Chapitre 24 – Le combat discret
Adrien tenait la lettre entre ses doigts.
Le papier était froissé, sale. L’enveloppe portait le tampon de l’hôpital de Kinshasa, mais l’écriture à l’intérieur n’était pas officielle.
“Vous croyez être loin. Mais on n’oublie pas ceux qui souillent la blouse blanche. Bientôt, tout le monde saura.”
Pas de signature. Pas d’adresse. Juste une menace.
Adrien resta debout un long moment, figé, le regard perdu dans le vide. Puis, lentement, il plia la lettre… et la brûla dans le feu du poêle, sans rien dire à moi.
Pendant ce temps, je marchais dans le petit sentier de terre, direction la chapelle du village. Le père Emmanuel, un vieil homme en soutane usée, m’accueillit avec un sourire fatigué.
— Tu viens te confesser ?
— Non. Je viens te proposer un marché.
Le prêtre m’invita à m’asseoir.
— Je veux ouvrir une permanence d’écoute. Un endroit discret. Pour les jeunes qui ont peur. Ceux qui vivent ce que j’ai vécu.
Le vieux prêtre me fixa longuement.
— Et tu veux que je leur parle de Dieu ?
Je souris tristement.
— Non. Je veux que tu leur parles d’amour.
Il me regarda, pensif.
— Tu sais qu’ils vont te traiter de recruteur, de corrupteur, de démon…
— Je sais. Mais je sais aussi ce que j’aurais donné pour avoir quelqu’un à qui parler à 16 ans. Si j’avais trouvé un endroit… un seul endroit où j’étais libre d’être moi… je n’aurais pas voulu mourir tant de fois.
Le silence tomba entre nous.
Puis, le prêtre murmura :
— Ce que tu veux faire… ce n’est pas médical. C’est… pastoral.
— C’est humain, répondis-je simplement.
C’est ainsi que, dans une petite pièce derrière la chapelle, entre deux sacs de riz et une armoire poussiéreuse, naquit “L’Espace Lumière”. Une salle où l’on pouvait parler sans être jugé. Pleurer sans être condamné. Et parfois, pour les plus brisés… juste rester là. En silence.
Adrien vint y faire des permanences, parfois. Il ne parlait pas beaucoup. Mais il écoutait. Et quand il posait sa main sur l’épaule d’un garçon tremblant, c’était comme si une montagne s’effondrait.
Un jour, un jeune garçon griffonna sur un papier :
“Je n’ai pas choisi d’être comme ça. Mais maintenant, je choisis de vivre.”
Je gardai ce mot dans mon carnet, comme une prière.
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Note de l’auteur :
Ce chapitre met en lumière la naissance d’un espace de réconfort, un lieu où la parole se libère sans crainte du jugement. “L’Espace Lumière” est bien plus qu’un simple refuge, c’est un symbole de résistance face à l’exclusion et à la douleur, un acte discret mais puissant qui prouve qu’il est possible de changer des vies, une à une, par l’écoute et la compréhension. Parfois, la véritable guérison ne passe pas par la médecine, mais par l’humanité partagée.
— La Voix Qui Écrit
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