Chapitre III. La petite fille de la forêt. 1/2

10 minutes de lecture

« Ferme les yeux et tu verras. » Joseph Joubert.

Caché du reste du monde, un groupe d’hommes montaient la garde autour des quelques maisons faites de bois et de pierre. Là, où se trouvait, autrefois, une immense clairière recouverte d’herbe haute et de fleurs sauvages. Le lieu de leur petit village de fortune n’avait pas été choisi au hasard.

 Profitant des croyances et des peurs des hommes, la forêt des Murmures était le meilleur choix pour dissimuler leur petite affaire lucrative. Ils n’avaient pas eu besoin de faire beaucoup d’effort pour faire fuir les éventuels curieux. Le souffle constant du vent dans les branches donnait l’impression que la forêt était habitée par les murmures du monde. Et dans l’imaginaire collectif des superstitieux, il se disait que ses murmures étaient des chuchotements pour le dieu des malédictions, Beahos. Cela offrait une protection naturelle très efficace.

 L’œil à l’affût, la main toujours sur la garde de son épée, le chef des mercenaires s’impatientait. Normalement, ils auraient dû quitter, depuis un moment déjà, cet endroit pour aller récupérer leur marchandise. Mais le fer de son cheval était tombé, il devait donc être changé avant de se mettre en route.

 Le visage fermé et le regard menaçant, Marcus avertit son subordonné qu’il a cinq minutes pour remettre le fer en place. Sans attendre de réponse de l'homme, Marcus partit en direction de la forêt pour soulager sa vessie. Il eut à peine fini, quand il ressentit une vague de pouvoir déferler dans l’aire. Même si Marcus ne pouvait pas utiliser la magie, cela ne l’empêchait pas de la ressentir.

 D’un mouvement il sortit son épée de son fourreau prêt à l’utiliser contre d'éventuels adversaires. Sur le qui-vive, Marcus remontait silencieusement le courant du flux magique. Après quelques minutes de marche, il découvrit la source de la magie qu’il avait ressentie. Du bout du pied, il poussa la masse inerte allongée à même le sol. D’un geste nonchalant, il rangea son épée et s'accroupit pour ramasser sa trouvaille, puis retourna d’un pas pressé au campement.

 Le plan venait de changer. En sortant de la forêt, Marcus hurla le nom de son second, et lui ordonna de partir sans lui, récupérer leurs marchandises à l'extérieur de la forêt . Les bras toujours chargés, il s’empressa de se rendre au bâtiment central du village, seule maison faite entièrement en pierre. Bâtie sur un seul étage et de petite taille, elle se devait d’être fonctionnelle et non belle. En plus de la porte, il n’y avait qu’une fenêtre, histoire de pouvoir aérer de temps en temps. Et pour rester dans la sobriété, une simple table de pierre et deux grands coffres remplissaient l’espace.

 Sur son passage, le regard interrogateur de plusieurs de ses mercenaires s’était posé sur l’enfant que portait Marcus dans ses bras. Son instinct ne se trompait jamais quand il s'agissait de faire du profit et cette petite allait lui rapporter beaucoup d’argent. Et pour confirmer son intuition, il devait lui faire passer le test.

 Une fois la petite déposait sur l'autel de drainage, Marcus se dirigea droit sur le premier coffre, l’ouvrit et s’empara de huit pierres. Les Sraks devaient être manipulées avec grande prudence, avec ces pierres aucune erreur n’était permise. De prime abord, elles ne payaient pas de mine, toutes noires et rugueuses, elles ressemblaient à des pierres volcaniques. Mais leurs  avidités  pour la magie en faisaient trembler plus d'un. Seul moyen de les manipuler sans problème est d’être dépourvue  de toute forme de magie, quelles qu’elles soient. Par chance, Marcus se trouvait être l’une de ses rares personnes ce qui faisait de lui le parfait gardien et par extension le plus à même de les manipuler.

 Les pierres en mains, il retourna auprès de l’enfant et disposa les Sraks tout autour d’elle. Le rituel de drainage pouvait enfin commencer. Au début de leur collaboration, l’homme qui l’avait engagé, pour remplir les pierres de magie, s'etait mis à tout lui expliquer. Le fonctionnement des pierres, ainsi que les différents reliefs gravaient sur l’autel, mais le mercenaire avait bien vite décroché.

 Bien qu’il ne comprenne pas vraiment comment cela fonctionne, Marcus ne se lassait jamais du spectacle qu'offrait ce rite, et surtout de la promesse de richesse qu’il lui assurait. Une fois que tout fut en place, il se recula de quelques pas, et pour que la fortune lui sourit, il plaça dans sa main deux pièces d’or et commença à jouer avec. De sa place de choix, il vit les cordelettes de noirceur sortirent des pierres et venir enserrer le corps menu de la gamine, se nourrissant de la magie présente en elle.

