Chapitre V. Bienvenue à Brume. 1/3

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« Plus j'ai de gardiens, moins je suis gardé. Moins j'ai de gardiens, plus je suis gardé. Qui suis-je ? »

 Situé sur le territoire de Brume, aux abords de la Blanche Forêt Brumeuse, le grand temple des divinités se dressait fièrement là. Construit en rond, le bâtiment était uniforme et homogène. L’architecture vue de près, époustouflait toujours les visiteurs qui se rendait dans ce lieu saint.

 Munits de dix-huit portes, chacune étant dans un style différent, elles permettaient aux voyageurs de choisir le sens de leur visite. En franchissant l’une des portes, les voyageurs étaient accueillis par l’odeur de l’encens, disposé sur des plateaux suspendus au-dessus des portes.

 À l’intérieur de ce lieu de culte, et entre chacune des portes, on pouvait découvrir une statue en marbre d’une hauteur démesurée. La totalité du panthéon y était représentée. Les dix-huit statues des divinités étaient sculptées avec le plus grand soin, vêtues de leurs accessoires respectifs. Au pied des statutes, il y avait un autel érigé à leurs gloires. Bougie odorante et réceptacle pour les offrandes y occupaient une grande partie.

 Au centre de ce temple, là où convergeait le regard de toutes les statues, un mur en verre encerclait un jardin à ciel ouvert. Dans ce patio, une herbe verte recouvrait le sol jusqu’au bord d’un point d’eau. Point d’eau qui formait une boucle parfaite tout autour des racines d’un vieux saule pleureur aussi blanc que la neige pure.

 Assis sur l’une des nombreuses branches du vieil arbre,  un étrange être se reposait tout en écoutant l’eau du ruisseau qui entourait son arbre. Tout comme le tronc auquel il était adossé, la peau de cet être était recouverte de la même écorce, et tout comme les rameaux qui touchaient presque le sol, ses cheveux étaient tout aussi feuillus que l’était l’arbre.

 De ses doigts boisés, il jouait avec la brume sous la lumière de l'astre déclinant. Perdu dans son brouillard, il ne réalisa pas tout de suite la légère perturbation qui se manifestait à lui. Réalisant enfin ce que lui chuchotait la brume, il se redressa légèrement.

_ Elle est là. Cette enfant têtue s'est enfin décidée à revenir sur mes terres. Et à ce que je vois, elle n’est pas venue seule. Dans ce lieu silencieux, la voix craquelée de l’être résonna agréablement.

 D’un saut léger, il descendit de sa branche, se réceptionna de justesse, et foula maladroitement le sol. Il faut dire qu’il n’avait plus l’habitude de revêtir son enveloppe humaine et que ses muscles étaient encore engourdis. D’une démarche plus sûre, il enjamba le ruisseau et sortit du patio. Sourire aux lèvres, il déambula entre les statues, fit halte devant certaines d’entre elles, leur adressa quelques mots, puis sortit du temple.

_ J’ai hâte que nous nous rencontrions de nouveau, en espérant que la colère de ton cœur se soit enfin adoucie. Il ne me reste plus qu’à te faire venir ici. Sa voix craquelée prit une intonation mélancolique et après un petit soupir, il continua son chemin.

 Message en tête, il alla trouver la grande prêtresse. Depuis plusieurs générations c’était la famille Anary qui occupait ce poste. Intermédiaire entre lui et les humains, la grande prêtresse de la famille Anary était porteuse de sa voix et délivrait chacun de ses messages et convocations au reste du monde.

 Arrivé devant le lieu de résidence de la famille Anary, la grande prêtresse du temple ainsi que sa successeure l’attendaient déjà.

_ Nous avons bien entendu votre souhait et nous ferons tout notre possible pour amener cette personne auprès de vous. Usée par le temps, la voix de la vieille prêtresse n’était plus aussi soyeuse qu’avant.

_ Nul besoin de vous fatiguer à la chercher, je sais déjà où elle se trouve. Envoyez une missive à la Duchesse de Brume, demandez-lui de me ramener les personnes qui se trouvaient avec elle, quand elle a traversé ma forêt ce soir.

~

 En cette fin d'après-midi le carrosse dans lequel Aliénor était assis, avançait droit vers une forêt à l’allure des plus étranges. Composée uniquement de saules pleureurs au feuillage blanc d’où se dégageait un épais brouillard. Rien qu’en observant les arbres, Aliénor devina facilement pourquoi ce lieu portait le nom de Blanche Forêt Brumeuse.

