Chapitre 23 – Ce que la ville a laissé derrière

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Le vent du matin portait l’odeur mêlée de poussière sèche et de pain chaud.

J’ai ouvert les volets d’une main encore fatiguée.

La chambre était modeste, les murs tachés par le temps, mais l’air y circulait librement.

Adrien dormait encore.

Une main sous l’oreiller, l’autre abandonnée sur le drap.

Il avait cette respiration calme des hommes qui ne luttent plus pour survivre, mais qui commencent enfin à exister.

J’ai descendu les marches en bois grinçantes, traversé la cour.

Les enfants du voisin étaient alignés pour aller à l’école.

Ils m’ont salué avec des grands gestes :

— Docteur Jo !

Je leur ai répondu avec une grimace complice.

Je n’étais plus “l’interne de Kinshasa”.

Ici, j’étais simplement un médecin parmi les autres.

Le dispensaire tenait en deux pièces, un bureau et une pharmacie improvisée.

Mama Nicole, la responsable du centre, m’a lancé en riant :

— Tu es en retard aujourd’hui, garçon de la ville !

J’ai souri.

— J’apprends à vivre au rythme de la terre.

La journée s’est déroulée comme les autres.

Une femme enceinte venue à pied sur quatorze kilomètres.

Un petit garçon fiévreux.

Un vieil homme qui venait surtout pour parler.

Et puis, en fin d’après-midi…

Un garçon d’environ 17 ans, silencieux, les yeux fuyants.

Je l’ai fait entrer, puis j’ai fermé la porte derrière lui.

— Tu viens seul ? ai-je demandé.

Il a hoché la tête.

— Je… Je dois parler. Mais pas pour une maladie.

Je me suis penché, doucement :

— Tu peux parler. Rien de ce que tu diras ici ne sortira d’ici.

Il m’a observé longuement, avant de murmurer :

— Ils disent que t’es pas comme les autres. Que t’étais à la télé. Que t’aimes pas les femmes…

Je suis resté silencieux.

Il a baissé les yeux.

— Moi non plus. Et j’ai peur. J’ai peur qu’un jour, on me brûle.

Ma gorge s’est nouée.

Je lui ai tendu la main, lentement.

Et j’ai posé la mienne sur la sienne.

— Tu n’as pas à avoir honte.

Tu es vivant. Et tu es aimé.

Il a pleuré.

Là, dans ce bureau sans climatisation, sans écran, sans luxe.

Un sanctuaire venait de naître.

Note de l’auteur :

Ce chapitre parle de transmission. Quand on ne peut plus parler à la foule, on parle à l’un. Et c’est là que tout commence. Une parole qui console, un geste qui rassure. Ce n’est pas la ville qu’on laisse derrière. C’est le bruit, le jugement, la peur. Ici commence l’espace où l’on peut enfin respirer.

La Voix Qui Écrit

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