 Pour que les huit pierres Sraks soient rassasiées, il fallait attendre en moyenne deux trois jours, cela dépendait du niveau de pouvoir dont disposait la personne. Jusqu’à maintenant, les sacrifiés ne pouvaient rester qu’une demi-heure sur l’autel, avant de se retrouver à court de magies. Ensuite, la récupération de magies prenait plusieurs heures, ce qui ne permettait que deux drainages par jour et par personne. Mais cette petite n’avait aucun mal à rester plus longtemps, et sa récupération magique se faisait en un rien de temps. Marcus avait eu du flair, sur ce coup, en suivant ce flux d’énergie.

 Les dieux Lerus et Wyvaos marchaient enfin à ses côtés. Comme tout bon mercenaire et enfant des bas-fonds du royaume, qui se respecte, il vénérait le dieu des proscrits et des bannis, Wyvaos. Quant à Lerus, le dieu du commerce et de la richesse, c’était principalement pour la dernière désignation qu'il l’estimait. Que cette gamine soit apparue devant lui était un signe. Avec elle a ses côtés, plus besoin de se casser le dos à amener des personnes plus ou moins consentantes ici. À elle seule, la gamine pouvait remplir le quota mensuel de Sraks. Les autres pensionnaires ne serviraient bientôt plus à rien. Les plus jeunes seraient sûrement envoyés au marché noir, et les plus âgés disparaîtraient tout simplement.

 Sortant de la maisonnette, il ordonna un rassemblement général. En l’espace d’un instant, toutes les portes des maisons furent fermées à clé, et une cinquantaine de mercenaires firent face à Marcus.

_ Très bien les gars, à partir d’aujourd’hui, j’veux que c’te porte soit gardée tout le temps. Marcus avait l’attention de tout le monde, mais il prenait quand même plaisir à aboyer chacune de ses phrases. Hors de question que c’te morveuse reste sans surveillance. Jusqu’à c’que le p’tit Marquis arrive, elle ne bouge pas de là. Tiens ! toi là-bas, vas me chercher Maximilien, et prend son tour de garde. Et n’oubliez pas de faire passer le message, que j’n’ai pas à m’répéter.

 Une fois ses instructions beuglées, Marcus retourna auprès de la petite. Il ne fallut pas attendre longtemps pour voir apparaître sur le seuil de la porte Maximilien. Parmi tous les mercenaires, Maximilien était le seul à savoir lire et écrire correctement. C’était même principalement pour ça qu’il avait été engagé, ça et peut-être aussi pour son savoir rudimentaire en médecine. D’un signe de la main Marcus, lui ordonna d’ausculter la fillette.

_ J’ai un nouveau rapport à envoyer au p’tit Marquis. Fais-lui un résumé d’la situation. Quand t’auras fini occupe-toi d’la gamine. À partir de maint ’nant tu restes là. J’veux un drainage toutes les deux heures.

_ Toutes les deux heures, chef. Je ne crois pas que ce soit raisonnable. Elle n’aura qu’une heure pour se reposer entre chaque session. Faire entendre raison à son patron était risqué, mais pour la santé de la petite c'était nécessaire. Elle ne tiendra pas longtemps.

_ J’n’ai rien à foutre de ton avis, c’est moi qui dis quand on arrête ou pas. Elle doit tenir t’es là pour ça, justement. T’obéis aux ordres point barre. Tes états d’âme tu t’les gardes, sinon c’est ta langue qui saute. Compris ! Cette menace Marcus la sortait toujours quand l’un de ses gars l’ouvrait trop à son goût. Maint ’nant au boulot je reviens avant la fin d’l'heure.

_ Compris boss. Je m'y mets tout de suite.

 Le scribe sortit son matériel de la sacoche accrochée à son épaule et fit un résumé court de la situation. Soignant le plus possible son écriture, Maximilien réfléchit à la meilleure manière de prendre soin de cette enfant. Une fois sa première tâche effectuée, il alla voir l’un des gardes à l'entrée, pour qu’il lui apporte un oiseau messager. De nouveau focalisé sur l’enfant allongé sur l’autel, Maximilien l’étudia de plus près. Habillée d’un drôle de manteau plus trop beige, taché à cause de la terre humide, et d’une écharpe rouge, cette petite ne devait pas avoir plus de neuf ans.

_ Et bien petite, on dirait que la chance n’est pas de ton côté aujourd’hui. Mais heureusement pour toi, je suis là. Fais-moi confiance, tu ne passeras pas ta vie ici. Sa promesse chuchotée à l’oreille de la petite fille, Maximilien se redressa et débuta son examen.

