Chapitre VI. Que de souvenirs. 2/2

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« J’ai voyagé dans mes souvenirs, j'y ai laissé mes larmes. » Angelo Heilig

2 novembre 814

Mon cher journal,

Au fil des mois je me suis fait petit à petit à l’idée de rester coincée ici, à Ebélios. J’arrive de plus en plus à m’ouvrir à mon entourage proche. Bien sûr, ma famille me manquait énormément. Mais je crois que le changement s’opéra vraiment quand je découvris la serre du Duc.

Ce soir-là, après le dîner, je découvris ce qui allait devenir mon endroit préféré sur le domaine. Profitant des dernières soirées de douceur du mois de septembre, nous nous sommes dirigés vers une partie des jardins que je n’avais pas encore vue. Éclairée par des lanternes suspendues et mon petit essaim de lucioles, je découvris une serre entièrement faite de verre.

Sous cette bâtisse transparente remplie de plantes et de fleurs de toutes les couleurs, j'entrai dans le jardin privé du Duc, seul endroit où il pouvait donner libre cours à sa passion des végétaux en tous genres. Plus tard, ça deviendrait un lieu où le Duc et moi partagerions de longues discussions tout en prenant soin des différents habitants de la serre.

5 novembre 814

Mon cher journal,

Quand la fin du mois de novembre arriva, la fin de l’année de mes huit ans s’acheva. Pour la première fois, je passai un anniversaire loin de ma famille. Ce jour-là il y eut beaucoup de pleurs, câlins de réconfort, et de mots apaisants. Tout le contraire de mes huit ans. Mais ce jour-là ne fut pas sans bonheur. Comme cadeau pour mes neuf ans, j'ai reçu un portrait de ma famille au complet. Grâce à un peintre qui avait le don de reproduire n’importe quel portrait grâce au souvenir.

6 novembre 814

Mon cher journal,

C’est accompagné de la famille Flereterram que j'ai passé le cap du premier anniversaire de mon arrivée à Ebélios. C’est aussi à ce moment-là que le roi Léonard, la reine Isabeau et le premier prince Maëlan, vinrent en visite officielle au duché de Brume. Ce jour-là, il ne manquait que le second prince Ezéckiel pour que la famille royale soit au complet. Bien évidemment le roi demanda à me rencontrer. Je dus lui faire forte impression, car après ce jour, il entretint une correspondance assidue avec la Duchesse à mon sujet. C’est d’ailleurs cet échange de lettres que je lis souvent pour ne rien oublier de mon passé.

8 novembre 814

Mon cher journal,

Le temps est passé tellement vite et les années ont défilé en se ressemblant beaucoup. J’étudiais en compagnie de Jonas, je me rendais au temple des divinités pour que le vieux juge récolte la larme de pouvoir. À bien y réfléchir, je crois que je vais appeler ces larmes, les larmes d’Heaven. Après tout, c'est le surplus de pouvoir d’Heaven qui crée ces larmes.

Avec mes nombreuses visites au temple je me suis petit à petit rapproché d’Élisa, et nous sommes devenus amie, pour mon plus grand bonheur. Quand je n’étais pas au temple ou en train d'étudier, je partais à l’aventure avec Jonas et Élisa dans les jardins du manoir.

9 novembre 814

Mon cher journal,

Nous voilà en septembre 808, à cette époque je n’avais que 9, bientôt 10, et Jonas 12. C’est entre 12 ou 13 ans, selon notre mois de naissance, que nous faisons nos débuts à l’académie de l’Épine. C’est donc cette année-là que Jonas partit faire sa rentrée à l’académie de magie de l’Épine.

L’académie de l’Épine est le lieu où les enfants vont étudier après être allé à l’école de la découverte magique.

C’est l’académie la plus réputée du duché. Comme tous les élèves, Jonas vivait à l'internat. Je ne le voyais que pendant les vacances et les rêves que nous partagions ensemble. Je me sentais bien seule quand il n’était pas là.

