Chapitre 4 : Une chaleur volée
Faënor était accroupi dans l’ombre, les bras serrés contre lui, tremblant. La ruelle le couvrait comme un linceul d’ombre, un refuge fragile mais suffisant pour cette nuit. Il n’osait plus bouger. Il écoutait. Chaque bruissement, chaque souffle, devenait une menace possible. Il attendit que le silence prenne racine.
Puis il se releva. Lentement. Les jambes encore vacillantes, la tête lourde. Il marcha, à pas feutrés, jusqu’au croisement de la ruelle. Un coup d’œil à droite. Rien. À gauche. Rien non plus. Il accéléra, se fondit dans les ruelles grises, jusqu’à atteindre enfin l’auberge.
Il poussa la porte.
Une chaleur l’accueillit aussitôt, mais aussi un vacarme : des voix ivres, des rires, le cliquetis des couverts et le grincement des bancs. Faënor hésita. Ce monde bruyant n’était pas le sien. Mais il s’approcha tout de même du comptoir.
— Excusez-moi, murmura-t-il. Auriez-vous une chambre ?
Sa voix tremblait. L’aubergiste se retourna, plissa les yeux en le voyant, puis grimaça comme si une odeur le dérangeait.
— Non. Rien pour toi.
Le ton était sec. Définitif. Mensonger aussi. Faënor le savait. Il avait vu la lumière filtrer de l’étage, aperçu des fenêtres closes. Il soupira. Pas de place pour lui. Nulle part.
Mais il ne voulait pas repartir. Il n’en pouvait plus. Son corps criait la fin. Il avait besoin d’un lit. D’un drap. D’un peu de silence.
— C’est parce que je suis un elfe ? demanda-t-il, la voix plus droite, malgré la peur.
L’homme le fusilla du regard. Ses dents jaunes se découvrirent dans une grimace carnassière. Il frappa le comptoir du poing.
— Dégage avant que je t’éventre. Tu devrais déjà être mort, morveux.
Faënor recula. Les rires fusèrent derrière lui. Une chope vide s’écrasa contre l’arrière de son crâne. Il ne cria pas. Il sortit.
Dehors, les larmes roulèrent sur ses joues sans bruit. Il était fatigué. Trop fatigué pour lutter. Trop seul pour se défendre. Il massa l’arrière de sa tête, là où la chope l’avait frappé. Ce n’était pas douloureux. Juste humiliant.
Il retourna vers la ruelle où il s’était réfugié plus tôt. Elle lui semblait presque familière, maintenant. Elle serait son refuge. Sa chambre. Son lit de pierre et d’ombre.
Mais quelque chose l’arrêta. Une lumière. Une fenêtre entrouverte, juste au-dessus.
Il regarda autour. Personne. Alors il grimpa. Ses mains trouvèrent des prises. Ses pieds aussi. Il monta, souplement. Une fois le rebord atteint, il bascula à l’intérieur.
Une chambre. Vide. Obscure. Parfaite.
La porte était fermée à clé. Parfait. Le lit attendait. Draps propres. Matelas de plume. Une chaleur douce, une odeur de bois et de lessive. Il s’y glissa comme on entre dans un rêve interdit.
Il ferma les yeux. Un instant seulement. Pour respirer. Mais les rires d’en bas lui parvenaient encore. Les chants, les voix épaisses. Il soupira.
— Cette nuit... je dors au chaud, murmura-t-il pour lui-même.
Il s’enfouit sous la couverture. Son corps se relâcha lentement. Les muscles cessèrent de protester. Ses paupières s’alourdissaient. Et même si le bruit persistait, même si le monde hurlait à l’extérieur, en lui quelque chose s’apaisait.
Le sommeil le prit sans violence. Comme un souvenir d’enfance. Comme une dernière caresse.
Et dans ce lit volé, il ne rêva pas. Ou alors... il rêva d’un lieu sans regards, sans poings, sans guerre. Un lieu où il ne serait ni elfique, ni banni. Juste vivant.
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