Chapitre II. Dans un autre monde. 2/2

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« Je peux être tout, long, court, sombre, lumineux, beau, immonde, effrayant, féerique, prophétique… Il arrive que l'on m'oublie, ou l'on me remémore, je parcours les esprits, habituellement la nuit. Qui suis-je ? »


_ Effectivement Jonas, c’est bien elle. Soulagée d’avoir enfin retrouvé sa protéger Heaven lâcha un long soupir.

 Rejoignant la petite fille, à bout de souffle, le duo se rendit vite compte qu’un essaim de lucioles l’entourait. Quand enfin, ils se retrouvèrent à quelques pas les uns des autres Aliénor bondit du sol et se jeta dans les bras d’Heaven. Déséquilibrée par cette charge soudaine, Heaven se retrouva assise par terre avec au creux de son cou le bout du nez d’Aliénor. Reprenant lentement son souffle dans le cou d’Heaven, Aliénor ne perdit à aucun moment son sourire. Toujours assise sur la dame, Aliénor sortit son museau de sa cachette et fit face à ce visage qui ne quittait jamais ses pensées.

_ Tu es enfin là. J’ai fait tout comme tu m’as dit. Je t’ai appelée plusieurs fois et tu es enfin revenue. Mais pourquoi tu n’es pas venue la première fois ? Tu es là pour me ramener chez moi, pour voir papa et maman ? Tu as fait comment pour me trouver ?

 Heaven n’avait jamais eu l’habitude des effusions de sentiments, quels qu’ils soient. Depuis sa première porteuse de pouvoir jusqu’à la septième personne, Heaven avait toujours gardé une certaine distance. Mais pour Aliénor, les circonstances étaient différentes. Et il fallait bien l’admettre, cette enfant avait bien plus besoin d’attention que les autres, eux qui possédaient déjà les connaissances de base sur le monde magique qui les entouraient. Sa bulle de réflexion éclata soudain au son d’un rire affreux, ou la mélodie des notes harmonieuses avait fui au grand galop.

_ Vous avez raison Heaven. C’est vrai qu’elle pose plein de questions. Alors c’est elle Aliénor ! On se rencontre enfin, moi je m’appelle Jonas. C’est moi qu’Heaven et venu chercher pour l’aider à te retrouver. Alors que j’étais au plein milieu d’un super rêve en plus.

Camper sur ses deux jambes à la droite d’Heaven, il les fixait toutes les deux. Les deux mains sur les hanches, son regard bougon lançait des éclairs. Être ignoré comme il l’a été alors qu’il avait dû renoncer à l'un de ses plus beaux rêves pour la chercher. C’était inadmissible.

 Soulevant doucement Aliénor, pour qu’elles puissent se relever toutes les deux, la dame dissimula un sourire sur ses lèvres. Ah les enfants, ils avaient l’incroyable capacité de changer d’humeur aussi rapidement qu’une trotteuse pour faire le tour d’une horloge. Mais pour l’heure, il n’était pas question de savoir comment soigner un ego d’enfant froissé, mais plutôt de savoir où ils étaient.

 À côté d'elle, la petite fille contemplait avec curiosité ce jeune garçon. Aliénor avait souvent joué avec les autres enfants du village, mais elle avait beau fouiller sa mémoire, elle ne connaissait aucun Jonas. Aucun de ses camarades de jeu n’avait les mêmes yeux que lui. Des yeux semblables au ciel nocturne en plein été, sans aucun nuage pour l'admirer.

 Son commando de lucioles, aussi curieuses qu’elle, partit en éclaireur pour s'assurer qu’il était inoffensif pour leur protégée. Satisfaites de ce petit bonhomme, qui aboie plus qu’il ne mord, quelques-unes se posèrent sur les cheveux châtains de celui-ci. S’approchant à son tour, Aliénor tendit sa main pour un salut amical.

_ Bonjour, moi c’est Aliénor. Merci d’être venu me chercher avec Heaven. On dirait bien que les lucioles t’aiment bien. Moi ça fait presque quatre jours qu’elles ne me quittent plus.

_ Quatre jours ? Tu es là depuis drôlement longtemps dis donc, heureusement que je t’ai retrouvé. C’est bizarre Heaven m’a dit que ça faisait à peine quelques heures. Tu n’as pas faim depuis tout ce temps ? De nouveau, son humeur avait changé et la tempête d’éclair était partie. Dis, tu as quel âge au juste, moi, j’ai 10 ans.

_ Faim ? Non, je n’ai pas faim. C’est bizarre, tu crois ? Moi, j’ai 8 ans, ma maman, elle dit que je suis une grande fille maintenant. Tu viens d’où je ne t’ai jamais vue avant. Tu viens d’arriver au village ?

_ Je viens d’Epinosse, et ce n’est pas un village mais une ville. Oui je pense que c’est bizarre, mais à vérifier quand même. Moi à ta place, j’aurais drôlement faim. 8 ans, alors c’est moi le chef vu que je suis le plus vieux.

_ Ce n’est pas toi le plus vieux, c'est Heaven. Regarde, c’est une adulte.