[…]

14 novembre 814

Mon cher journal,

Quand j’ai eu 10 ans, la Duchesse me proposa de faire partie officiellement de leur famille. Bien que depuis mon arrivée j’étais considérée comme leur propre fille, il n’y avait rien d’officiel. Étant donné que je savais que je ne retournerais plus auprès de mes parents, j’accepta leur proposition.

Quand vint le moment de m’inscrire dans l’arbre généalogique de la famille Flereterram, on me préleva une goutte de sang. Grâce à ces gouttes de sang, un nouveau lien indélébile se créa. On découvrit que, la famille Flereterram et la famille Chavariou partageaient un ancêtre en commun. Il y a environ 130 ans une jeune femme fut reniée par sa famille. Elle ne voulait pas se plier aux exigences de ses parents et préférait partir à la découverte du monde. Au cours de son voyage, elle traversa un portail sauvage et arriva à Brume.

Elle s’appelait Savannah. Étant donné qu’elle avait été reniée, Savannah abandonna son nom. Après quelque temps à Brume, elle épousa un homme, le Duc de Brume. Il se trouve que mon arrière-grand-père etait le frère de l’arrière-grand-mère de Jonas.

Avec cette découverte je me suis sentie heureuse. Mais il était quand même impossible pour moi de les appeler papa et maman. Alors le Duc et la Duchesse me proposèrent de les appeler mon oncle et ma tante en privé et père et mère en public.

19 novembre 814

Mon cher journal,

Deux ans plus tard, en septembre 810, Élisa et moi rejoignîmes Jonas pour faire notre entrée à Épine. Au premier jour dans cette académie, notre duo de filles se transforma en trio avec la rencontre d’Héloïse. Et bientôt nous furent toutes les trois inséparables. Pendant toute la durée de ma première année à Épine, Jonas fut très protecteur vis-à-vis de moi. Mais quand il vit que je m'adaptais bien à la vie dans l'académie, il cessa petit à petit de s’inquiéter.

[…]

20 novembre 814

Mon cher journal,

Pour ma propre sécurité, la nature de mon don ainsi que mon véritable niveau furent cachés. Aux yeux de tous je suis une étoile à six branches et mon don est la compréhension magique.

Avant d'entrer à Épine j’avais eu 5 ans pour comprendre l'étendue de mon don. La magie des dragons antique est un don effrayant. Il n’a aucune restriction, aucune limite, il n’est spécialisé dans aucune des magies. Je peux aussi bien maîtriser la magie des éléments que celle des astres ou du sommeil. Du moment que je comprends le fonctionnement même de la magie que je veux utiliser, rien ne m'est impossible.

Il y a une chose que je ne dois jamais oublier quand j’utilise mes pouvoirs. C’est que, si je veux utiliser la magie au-delà du niveau 6, il y aura des répercussions, plus ou moins lourdes, sur ma santé. Ça peut aller d’une forte fièvre à l'inconscience pendant plusieurs jours.

24 novembre 814

Mon cher journal,

En plus des cours habituels donnés à tous les élèves, je dois suivre des cours de danse et autres enseignements dûs à mon rang. Être la fille du duché de Brume n’est pas de tout repos, mais heureusement Héloïse et Élisa sont avec moi. Héloïse est la fille du Comte d'Amboise qui supervise la partie nord du duché de Brume et Élisa est la petite fille de la grande prêtresse du temple de Brume. Du fait de l’importance de leur famille, elles sont, elles aussi, obligées de suivre ces enseignements.

26 novembre 814

Mon cher journal,

Aujourd’hui c’est mon anniversaire, j'ai 16 ans. Tout le monde est en effervescence mais moi je suis plutôt inquiète. Tu vas peut-être me prendre pour une parano, mais je n’arrive pas à me sortir de la tête qu’il va, forcément, se passer quelque chose cette année.

