Chapitre 1 : Le souffle de l’exil

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La route était longue, silencieuse, presque hostile sous ses pas. Faënor, elfe de la forêt de Keldill, marchait depuis trois jours. Il ne se retourna pas. Il savait qu’il ne reverrait jamais son village. Le bannissement avait été prononcé, et cette fois, même Eledhwen n’avait rien dit pour le retenir. Ou peut-être avait-elle trop dit.

— Ta curiosité te tuera un jour, murmurait encore sa voix dans son crâne.

Une larme silencieuse roula sur sa joue, captant un rai de lumière qui faisait briller ses yeux verts.

Ses pieds le brûlaient. La peau craquée par la marche, les muscles raidis par le froid. Deux nuits dehors. Deux nuits sans sommeil, ou si peu. La forêt, la nuit, n’est plus un abri. C’est un souffle féroce, un cri contenu. Chaque bruissement, chaque froissement, pouvait être la préface d’une fin. Il avait peur. Pour la première fois. Lui, qui n’avait jamais franchi les lisières du village, était à nu, exposé.

— Cette nuit sera la dernière, se disait-il comme un serment.

Brunok était proche. Une ville humaine, carrefour de routes et de destins, où il pensait pouvoir trouver refuge. Après cela, il viserait un autre village elfique, plus loin. Peut-être. Si ses jambes tenaient. Si son cœur ne cédait pas avant.

Le crépuscule s’était glissé dans les feuillages, tamisant la forêt d’une lumière cendrée. Faënor trouva un recoin, entre deux troncs massifs, pour y poser son maigre bivouac. Il voulut faire un feu. Mais la nuit précédente avait été trop parlante : la lueur attire. La lueur dénonce. Il s’enveloppa donc dans sa cape, s’allongea dans les feuilles mortes, et tenta de respirer plus doucement que la forêt elle-même.

Il était épuisé. Chaque nerf de son corps criait la fatigue. Mais son esprit ne dormait pas. Son esprit appelait Eledhwen.

Il la revoyait, grande, digne, la peau aux reflets d’écorce tendre, la chevelure d’argent capturée derrière ses oreilles fines. Sa voix, son regard, ce sourire capable de renverser un tumulte. Il sentait encore ses doigts dans les siens, la chaleur douce de son souffle sur sa peau. Et puis... son absence. Sa décision. Le bannissement. Le refus de le défendre.

Pourquoi ?

« Pourquoi ai-je regardé là où je n’aurais pas dû ? »

Il avait surpris un ancien du village, s’aventurant dans un lieu interdit, parlant à un étranger. Il ne savait pas ce qu’il avait vu. Mais il avait vu. Et ça avait suffi.

Un bruit. Une vibration. Quelque chose qui ne venait pas de lui.

Il se redressa, accroupi. À l’affût.

Un grognement. Lourd. Viscéral.

Ses oreilles vibrèrent. Ses muscles se tendirent. Il savait.

Le félin sombre émergea de l’ombre. Pelage noir comme la nuit dévêtue d’étoiles, yeux jaunes comme deux blessures ouvertes. Dents luisantes, griffes capables de fendre la pierre. Il bondit.

Faënor roula au sol, dans un élan presque gracieux. Ce n’est pas qu’il savait se battre. C’est qu’il était rapide. Trop pour mourir ici.

Il courut. Dévalant les pentes, effleurant les racines. Sa chevelure blonde fouettait l’air. Le félin le suivait, rugissant.

Il avisa un arbre. Un tronc large, rugueux. Il sauta, heurta l’écorce, s’y accrocha. Ses bras tirèrent, ses jambes poussèrent. Il grimpa. Il s’éleva.

La bête tourna autour. Cracha sa frustration dans un feulement rauque. Et attendit. Longtemps. Mais Faënor ne redescendit pas.

Il resta perché là-haut, recroquevillé, les jambes engourdies, le souffle erratique.

Et il revit Eledhwen. Encore. Toujours. Comme un rêve qui refuse de se taire.

Est-ce qu’elle lui pardonnerait un jour ? Ou bien avait-elle cessé de l’aimer ? Ou pire : ne l’avait-elle jamais aimé ?

Il serra les bras contre lui, ferma les yeux. Et dans le noir, il murmura :

— Ne m’oublie pas.

Mais seul le vent lui répondit, en frôlant les feuilles comme un adieu que personne n’a prononcé.

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