Chapitre VI. Que de souvenirs. 1/2

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« J’ai voyagé dans mes souvenirs, j'y ai laissé mes larmes. » Angelo Heilig

 Dans un petit salon lumineux, une jeune femme, confortablement installée sur un long fauteuil beige, fit venir à elle une feuille, abîmée par le temps. Éclairée par les derniers rayons du soleil d’automne, la jeune femme regardait les différentes lettres éparpillées devant elle sur le sol en bois. Perdue dans ses pensées, elle jouait machinalement avec son bracelet, qui ne quittait jamais son poignet.

 Un peu plus loin, dans l’embrasure de la porte du petit salon, des yeux soucieux fixaient la jeune femme.

_ Tout va bien mon enfant ? Oh ! tu as ressorti les lettres ? Cela n’était pas arrivé depuis longtemps.

 Sursautant, la jeune femme perdit sa concentration et la lettre devant ses yeux tomba sur ses genoux.

_ Tante Eryne, tu m’as fait peur, je ne t’ai pas entendu arriver. Oui, tout va bien, ne t’inquiète pas. J’ai juste eu envie de les relire un peu. As-tu besoin de moi pour quelque chose ?

_ Non pas spécialement. Je suis venue te chercher pour que nous nous rendions ensemble à table. Il va bientôt être l’heure du dîner.

_ Oh ! Il est déjà si tard, je n’ai pas vu le temps passer.

_ Ne t’inquiète pas, nous avons encore du temps avant que les plats ne soient servis. Dis-moi plutôt, que cherches-tu dans ces lettres mon enfant ? Je peux peut-être t’aider ?

 De la main droite, la demoiselle prit la lettre sur ses genoux et la posa sur la table basse. D’un léger mouvement du poignet, la jeune femme fit léviter toutes les autres lettres en direction de la première. Avec souplesse, elle s’assit confortablement. Au contact de ses pieds nus sur le tapis moelleux, un sourire de bien-être étira ses lèvres. D’une main légère, la jeune femme invita sa tante à s’asseoir à ses côtés.

_ Je ne cherche rien en particulier. Je souhaite juste me remémorer quelques bribes de mon passé. Pour t’avouer la vérité, j’ai peur de les oublier. Et que, si je ne les lis pas de temps en temps, les souvenirs s'effacent. Il y a tellement de souvenirs que je ne veux pas perdre.

 La mélancolie dans ses yeux ternit le vert des pupilles de la jeune femme.

_ Si tu as peur de les perdre pourquoi ne pas les noter pas dans un journal comme l’a fait Savannah.

_ Les écrire ? Oui, pourquoi pas. Mais par où commencer ?

 Retrouvant les belles couleurs dans les yeux de sa nièce, la Duchesse Eryne prit sa main dans la sienne et la serra légèrement tout en lui souriant chaleureusement.

_ Tu n’as qu’à t’aider de ton carnet à exploit et des lettres que j’ai écrites. Et tout comme Savannah, il te faut de quoi écrire. Si tu veux bien patienter quelques minutes, je crois que j’ai ce qu’il te faut, justement. Avec un sourire au coin des lèvres, la Duchesse sortit  de la pièce toujours sans aucun bruit.

 Attendant patiemment le retour de sa tante, la jeune femme rangea dans le bon ordre les centaines de lettres, joyau de son passé. Une fois cela fait, elle les enroula avec un ruban vert et les remit sur la table basse. Après quelques minutes passées, la Duchesse apparut les bras chargés d’un coffret entouré d’un ruban violet et vint s’asseoir au côté de sa nièce.

_ Nous comptions te l’offrir le jour de ton anniversaire, mais il faut croire qu’aujourd’hui est le meilleur jour pour te le remettre. Joyeux anniversaire Aliénor, que tes vœux se réalisent, que l’avenir te soit favorable, et que ta seizième bougie illumine l’année à venir.

_ Merci beaucoup, tante Eryne, mais je peux encore attendre un mois, tu sais. Je ne suis plus aussi impatiente que quand j’avais dix ans. Un sourire malicieux étira les lèvres des deux femmes.

 D’un signe de la main, la Duchesse chassa la protestation d’Aliénor et lui tendit le paquet. Avec un large sourire et les yeux pétillants d’excitation, Aliénor défit le ruban qui gardait prisonnier sa surprise. Elle ouvrit soigneusement le couvercle de son coffret, et découvrit à l’intérieur un carnet en cuir de couleur lavande et un stylo plume en argent.

 Émerveillée par la beauté des objets, elle caressa du bout des doigts son nouveau matériel d’écriture. Le journal ouvert sur les genoux, Aliénor découvrit ces quelques mots écrits à l’encre dorée « De la part de ton oncle Timéo et ta tante Eryne. Puisses-tu arpenter les souvenirs de ta mémoire en toute quiétude. »

_ J’espère que le carnet te plaît, nous avons beaucoup hésité sur la couleur. Lavande m’a paru être le meilleur choix. De plus, nous avons fait ensorceler la plume et le carnet pour que tu ne manques jamais d’encre ni de pages. L’avantage avec ce sortilège est qu’il n’altérera pas le poids de ton carnet même si tu écris cinq-cents pages. Alors maintenant, à toi de jouer ma chère enfant.

