normalement, Aliénor aurait doucement commencé à s’approprier ses pouvoirs depuis sa naissance. Ensuite à l’âge de six ans elle serait allée à l’école de magie élémentaire. Pour enfin à l'âge de dix-huit ans lui offrir son nom et finaliser l’appropriation de son don. En l’espace d’une nuit, elle devait regrouper les trois étapes en une seule. Mais, pour la dame, le temps était en sa défaveur, le soleil allait bientôt commencer son ascension. Il fallait absolument en finir maintenant, sans pour autant brusquer l’enfant.

_ As-tu choisi un prénom, ma douce ?

_ Non, je n’arrive pas à en trouver un. Mais vous pouvez peut-être m’aider. Vous, comment voulez-vous que je vous appelle ?

 Surprise par cette question, la dame fixa Aliénor avec des yeux ronds. Voilà une chose à laquelle elle ne s’attendait pas.

_ C’est bien la première fois qu’on me pose cette question. On ne m’a jamais laissé le choix. Mais il est vrai qu’il y en a bien un que j'aimais par-dessus tout, et qui me correspond tellement bien. Veux-tu l’entendre ?

_ Oui, dites-le-moi. Dites-moi le prénom que vous souhaitez.

_ Très bien, alors écoute bien. Voilà le prénom que je souhaite recevoir. "Heaven" dans la langue des premiers mages cela signifie sauvage ou indompté.

_ Heaven ? Heaven, j’aime bien, j’aime même beaucoup. C’est décidé, à partir de maintenant, je t’appellerais Haeven.

 Il ne fallut qu'un mot, trois syllabes, pour finaliser le lien. Un mot, trois syllabes, pour que toute la magie réunie autour d’elles se regroupe en un point bien précis. Trois syllabes, un mot, qui produisit une onde de choc, qui n’avait pas été vue depuis l’exil des mages, quand Aliénor libéra toute sa magie. Une onde de choc qui ébranla les éléments tout autour, le sol trembla, les arbres se courbèrent, l’air vibra. Cette puissante énergie magique entra en résonance avec les menhirs, qui prirent en retour une teinte dorée, signe que le portail entre les mondes était de nouveau ouvert. Mais cela n’avait pas eu comme seule conséquence d'affecter les menhirs, elle eut des répercussions sur les quelques mètres autour de la zone. Elle attira par la même occasion la curiosité d’être d’un autre endroit, d’un autre lieu, d’un autre monde.

 En l’espace d’une nuit, Aliénor avait acquis la puissance qu’elle aurait dû recevoir à ses dix-huit ans, sans y être prpréparée au préalable. Le contrecoup de cette métamorphose fut lourd pour l’enfant, au point qu’elle s’effondra, inconsciente, sur le sol en haut de cette colline toujours éclairée par la pleine lune.

~

 À l’entrée de la forêt, les pleurs d’une femme résonnaient dans toutes les oreilles. En milieu d’après-midi, l’adjudant Ludwig Lenfred a reçu un appel de cette famille. Dans un village où il y avait moins de cinq-cents habitants, il ne se passait jamais rien d’extraordinaire. Alors recevoir cet appel fut pour lui un véritable choc, à trois ans de la retraite, c’était une première.

 Une petite fille avait disparu en forêt. Les parents et le reste de la famille l'avaient bien cherchée et appelée, mais aucune réponse n’avait fait écho à leurs cris. Cela faisait maintenant quatre heures que tout le village essayait de la trouver, mais avec la nuit qui venait de tomber, il fallait reporter les recherches au lendemain.

 Mais comment annoncer aux parents que, à cause du manque de clarté, il fallait stopper les recherches, rentrer se reposer et essayer de dormir. Qu’ils devaient aussi s’occuper de leurs deux cadets. Qu’aucune piste n’avait été trouvée. Et que, oui, leur petite fille allait devoir passer la nuit dans cette forêt, seule. Annoncer une telle nouvelle n’est jamais une chose facile, on a beau recevoir des instructions pour le faire, cela reste difficile. Adjudant prit son courage à deux mains,  et  communiqua ’affreuses nouvelle. 

  Quand on lui avait demandé de décider d’une affectation, Ludwig avait choisi ce patelin spécialement pour ne pas être confronté à ce genre de situation. Demandant à toutes les personnes présentes de rentrer chez eux, le cœur de cet homme de loi se brisa.

 Les cris de désespoir résonnèrent de nouveau aux oreilles de tous les êtres vivants de la forêt. En cette nuit de début de printemps, une mère inonda le sol de ses larmes. Cette nuit-là, un père entoura de ses bras puissants le corps secoué de tristesse de sa femme, et ressentit une totale impuissance sur le sort et le destin de sa fille.

 Il se devait de rester fort pour elle, pour sa femme et pour ses deux autres enfants, restaient auprès de leurs grands-mères. C’est à bout de force et anesthésié par toutes les larmes versées, que cette mère soutenue par son mari rejoignit leur maison de campagne. Mais dans le cœur de cette maman, une certitude s'était ancrée, un jour, elle retrouverait sa fille. Et malgré toutes les larmes qu’elle avait versées, l'espoir persistait toujours.

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