 Cessant de se détailler l’un l'autre, ils posèrent de concert leurs regards sur la dame à côté d’eux. Qui semblait plongée dans ses propres réflexions. Reportant son attention sur Jonas, Aliénor continua sa tirade.

_ Je ne savais pas qu’il y avait une ville à côté du village. Quand je rentrerai, je demanderai à mon papa de me la montrer sur une carte. Le chef de quoi au juste ? Comment on va faire pour vérifier que je suis bizarre ou non ?

_ Le chef de notre groupe bien sûr. Dans tous les groupes, il faut un chef. Être bizarre, c’est bien, au moins ça prouve que tu es unique. S’il n’y a qu’une seule personne comme toi, alors tu es unique, donc bizarre. Du moins, c’est ce que me dit maman. Heaven n’est pas une adulte, c’est un esprit. Et les esprits peuvent prendre la forme qu’ ils souhaitent . Dites Heaven, vous avez quel âge au juste.

 Heaven était satisfaite d’elle-même, avoir choisi Jonas pour la seconder était une idée judicieuse. La dame prit quand même le temps de s'assurer de la bonne santé de sa détentrice par le biais des insectes lumineux. A part une bonne frayeur tout allait bien pour elle. N’ayant pas vraiment suivi leur conversation, pour ne pas se faire un nœud au cerveau, elle lança un regard interrogatif au garçonnet, qui reposa de nouveau sa question.

_ Mon garçon, on ne t’a jamais dit que c’était impoli de demander l’âge d’une dame.

_ Heaven n’est pas un esprit, c’est une personne, hein que j’ai raison Heaven. Les esprits, ça n’existe pas. Sûre d’elle, Aliénor fit face à ses deux interlocuteurs avec détermination.

 Pour seule réponse, elle eut droit à un sourire énigmatique de la dame spectrale. Ainsi qu’un Jonas plongeait dans ses réflexions.

_ Et si je demandais la date de naissance à une dame, est-ce que c’est aussi impoli ? Sa phrase, il l’avait presque criée. Comme si un eurêka, soudain, était apparu dans sa tête.

_ C’est déjà mieux que de demander son âge, je suppose.

_ Du coup, c’est quoi votre date de naissance Heaven ?

_ Tu es du genre obstiné, je me trompe. Sache, mon agneau, qu’il te faudra plus d’une vie pour trouver mon âge. Moi-même, j’ai fini par perdre le compte au fils des ans.

_ Faut vraiment être très vieille pour oublier son âge. D'accord vous avez gagné, c’est donc vous le chef. Mais c’est moi le second alors.

_ La délicatesse n’est vraiment pas ton style, il faut croire. J’espère qu’avec le temps tu rectifieras ça. Sinon tu risques d’avoir des soucis. Le ton d’Heaven se voulait réprobateur mais l’incompréhension qu’affichait Jonas sur son visage fit adoucir sa voix. Mon agneau, on ne dit jamais à une personne qu’elle est très vieille, cela peut être vexant. Et si nous revenions à des choses sérieuses. Dit moi Aliénor où sommes-nous ?

 La petite fille haussa les épaules pour signifier son ignorance sur le lieu. Heaven lui demande de fouiller une dernière fois sa mémoire en lui demandant, cette fois, si elle se souvenait d’un endroit qui ressemble à cette forêt. De nouveau Aliénor répondit qu’elle ne savait pas. Ne comprenant pas où voulait en venir Heaven, Aliénor l’interrogea de son regard. Au lieu de répondre à la question muette de sa protégée, la dame demanda à la petite fille ce qui lui était arrivé depuis leur séparation.

_ Dites, vous ne voulez pas qu’on attende un peu avant que je vous raconte. Le soleil se couche, et les ombres aux doigts crochus vont sortir de la forêt. Il vaut mieux s'asseoir et attendre que la nuit passe.

_ La nuit ? Mais de quoi tu parles. La nuit est… Jona ne put finir sa phrase, interrompu par la vue du soleil rouge quittant l’horizon. Bah ça alors, je n’ai jamais vu un soleil se coucher aussi vite. Tu es définitivement étrange toi. C’est décidé, toi je t’aime bien. Mais c’est quoi les ombres aux doigts crochus ?

_ Pourquoi tu dis ça ? Et qu’elle est le rapport entre le fait que le soleil se couche vite et que je sois étrange ? Soudain le visage d’Aliénor devint aussi pâle que le clair de lune et son sourire disparut en une fraction de seconde. Pour ce qui est des ombres tu n’as qu’à te retourner et regarder. Elles arrivent, et je crois qu’elles sont en colère. Sa dernière phrase fut lâchée dans un murmure, à peine audible.

 Dans un mouvement parfaitement identique, Heaven et Jonas firent volte-face, et purent constater par eux même ce qui terrifiait autant la fillette.

_ Mais c’est quoi ces horreurs. L’intonation de Jonas se voulait sans faille mais la peur y était quand même.