22 décembre 814

Mon cher journal,

Il y a une chose qu’il faut que tu saches. Ici, Noël, la St Valentin, Pâques, ou encore la Toussaint ne sont pas des fêtes connues, et donc pas célébrées. A la place ils ont leur propre célébration.

Tous les ans, à la même date, dans tout le royaume, les équinoxes et les solstices sont des jours de célébration. Les solstices d’hiver et d’été sont plus célébrés par les aristocrates, avec leurs bals grandioses, alors que les fêtes d’équinoxes du printemps et d’automne, sont plus des fêtes associées au peuple. Il n'y a qu’au palais royal et dans quelques résidences aristocratiques que toutes les saisons sont célébrées.

Bien que je sois la fille du duché de Brume, j'ai une plus grande préférence pour les fêtes d’équinoxe que pour celles des solstices.

La fête du printemps, symbole de renouveau, de renaissance pour la nature, et du retour des rayons du soleil. Ce jour-là, les rues sont décorées avec une multitude de rubans colorés, et petits et grands se réunissent dans les rues pour chanter et danser jusqu’au petit matin. L’équinoxe du printemps est aussi appelée la fête des cœurs réunis.

Le solstice d’été, symbole du rayonnement de la nature, de la chaleur et de la joie. Pour l’occasion le manoir accueille toutes les plus importantes familles du duché pour un grand bal. La plupart du temps, j’arrive à m’éclipser sur une terrasse extérieure et je pars me réfugier dans la serre pour admirer les étoiles au travers du plafond de verre. Pour ce solstice nous offrons aux dieux des offrandes pour les remercier de nous avoir offert nos dons.

L’équinoxe de l’automne symbolise les récoltes, l’endormissement de la nature et des derniers jours de chaleurs avant l’hiver. Comme pour le printemps, les rues sont décorées et remplies de stands et de marchands. C’est aussi le moment de faire le plein d’énergie, pour le dur travail qui nous attend avec les récoltes à venir. Mais c’est aussi l’occasion de rendre visite à nos disparus et de leur confier nos pensées.

Et enfin l’hiver, symbole de repos pour la nature et pour l’homme. Pour ce solstice nous organisons un bal des lumières. Chacun d’entre nous se voit attribuer une bougie placée au bord d’une des fenêtres de la grande salle de bal. Quand tous les invités sont bien arrivés, nous allumons les bougies et les festivités de la soirée peuvent commencer. Quand la dernière bougie vient à s’éteindre, nous couronnons son propriétaire. Cette personne devient ainsi l’enfant chéri de l’hiver pendant un an. La plupart du temps ce titre s’accompagne d’un souhait offert par l’hôte de la soirée. Le solstice d’hiver est associé à l’entraide et la bienveillance durant les jours de froid.

Aujourd’hui est donc le jour du solstice d’hiver, et en cette soirée de fête je vais devoir poser ma plume et rejoindre Jonas, tante Eryne et oncle Timéo pour accueillir les invités. Souhaite-moi bonne chance pour que je …

~

 Assise à son bureau, installé devant l’une des fenêtres de sa chambre, Aliénor était plongée dans l’écriture de son journal. Oubliant totalement le monde extérieur qui l’entourait. Il n'était donc pas surprenant qu’elle sursaute facilement au bruit brutal et fort. C’est donc, la main suspendue au-dessus de la page de son journal, qu’Aliénor fit un bond sur sa chaise quand elle entendit Jonas frapper énergiquement à sa porte.

_ Alie, es-tu prête ? Il va être temps pour nous d’accueillir les invités. Père et mère nous attendent déjà. J’en suis sûr !

 Aliénor eut juste le temps de fermer son journal que Jonas ouvrit la porte et fit son entrée dans la chambre. Dans son costume chic, Jonas était magnifique, mais c’est le nœud papillon de la même teinte que ces yeux qui rendait la tenue complète et harmonieuse.