_ Il est parfait, il est juste parfait. Tu as toujours su quel cadeau m’offrir. Merci mille fois.

 Les bras ouverts, la Duchesse accueillit Aliénor avec joie, et dans cette accolade joyeuse toutes deux sourirent du bonheur de s'être trouvées il y a huit ans.

~

25 octobre 814

Mon Cher Journal,

Aujourd’hui nous sommes le 25 octobre de l’année 814 du calendrier de Jorull. Quel drôle de nom pour un calendrier. Mais bon, puisqu’il fait référence au nom du premier roi, qui a unifié toute les tribus nomades d’Ebélios, pour en faire un royaume puissant, on ne va pas s’en moquer.

Enfin bref, revenons au sujet plus important. La raison pour laquelle j'ai pris ma plume aujourd’hui. Laisse-moi me présenter correctement, je suis Aliénor Chavariou, et je suis née et j'ai grandi dans un monde où la magie est une chose qualifié de mythique. Aujourd’hui je vis dans un autre monde où, cette fois-ci, la magie est utilisée par tous.

Je ne sais par où commencer pour te raconter ma drôle de vie à Ebélios. Alors je crois que je vais suivre les conseils de ma tante et me servir des différentes lettres qu’elle a écrites.

26 octobre 814

Mon Cher Journal,

Te rends-tu compte que je vais avoir 16 ans. 16, quel nombre symbolique.

Aujourd’hui, je me demande si l’histoire va se répéter. Est-ce que tous les 8 ans, une nouvelle surprise de la vie m’attend ?

Le jour de ma naissance, j’ai piqué la curiosité d’un être surnaturel qui a décidé de faire de moi sa nouvelle détentrice. 8 ans et quelques mois plus tard, ce même être surnaturel libéra les pouvoirs endormis en moi. J’ai, le même jour, traversé un portail sauvage pour rejoindre un nouveau monde. Dans un mois j’atteindrai le nombre 16, je me demande bien ce qui peut m’attendre durant cette année.

Plusieurs fois, je me suis demandé comment aurait été ma vie si je n’étais pas entrée dans cette forêt ce jour-là.

Est- ce que Heaven serait quand même partie me trouver ?

Serais-je quand même venu à Ebélios ?

Et si les Ombrumes avaient échoué à me sauver où serais-je aujourd’hui ?

Serai-je toujours coincée dans le monde des rêves ou bien autre part ?

Toutes ces questions, je me les suis posées un bon milliard de fois. Mais le destin en a décidé autrement et il n’y a aucun moyen d’y répondre.

27 octobre 814

Mon cher journal,

Cela fera bientôt 8 ans que je vis ici. 8 ans que le temps passe vite, je me souviens encore de l’année de mes 8 ans.

Quand je repense à cette année-là, je sens une boule de nostalgie m'engloutir. C'est dans la maison familiale de mes grands-parents que je fêtais mon huitième anniversaire. Ce jour-là, ce ne furent que joie et rire, chamaillerie et réconciliations, gâteries et gourmandises. De mon souhait, adressé à la lune, quand je soufflai sur mes bougies. Un moment heureux que nous partagions souvent. À aucun moment, nous ne nous doutions que ce serait le dernier anniversaire que je partagerais avec eux.

La routine de mes journées d’école, des coloriages que je faisais assise au comptoir de la caisse, des bouquets que maman me laissait faire avec les fleurs invendables. Tous ces moments que j’ai passés, on remplit mon quotidien, et de l’automne nous sommes passées en hiver, et emmitouflé de mon écharpe rouge, je franchis le pas de la nouvelle année.

Et c’est toujours dans la même routine que ma famille et moi franchissons le solstice de printemps. Au cours du mois de mars de mes 8 ans, mon père décida de venir se ressourcer à la campagne en famille. C’est cette semaine-là que j'ai rencontré Heaven.

28 octobre 814

Mon cher journal,

C’est dans la nuit du 27 au 28 mars de l’année 807 du calendrier de Jorull, que je fis mon apparition à Ebélios.

Les quelques mois qui suivent mon arrivée à Ebélios sont très flous. Je me souviens juste que je me sentais en sécurité dans mon rêve avec Jonas. Mais comme pour la plupart des rêves, une fois réveillés, ils s’effacent pour laisser place à la réalité.

Avec l’aide des Ombrumes, je pus m’échapper de la forêt des Murmures, et les retrouvailles avec Jonas furent un véritable soulagement. Je voyais enfin un visage familier.

