IV. L'héritière, deuxième partie (mini-chapitre)

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 L'indication de l'héritière poursuivie se révéla juste, et le chemin ne leur réserva aucune mauvaise surprise hormis une pluie lourde et lasse qui trempa rapidement jusqu'aux os les deux voyageurs. Jal devint de plus en plus maussade et le troubadour se taisait, signe éloquent de sa lassitude. Aussi, lorsque la forêt dense céda le terrain à des cultures soigneusement délimitées, leur premier réflexe fut-il de chercher des yeux un abri quelconque. Nul n'avait prononcé un mot depuis la rencontre d'Olga. Ils ne trouvèrent rien. Jal renfonça son chapeau en maugréant et referma sa cape, qui se rouvrit dès qu'il reprit les rênes. La mauvaise humeur s'infiltrait dans les habits. La fourrure alourdie et trempée de Phakt n'arrangeait pas les choses. L'horizon se retrouvait noyé sous le gris flou des nuages. Jal consultait régulièrement sa boussole pour vérifier la direction et à chaque fois retrouvait le sourire une demi-seconde en voyant la fleur bleue séchée contenue sous le verre. Le pas obstiné de sa monture le berçait et il lui fallait toute sa détermination pour ne pas dodeliner de la tête malgré le froid se glissant dans son cou. Il mit quelques secondes à réaliser que Mélodrille lui parlait.

  • Jal ! Nous dévions ! Vous venez de quitter le chemin !

 Il releva la tête.

  • Oh, pardon.

 Il resserra les doigts et guida Phakt vers le chemin à demi effacé sous les ruisseaux de pluie. Le sol de la lande devenait une fondrière spongieuse qui faisait glisser l'ordimpe. Même ses griffes puissantes traçaient simplement des lignes inefficaces dans la boue. Jal constata son état d'épuisement et s'en inquiéta. Qu'aurait-il donné pour se retrouver derrière les murs confortables du château de Judiaphe, au coin du feu ! Il serra la main sur son écusson. Il avait choisi ce poste de messager ; il en subirait les inconvénients sans se plaindre. Et puis cette pluie lui en rappelait une autre, plus fraîche et plus fine, celle qui lui avait fait rencontrer Lidwine, le jour même de son arrivée à Lonn. Jamais il ne rendrait suffisamment grâce à cette eau tombée du ciel. Jal redressa soudain la tête ; il avait perdu la notion du temps, mais devant lui se dressait un hameau de fermes avec une bougie tremblotante derrière les vitres. Le messager mit aussitôt pied à terre.

  • On va demander asile.
  • Vont-ils accepter ?
  • Ils sont obligés de m'accueillir, selon le Code. Mais j'ignore pour vous.

 Le troubadour haussa les épaules.

  • Ma faconde suppléera sans nul doute à l'obligation... Et puis je suis prêt à offrir à ses braves gens rétribution pour leur gîte.

 Jal frappa au carreau dépoli. La bougie à l'intérieur se déplaça légèrement ; il insista. Des verrous finirent par claquer, plusieurs d'affilée, et une femme leur ouvrit.

  • Que voulez-vous ?
  • Abri et asile, madame. Je suis messager, mon camarade est troubadour. Nous cherchons simplement un abri pour nous et mon ordimpe pour échapper à la pluie.
  • Un messager ?

 La paysanne, forte d'épaules et de hanches, leva sa lanterne pour mieux distinguer le visage du voyageur.

  • Vous ne seriez pas un peu jeune ?
  • J'ai 17 ans, madame. Je viens d'obtenir mon titre.

 Il détacha l'écusson de sa sangle pour lui montrer.

  • Messire... très bien, entrez. Votre bête trouvera un coin dans notre écurie.
  • Mais certainement, je vais m'en charger.

 Mélodrille avança d'un pas.

  • En ce concerne, hôtesse fort serviable, je me propose de régler une pension d'un soir au tarif de votre convenance, ne bénéficiant pas comme mon camarade du bienfaisant privilège de son ordre.
  • Heu... oui... balbutia la pauvre femme, étourdie par le verbiage du troubadour et n'en ayant pas compris la moitié.

 Elle le laissa entrer tandis que Jal conduisait Phakt vers la bâtisse allongée qu'il supposait être l'écurie. La pluie continue transformait la cour en bourbier spongieux et il glissa à plusieurs reprises, pour se rattraper contre l'épaule soyeuse de sa monture.

  • Courage, mon beau, grogna Jal en pesant contre la haute porte de tout son poids, tu vas pouvoir te reposer.

 Le vent glacé s'interrompit lorsqu'il parvint à ouvrir. Il recoiffa ses cheveux trempés sous son chapeau et fit avancer Phakt à l'intérieur. La tiédeur dégagée par les trandines qui les regardèrent entrer lui fit venir les larmes aux yeux. Il installa son ordimpe dans une loge vacante et caressa vaguement le pelage trempé de son dos.

  • Voilà, tu es au chaud. Dors bien.

 Il détacha son sac de la selle, enleva le harnachement et retourna vers la maison.

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