 À leur entrée dans cette forêt, et au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient sur la route principale, carrosses et cavaliers furent engloutis dans une brume vaporeuse. S’infiltrant dans tous les habitacles qui arpentaient sa forêt, le brouillard sondait l’âme de chaque personne.

 Une inspiration et l’âme se retrouvait mise à nue. Une expiration et l’âme se trouvait examinée dans les moindres détails. Une autre inspiration et son âme se sentit recouverte d’une sérénité brodée de filaments de calme. Une autre expiration et Aliénor eut la sensation d’être en paix et acceptée par la forêt.

 Barrière naturelle et protectrice, la Blanche forêt Brumeuse, empêchait toutes personnes dont l’âme était entachée par la pourriture d'entrer sur son territoire. Sous le jugement du Vieux Juge, gardien des lieux, le Duché de Brume se trouvait être le territoire le plus sûr de tout le continent.

 Toute personne acceptée par la forêt ne ressentaient qu’apaisement et sérénité. Mais ceux envers qui, la brume avait des doutes, le voyage n’était pas des plus agréables. À certaines occasions elle servait même de prison pour les plus grands criminels. Le Vieux Juge les contraignait à errer entre ses saules pleureurs jusqu’à ce que leurs âmes soient purgées. La dernière fois qu’un criminel a été libéré de cette prison remonte à une décennie. Il n’avait pas pris une ride, mais le temps ne l’avait pas attendu, et sa petite sœur était maintenant en âge d’être sa grand-mère.

 Tenant fermement la main de Jonas dans la sienne, Aliénor fixait les flammes dansantes des lanternes, portées à bout de bras par les cavaliers. Ils guidaient leurs montures et le cortège avec l’assurance qui découlait de l’habitude des actions répétitives.

 Son esprit toujours en ébullition, Aliénor se posa mille et une questions. Pourquoi ils n’avaient pas traversé une arche magique pour se rendre chez Jonas ? Comment faisaient-ils pour se diriger sur ce chemin ? Du coin de l’œil, Aliénor observa la mère de Jonas. Pourquoi la fixait-elle tout en lui souriant tendrement ? Bien sûr, cette dernière question elle ne la poserait pas tout de suite. Non, mieux vaut attendre d’être seul avec Jonas pour le lui demander.

 De nouveau happée par ce qui se passait dehors. Elle fut, une fois de plus, impressionnée de voir le cortège avancer avec confiance dans ce labyrinthe de brouillard. Après un dernier regard pour l’extérieur Aliénor se tourna et fit face à Jonas.

_ Dis Jonas, pourquoi on n’a pas pris un Vioatrem… Viator …une arche de pierre magique pour aller jusqu’à chez toi au juste ? D’une voix fatiguée, Aliénor questionna son ami.

_ Tu veux parler des Viatorem ?

 Aliénor hocha la tête de façon affirmative, puis attendit patiemment que Jonas reprenne la parole.

_ Oh ! Eh bien, c’est à cause du brouillard qu’il y a dans la forêt. Tu ne l’as pas ressentie quand nous sommes entrés tout à l’heure. Le brouillard est magique. Il empêche les viatorem qui sont à l’extérieur ou à l’intérieur de Brume d’établirent un passage entre elles. Du coup il n’y a pas d’autre choix que de faire une heure de voyage pour traverser la forêt. Mais sinon à l’intérieur de Brume, tu peux les utiliser, tant que c’est pour te rendre quelque part sûr le Duché.

 Après avoir médité un instant et l’ayant trouvé plutôt logique, Aliénor lui posa de nouveau des questions.

_Tu n’as pas peur qu’on se perde dans cette forêt, avec toute la quantité de brouillard qu’il y a ? Et comment font-ils pour savoir par où aller ?

 Du bout du doigt, Aliénor désigna les cavaliers.

_ Un Brumeux ne peut pas se perdre dans la Blanche Forêt Brumeuse.

 La fierté dans sa voix n’échappa à personne. Pendant quelques secondes Aliénor attendit qu’il développe plus sa réponse, mais Jonas ne lui offrit que son sourire. Avec une pointe d’exaspérations Aliénor posa de nouveau une question à son ami.

_ Mais, et les autres alors, ceux qui ne sont pas des Brumeux ?

_ Ils engagent un guide Brumeux pour les accompagner, répondit la voix légère et douce de la mère de Jonas.