 Une fois cela fini, le scribe-médecin demanda à ce qu’on lui apporte un tabouret et qu’on prévienne le patron qu’elle était prête pour une nouvelle session de drainage. Après avoir passé toute la journée et une partie de la nuit au côté de la petite, Maximilien put enfin sortir se reposer. Marcus avait décrété une pause de quatre heures pour dormir étant donné que lui aussi devait être présent pour manipuler les Sraks.

 Profitant que la nuit était tombée, Maximilien sortit discrètement du village. Après quelques pas, le scribe-médecin écrivit une seconde fois son rapport. Cette fois nul besoin d’encre et de papier, non la terre molle lui suffit. Grâce à la bénédiction qu’il avait reçue d’Ekenar, dieu de la terre et de l’agriculture.

 Voilà maintenant un an qu’il envoyait des messages de cette manière aux personnes de l’extérieur. Les étapes étaient simples, en premier écrire quelques mots. Ensuite, placer ses deux mains de chaque côté du message, visualiser le lieu d’envoi. Et pour finir, insuffler son pouvoir dans la terre. La suite, ce sont les arbres qui s’en chargeaient, sous terre un labyrinthe de racines circulait à travers toute la croûte terrestre. Utiliser ce réseau naturel pour envoyer des messages était d’une grande efficacité.

 Mais cette fois-ci son compte-rendu fut bien plus alarmant que d’habitude. Il n’était plus question de juste intercepter les livraisons de Sraks à la sortie de la forêt des Murmures. Non, c’est d’une mission de secours qu’il fallait mettre en place. Car quand le Gris apprendra l’existence de cette enfant, il la fera transférer auprès de lui. Il sera alors impossible de la retrouver, et encore moins de la sauver.

~

 Même après la révélation de Jonas, Aliénor n’y croyait toujours pas. Comment pouvait-elle être dans un rêve. La caresse du soleil sur sa joue était bien réelle, l’odeur des fleurs que le vent transportait était bien réelle, le chant des oiseaux ne pouvait pas être juste un rêve.

_ Tu mens, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas possible. Elle parla très vite, signe que la panique la gagnait petit à petit.

_ Je suis désolée mon cœur, mais ce qu’a dit Jonas est vrai. Nous sommes bien dans ton rêve. Ah oui, mon petit agneau, j’ai oublié de te le dire, mais Aliénor aime beaucoup les démonstrations.

_ Mon papa m’a appris à ne pas toujours croire ce que les autres disent. À la mention de son père, la voix d’Aliénor se couvrit de tristesse.

_ Ah… Ça complique un peu la vie, non ? Moi, je dis toujours la vérité quand il le faut. Comment on va faire pour prouver que je ne mens pas ?

_ Et bien mon agneau tu n’as pas dit que tu étais un mage des rêves à l’instant. Tu devrais donc être capable de te débrouiller tout seul.

_ Bah en fait… je ne suis pas encore tout à fait un mage des rêves mais plutôt un apprenti rêveur. Les joues rouges d’embarra, Jonas se gratta l’arrière du crâne.

_ C’est bien ce qui me semblait mon agneau. Et pour en revenir à toi, Aliénor, tu sais, parfois, il est difficile de prouver par les actes la vérité, du coup, on n’a pas d’autre choix que de croire aux paroles dites.

 Les paroles sages d’Haeven firent leurs chemins jusqu’à Aliénor, qui médita cette nouvelle perception des choses.

_ Je crois que je comprends ce que tu veux dire. Mais qu’est-ce qu’on fait maintenant. On attend que je me réveille ? demanda Aliénor confuse sur ce qu’ils devaient faire à présent.

_ Je ne pense pas que ce soit aussi simple que ça de te réveiller. Commençons par le commencement, veux-tu. En premier lieu, je propose qu’on essaye quelque chose de simple. Je vais t’apprendre à ressentir la magie qu’il y a en toi. Grâce à cela tu seras bien plus consciente de ton environnement. Ensuite tu pourras la pratiquer pour modifier le décor. Que dirais-tu d’un endroit plus confortable, nous avons vu assez de forêts pour l’instant. Un peu de changement ne ferait de mal à personne. Va te placer au centre du dôme, toi aussi Jonas. Effectuons un exercice de base pour commencer.

 Face à la voix encourageante d’Haeven, les deux enfants partirent au pas de course à l’endroit indiqué. Toujours en suivant les instructions de la dame, ils s’assirent l’un en face de l’autre. Ensuite, pour que ses directives soient bien suivies à la lettre, la dame, qui avait endossé le rôle de professeur, leur montra comment placer leurs mains au sol. Dans cette position, penchée en avant en appuis sur leurs mains, les têtes des deux enfants se frôlèrent presque.

_ Bien maintenant je veux que vous vous concentriez. On ne dit plus rien, on écoute juste, d'accord. Aliénor, Jonas ?

Annotations

Vous aimez lire Ombrume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0