_ Comment sont-ils arrivés là eux ? Agrippant un bras à chaque enfant, Heaven les plaça derrière elle. Faisant face à l’obscurité serpentant sur le sol, elle porta ses mains au-dessus de sa tête. Il est hors de question que vous touchiez à un cheveu de ses enfants. Vous m'entendez bande de lâches.

 Accentuant son désir de les protéger, Heaven créa un immense dôme de lumière. Aveuglés par tant de clarté, les enfants furent obligés de fermer les yeux pendant un instant. L’obscurité, elle, n’eut d’autre choix que de retourner dans la forêt, là où l’éclairage ne pouvait l’attraper. Au toucher du dôme sur le sol, une douce chaleur envahit l’espace. Satisfaite de son œuvre, Heaven s'assura quand même de leur sécurité. Une fois que les alentours furent inspectés, et que le danger se soit bien retiré au pied de la verdure, Heaven se concentra de nouveau sur les enfants. Une fois remis de leurs émotions, ils purent constater avec émerveillement que les ténèbres ne les atteindraient pas tant qu’Heaven serait avec eux. Les yeux semblables à une nuit d’été et d’autres d’un vert tacheté d’or se posèrent sur une dame qui ne se doutait pas qu’à cet instant un immense respect lui était donné.

 Sa crainte envolée, Aliénor repris ses habitudes des derniers jours. Comme à chaque fois que le soir tombait, elle s’asseyait par terre, sa petite luciole sur le genou, et patientait le temps que le soleil refasse son apparition dans le ciel. Mais pour cette fois, ce n’est pas seulement à ses lucioles qu’elle parla. Non cette fois-ci, il y avait deux autres personnes, installées plus ou moins confortablement sur le sol, pour lui tenir compagnie sous ce ciel étoilé. Et, cette fois-ci, elle ne se fit pas prier pour tout leur raconter. La maîtresse des lucioles n’omit aucun détail, et quand le passage de la caresse des doigts crochus arriva, son cœur battit à toute vitesse. Rien que le souvenir de ce moment-là, la fit frissonner. Heaven, elle vit rouge et exigea de voir sa cheville. Heureusement la peau de la petite fille était intacte.

 Quand enfin les derniers mots de son histoire sortirent de sa bouche, Aliénor en fut soulagée. À bout de souffle, comme si elle avait revécu chaque instant de ces derniers jours, la jeune fille s’allongea dans l’herbe parsemée de fleurs. Depuis son arrivée dans la forêt, ce fut la première fois qu’elle ressentait la fatigue. Toutes ces différentes émotions ressenties au cours de ces derniers jours et l’adrénaline de sa course l'en avaient tenue éloignée. Avoir retrouvé Heaven, et se savoir en sécurité à ses côtés, sonna le glas de son endurance. À côté d’elle Jonas, toujours assis, jouait avec la verdure qu’il avait arrachée distraitement tout en écoutant Aliénor.

_ Il y a une chose qui me chiffonne un peu dans ton histoire Aliénor. Pourquoi le temps s’écoule aussi vite ? Moi à ta place, j’aurais choisi qu’il fasse tout le temps jour. Surtout, si les ombres apparaissent la nuit. Mâchouillant un brin d’herbe mis au préalable dans sa bouche Jonas fixa, de ses prunelles si particulières, sa nouvelle amie. Après tout cet endroit t’appartient, c’est à toi d’en faire ce que tu veux.

 Toujours allongée au sol, Aliénor fit pivoter légèrement sa tête. Son regard calait dans le coin de son œil, scrutait Jonas sans comprendre où il voulait en venir.

_ De quoi tu parles ? Comment une forêt peut être à moi ? Je ne comprends pas. Et puis on ne peut pas empêcher la nuit de tomber.

_ Bien sûr que l’on peut, ici, tu peux faire tout ce que tu veux. Tu n’as toujours pas réalisé où tu te trouvais.

_ Il n’y a aucun endroit sur terre où on peut faire ce que tu dis. C’est impossible n’est-ce pas Heaven. De nouveau installée face à ses interlocuteurs, la fillette chercha la confirmation du seul adulte présent.

_ Mon agneau et si, au lieu de lui poser des énigmes, tu lui expliquais clairement les choses.

_ Mais c’est tellement évident. Comment peut-elle ne pas le savoir. Stupéfié par ce manque de savoir Jonas se leva d’un bon, ce qui fit sursauter la petite demoiselle.

_ Ce qui peut être évident pour toi ne l'est pas forcément pour les autres mon agneau.

 Sur ses deux jambes, face à Aliénor, Jonas médite sur les paroles de la dame. Avec son sourire de pirate sur le visage, Jonas prit le temps de savourer le suspense qu’il faisait durer.

_ Prête à entendre la grande révélation. Très bien, alors Aliénor bienvenue dans ce monde enchanteur. Où seule l’imagination est une barrière, où tout est possible, où chacun d’entre nous peut être ce qu’il veut. Bienvenue dans le doux monde des rêves. Et sans vouloir me vanter, je suis moi-même un mage des rêves. C’est pour ça que j’ai pu rentrer dans le tien. Ceci est ton rêve.

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