 Le sourire bienveillant de la duchesse accentua la timidité d’Aliénor, et pour camoufler sa gêne, la petite fille se cacha dans son écharpe. Le reste du trajet se passa dans un doux silence. Les paupières lourdes, et enfin en sécurité auprès de son ami, Aliénor s'endormit paisiblement. Bercée par le rythme régulier du carrosse, les deux enfants s'étaient endormis. Leurs têtes collées l’une à l’autre, un léger ronflement parvenait aux oreilles de la Duchesse.

 De sa main, la Duchesse sortit une lettre légèrement froissée, à force d’avoir été lue tous les jours. Quand, un mois et demi plus tôt, elle avait envoyé une missive à son époux, en visite à la capitale, ce fut une lettre apposée du sceau royal qui lui répondit. Nul doute que, Timéo Flereterram, Duc de Brume avait transmis l’information de la venue d’Aliénor dans leur monde.

 Des yeux, elle relie les lignes qui l'intéressaient le plus.

« Par décret royal, moi, Léonard Kornis roi d’Ebélios, je place sous votre protection l’enfant retrouvée dans la forêt des Murmures. Une fois l’enfant sauvée, elle devra immédiatement être conduite en lieu sûr, sur les terres du Duché de Brume […]

Je vous fais entièrement confiance, mes chers amis, je sais que vous prendrez grand soin de cet enfant. »

 Levant les yeux de la feuille, la Duchesse Eryne posa son regard sur les deux enfants endormis l’un contre l’autre. Décret royal ou pas la Duchesse Eryne aurait quand même pris soin d’Aliénor, rien ne pourra lui arriver.

 Quand, enfin, ils sortirent de la Blanche forêt brumeuse, aucun des enfants ne se réveilla. Pour la dernière étape du voyage, le carrosse et son escorte empruntèrent un Viatorem pour se rendre immédiatement au manoir Ducal.

_ Nous sommes arrivées à destination, Aliénor. Bienvenue au manoir de Brume. Chuchotant pour elle seule, la Duchesse marqua ainsi l’arrivée d’Aliénor, l’enfant de l’autre monde, au manoir et dans leur vie.

~

 Délicatement, une main vient caresser la joue d’Aliénor. Un geste d’une grande tendresse, qui ne pouvait venir que d’une mère attentionnée.

_ Maman ? Tu es venu me chercher ?

_ Je suis désolée mon enfant mais ce n’est que moi. Les coins des lèvres de la Duchesse s’étirèrent en un sourire navré.

 Les yeux à peine ouverts, et éblouie par les rayons du soleil qui traversaient la fenêtre de sa chambre, Aliénor ne perçut pas immédiatement qui lui faisait face. Papillonnant des paupières pour s’habituer à la lumière, Aliénor mit quelques secondes pour reconnaître la mère de Jonas. Recouvrant son visage d’un voile de tristesse, Aliénor détacha son regard du visage de la Duchesse.

  Jetant un coup d'œil sur l’environnement qui l’entourait, Aliénor se remémora les derniers évènements écoulés au Duché de Brume. Cela faisait maintenant une semaine qu’elle vivait au manoir de Brume. Plus précisément dans la chambre pastel juste à côté de celle de Jonas, dans la nurserie du manoir.

 Dans son cocon d’oreiller, Aliénor pensa de nouveau à la triste vérité qui lui serrait le cœur. Quand, au premier matin de son arrivée au manoir, elle demanda à la duchesse si elle pouvait voir son père et sa mère, le regard mal à l'aise de la duchesse laissa perplexe Aliénor. Surprise par la réaction de la mère de Jonas, Aliénor appela sa gardienne et lui posa la même question. Quand est ce qu’elle pourrait revoir son papa et sa maman ?

 Ce fut donc Heaven qui lui expliqua la situation. Du fait qu’elle ait traversé un portail sauvage entre les mondes, il lui était impossible de rentrer auprès de ses parents. Un portail sauvage ne s’ouvre jamais deux fois au même endroit, et ne reste pas plus de quelques minutes ouvert. Tous les autres portails ayant été détruits après la grande croisade des mages, il n'existait plus aucun moyen pour elle de rentrer. De désespoir Aliénor s’effondra, en pleurs, dans les bras de la Duchesse Eryne. Ne pouvant ni voir ni entendre Heaven, Eryne ne sut pas exactement ce que l’esprit avait dit à l’enfant. Mais la profonde tristesse d’Aliénor prouvait qu’elle savait à présent qu’elle ne reverrait pas ses parents.

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