 D’une démarche rapide, Jonas traversa la pièce et s’arrêta devant le miroir plein pied de sa sœur adoptive.

_ J’ai besoin de ton aide Alie, ce foutu nœud ne veut pas rester en place. Bon sang que ce soit celui de l’uniforme de l’académie ou celui-ci je n’arrive jamais à bien les mettre.

 En lutte et pestant contre son nœud papillon, pour le mettre en place, Jonas ne fit pas tout de suite attention à ce qui se trouvait derrière lui.

 Les lèvres étiraient en un sourire malicieux, Aliénor retenait difficilement son rire. Dans un mouvement gracieux, elle se leva et rejoignit Jonas pour l’aider dans sa bataille.

_ Ça fait six ans que tu es à l’académie et tu n’arrives toujours pas à faire un nœud papillon. Si tu arrêtais de jouer avec peut-être qu’il tiendrait en place. Allez, tourne-toi et laisse-moi faire.

_ C’est pas de ma faute, il …

 Lentement, Jonas se retourna et perdit ses mots quand, enfin, ses yeux se posèrent sur Aliénor.

 Dans une magnifique robe en satin de soie bordeaux, Aliénor irradiait de beauté. Sa robe recouvrait ses épaules de moitié et descendait dans un magnifique décolleté en cœur. Soulignant sa taille, le buste de sa robe était recouvert de broderies faites en filament d’or. Dessinant des formes de feuilles d’automne et de flocons d’hiver, les broderies se perdaient dans une jupe volante qui touchait le sol. Les bras recouverts par des manches trois-quarts, ils étaient agrémentés de bracelets fins et discrets, tout comme le collier qui habillait son cou. Dans ses cheveux, lâchés en cascade sur son dos, des ornements rappelant les broderies de sa robe étaient accrochés méthodiquement. Et pour finir, on lui avait appliqué un maquillage discret sur ses joues et ses paupières.

_ Alie, tu es... tu es splendide. Vraiment splendide. Je vais devoir rester bien à côté de toi ce soir, si je ne veux pas qu’on me pique ma cavalière.

 Sourire aux lèvres, Aliénor fit une légère révérence au compliment que Jonas lui avait offert.

_ Je te remercie Jonas. Et si je m’occupais de ton nœud maintenant, sinon nous allons être vraiment en retard.

 Droit comme un "I", Jonas laissa Aliénor remporter la victoire face au tissu récalcitrant. Les yeux attirés par le journal d’Aliénor, Jonas ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Il savait ce que contenait ces pages, toutes ses peines ses joies, ses doutes, et ses pensées les plus secrètes.

_ Dis-moi Aliénor, cela te soulage-t-il vraiment d’écrire entre ces lignes. Est-ce que te replonger dans tes souvenirs ne va pas te faire souffrir, comme avant ?

 D’un mouvement habile, Aliénor fini de faire le nœud papillon, et délicatement posa ses mains sur les joues de Jonas.

_ Je te remercie du fond du cœur pour ton inquiétude mon grand frère protecteur. Et il est vrai que me replonger dedans me rend nostalgique. Mais, en le faisant, je dépose mes larmes aux côtés de mes souvenirs, je me délivre de ma tristesse pour pouvoir sourire à ces souvenirs chers à mon cœur.

 Les yeux plongés dans ceux de son frère, Aliénor lui transmit toute la sincérité de ses mots. Après quelques minutes à se fixer, elle rompit le contact et déposa un baiser sur chacune des joues de son cavalier et l'attrapa ensuite par le bras.

_ Allez, l’instant nostalgique est fini pour aujourd’hui, il y a une fête qui nous attend. Nous avons fait patienter assez longtemps oncle Timéo et tante Eryne.

 C’est le cœur léger et au bras de son cavalier qu’Aliénor se rendit auprès du reste de sa famille, pour accueillir les nombreux invités du bal d’hiver.

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