Tout avait déjà été décidé, à partir de ce jour-là, je serai sous la responsabilité du Duc et de la Duchesse de Brume et logerai chez eux. Et c’est dans le fiacre de la Duchesse de Brume que j’ai traversé pour la première fois la Blanche Forêt Brumeuse.

29 octobre 814

Mon cher journal,

À mon réveil dans la forêt des Murmures, je sus instinctivement que je n’étais plus chez moi, mais à Ebélios, même si Heaven m’avait avertie au préalable. Sur le moment, je n’avais pas saisi l’ampleur des changements que cela impliquait. C’est donc, allongé dans ce cocon de douceurs, au lendemain de ma première nuit à Brume que je posai ma question.

Quand est-ce que je pourrais voir mon papa et ma maman ?

La réponse fut une déchirure pour mon cœur, et pendant un court instant, je crus voir de la culpabilité dans les yeux d’Heaven. Cette nuit-là, comme beaucoup de nuits au cours de l’année de mes huit ans, je m'endormis après avoir beaucoup pleuré.

En plus de ma tristesse, venaient s’ajouter de forts épisodes de fièvre. Mais heureusement, je ne fus jamais seul. Heaven, bien sûr, reste à mes côtés, bien qu’elle s'absente de temps en temps. Jonas, lui passait tout son temps libre avec moi, et le reste de la journée, je la passais avec la Duchesse ou Agathe, la nourrice du manoir.

Après deux mois de convalescence, la famille Flereterram et moi fûmes convoqués au temple des divinités pour rencontrer le Vieux Juge. Cette rencontre marqua une nouvelle page de ma vie. J’obtiens 2 choses précieuses ce jour-là. Ma perle étoilée et mon bracelet de protection. Grâce à ce dernier, j’arrive à contrôler mon surplus de pouvoir, ce qui m’évite de tomber malade.

30 octobre 814

Mon cher journal,

À notre retour au manoir, le Duc et la Duchesse me demandèrent si je voulais étudier avec Jonas. Bien sûr, les cours seraient adaptés à mon niveau. J'ai tout de suite accepté, car de l’enseignement que Heaven m’avait donné il ne restait presque plus rien. Ils étaient comme un rêve que je n’arrivais plus à me remémorer en entier. C’est ainsi qu’une nouvelle routine s’installa pour moi. Avec l’aide de Gladys, ma nouvelle enseignante, il ne me fallut que quelques mois pour rattraper le niveau des enfants de mon âge. J’ai donc pu rejoindre Jonas et continuer à apprendre sous la tutelle du précepteur et de Gladys.

31 octobre 814

Mon cher journal,

Cet été là, ma rencontre avec le Vieux Juge ne fut pas le seul évènement notable qui eut lieu, une chose très importante s'est produisit. Au cours de l’été 807, le royaume était en fête pour célébrer la majorité du premier prince Maëlan. Mais ses 20 ans furent le théâtre de grandes décisions. Comme tu le sais sûrement, mon cher journal, le roi a eu deux fils, chacun né d’une mère différente. Et comme le veut la tradition, c'est le premier né qui hérite du trône, mais il faut croire que tout le monde n’était pas d’accord avec cette tradition. Trois factions se sont formées au sein du palais. Ceux pour l’ascension au trône du premier prince, ceux pour le second prince Ezéckiel, et enfin ceux restant neutres dans cette bataille ridicule. Le duché de Brume est bien sûr rester neutre.

Enfin bref, revenons à l’anniversaire du prince Maëlan. Ce soir-là, il a surpris tout le monde en déclarant officiellement renoncer à son droit d'aînesse sur le trône. Il ne voulait pas hériter des charges qu'engendrerait la responsabilité d’être roi. Quel choc ce fut pour l'assemblée présente dans la salle de bal. Même le roi n’était pas au courant de cette décision.

Tout le monde fut abasourdi, il faut dire aussi que c’était une première, jamais un héritier n’avait renoncé à ce qui lui revenait de droit.

Au cours des semaines qui suivirent la déclaration du prince Maëlan, la faction qui le soutenait, tenta, en vain, de le faire changer d’avis. Cet été-là, le second prince Ezéckiel, âgé de 12 ans, devint le prince héritier du royaume d’Ebélios.

1er novembre 814

Mon cher journal,

Je me souviens encore de la première bêtise que j’ai faite avec Jonas. Qu’est-ce qu’on avait ri ce jour-là. C'était un jour de septembre, après la classe, Jonas et moi sommes allés cueillir des myrtilles. Après être revenus tout barbouillés de myrtille, nous avons demandé à la Duchesse l’autorisation de faire une bonne tarte avec notre récolte. Avoir envahi la cuisine n’a pas beaucoup plu à notre chef cuisinier. Mais je crois que la bataille de farine déclenchée par Jonas fut la goutte de trop pour cet homme passionné. Résultat nous avons été bannis de ce lieu avant la fin de la cuisson de notre bonne tarte.

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